« Codeurs de tous les pays, unissez- vous », tel était, en substance, l’injonction de Primavera de Filippi, en guise de conclusion de la conférence Blockchain du 14 janvier dernier.
Un sujet d’actualité, des grands noms au programme, le tout organisé dans une grande école avec les sponsors qui vont bien. Le type d’événement pour les innovateurs et les curieux. Le sujet est complexe mais, peu importe, comme le répétaient les intervenants les plus « expérimentés » à propos des débuts d’internet, nous pourrons raconter à nos enfants que nous avons vécu les débuts de la Blockchain… l’excitation était palpable dans la salle.
Le public était donc là pour tenter de mieux comprendre cette technologie. Si la Blockchain n'était qu’une simple technologie, il n’est pas certain que l’engouement aurait été le même et le public si hétérogène : c’est une technologie avec un potentiel disruptif global. Potentiel disruptif technologique pour dépasser les limites d’internet et réduire les coûts et mutualiser les risques. Potentiel disruptif politique et sociétal dans la gestion de la gouvernance et de la confiance pour les individus entre eux, vis-à-vis des entreprises, des institutions et de l’Etat ! En guise d’introduction, Gilles Babinet soulignait que grâce à la Blockchain la terre est plate, il n’y a plus de géographie, la puissance de la Blockchain réside dans la capacité d’empowerement qu’elle offre aux individus ou à des groupements d’individus.
Intéressons-nous à ce second potentiel disruptif global qui permet de contextualiser et de prendre de la hauteur sur la « simple » utilisation de la Blockchain en tant que plateforme technologique. Yves Moreau (professeur à l’Université de Leuven) présentait le schéma ci-dessous lors de son intervention sur la place de l'Etat et du droit dans un contexte Blockchain. Ce schéma représente les strates historiques sur lesquelles se sont basés le fonctionnement de nos sociétés.
Si la Blockchain devait devenir la base de nos interactions, il y aurait deux grandes conséquences majeures :
Le fonctionnement de nos interactions est régi par le code qui devient donc la loi en vigueur, son exécution étant garanti par la technologie Blockchain et les smart contracts. Cette idée « code is law » convertit les développeurs en acteurs politiques.
Confiance
La blockchain, souvent décrite comme un grand livre infalsifiable et accessible à tous dont des copies se trouvent sur un réseau décentralisé, permet une première chose à ses utilisateurs : transférer la confiance d’une institution / entreprise vers la technologie. En effet, la bonne exécution des transactions est garantie par la technologie Blockchain. La conséquence est d’énormément réduire les barrières à l’entrée sur un marché puisque les clients et utilisateurs d’un service ne feront pas confiance à une entreprise, qui devra avoir prouvé son sérieux, mais bien à la technologie Blockchain. L’exemple le plus parlant est celui du secteur bancaire dans lequel les acteurs doivent gagner la confiance de leurs clients au quotidien.
Risque
La deuxième notion proche de celle de la confiance est la mutualisation du risque pour les entreprises et entre les acteurs de la technologie Blockchain. La Blockchain permet de réduire le risque pour un utilisateur en réduisant le nombre d’intermédiaires pour l’exécution d’un service. La Blockchain permet également une transparence des risques. Par exemple, lorsque les banques s’organisent au sein du consortium R3CEV pour la création d’une Blockchain privée, l’objectif est de transférer une part du risque dans la technologie, à la fois pour la bonne exécution d’une opération mais aussi dans la façon dont seront régies les relations interbancaires.
Responsabilité
L’utilisation de la technologie Blockchain pose la question de la responsabilité au sens juridique du terme. La loi en vigueur étant le code informatique, les codeurs sont donc à l’origine des interactions de la Blockchain. Néanmoins, les transactions s’effectuent grâce aux mineurs et à l’exécution de smart contracts. La question est donc de savoir qui est responsable dans cette chaine d’interactions : le codeur qui a pensé l’interaction, le mineur qui l’exécute ? Et comment ensuite demander réparation puisque le programme s’exécute automatiquement via des smart contracts ? On perçoit, à travers ces questions, l’importance des architectures qui seront bâties autour de la Blockchain et leur sonorité politique.
Les architectures bâties autour de la Blockchain par des individus, des sociétés ou des institutions seront des actes politiques et une façon d’exercer la loi / l’autorité de la Blockchain.
Pouvoir
Blockchain peut permettre de dépasser les promesses non tenues d’internet et notamment la fin des plateformes hyper-capitalistiques de type Uber ou Airbnb. Ces plateformes centralisées qui contrôlent un marché pourraient être « uberisées » par la Blockchain grâce à sa nature décentralisée et ses faibles coûts d’utilisation. L’application la Zooz, un « Uber sans Uber », est le meilleur exemple. Ce type d’application - une communauté auto-organisée basée sur la Blockchain - permettrait de casser le lien de dépendance entre les travailleurs et les plateformes. Il permettrait également d’inventer de nouveaux business models et de nouvelles formes d’actionnariats.
Automatisation
Lors de cette conférence, Nicolas Loubet (Cellabz) a présenté sa vision de l’automatisation des interactions par la mise en œuvre de DAO « Decentralized Autonomous Organization ». La Blockchain peut permettre de construire un système d’interactions via un processus décentralisé qui remplacerait les institutions actuelles centralisées. L’utilisation de smart contracts (smart car les contrats seraient activables via des contreparties financières ou contextuelles) dont l’exécution est garantie par la technologie Blockchain permettrait donc de créer ces DAO – Organisations Autonomes Décentralisées. La Blockchain et notamment celle d’Ethereum présentée par Nicolas comme un grand ordinateur mondial, pourrait donc théoriquement automatiser nos interactions via l’exécution de smart contracts.
Organisation du travail
De la compétition à la coopération
Lors de sa présentation, Philippe Honigman (Blackfeed), a introduit la notion de DCO, Organisations Collaborative Décentralisée. La Blockchain permet de garantir la transparence et la résilience des mécanismes de distribution de valeur, ainsi elle permet et favorise la coopération entre les organisations. Ainsi nous passerions d’un modèle économique basé sur la compétition entre les entreprises d’un même marché à un modèle de coopération entre les entreprises tout au long de la chaine de création de valeur. Les entreprises travailleraient en mode open source, les contributions de chacune étant garanties par la Blockchain avec la possibilité d’automatiser les rétributions comme expliqué plus haut.
Production
La vision de Pierre-Alexis Ciavaldini (CEO de Résance) sur l’organisation de la production grâce à la Blockchain est assez intéressante. Grace aux mécanismes présentés plus haut, il imagine une conception des produits de façon collaborative et open source, ou chaque apport est rétribué et garanti grâce à la Blockchain. La conception pourrait donc se faire à l’échelle mondiale alors que la production serait réalisée à l’échelle locale dans des fab labs ou des ateliers de makers. Il a notamment évoqué le projet Makernet qui reprend cette idée d’une conception mondiale pour une production locale.
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