Une bonne histoire circule. « Dans le capital-risque, il y a les donneurs, les échangeurs et les preneurs. Ceux qui réussissent le mieux sont les donneurs. Et ceux qui échouent le plus sont aussi les donneurs ! La différence entre les deux ? Les premiers sont conscients qu’il existe aussi des échangeurs et des preneurs ! » La réalité est plus nuancée. Dans les startups et dans les conseils d’administration, trois registres relationnels s’activent alternativement : la générosité, l’avidité et la réciprocité. Les expliciter et les baliser permettent d’anticiper les inévitables crises de confiance, et d’en tirer parti.


Les marqueurs de la générosité

Voici les marqueurs du registre relationnel de la générosité : gratuité du réseautage, absence de stratégie dans la rencontre, large place laissée à l’imprévu, logique à donner sans compter et à rendre un maximum de services, tendance à présupposer chez l’autre de la bonté (pronoïa), temporalité de long terme, stratégie de création de valeur, vocabulaire neutre avec verbalisation des enjeux humains (intelligence émotionnelle), communication non violente (CNV),… Le « drive » est la vitalité, la santé  et le bien commun.

Ok, l’entrepreneuriat, ce n’est pas le monde des Bisounours, et je ne veux envoyer personne au casse-pipe ! Ici, la naïveté et la candeur doivent être bien différenciées. Le naïf est optimiste par inconscience. Le candide est optimiste en conscience, et en connaissance de cause. Il garde foi en la vie et en l’être humain, malgré sa perception du côté sombre de la force, chez les autres et en lui. Ce registre relationnel exige donc une bonne maturité, de la connaissance de soi et l’explicitation permanente des racines profondes de nos intentions. Exemple, j’anime bénévolement quelques petits-déjeuners par an dans des incubateurs. Pourquoi ? Pour prospecter de nouveaux clients (l’expérience prouve que ça ne marche pas) ? Parce que ça me valorise (ego) ? Ou pour me réserver des plages de don et de rencontres gratuites dans mon agenda ?... Je dois être au clair avec moi-même et ne pas me raconter d’histoires…

Dans le registre relationnel de la générosité, pour éviter de passer pour un benêt, il est utile de faire sentir à l’autre la conscience et le niveau d’exigence qui correspond à ce stade supérieur de développement du dirigeant. (Ken Wilber, Adam Grant.) Partager quelques explications sur nos intentions peut suffire.

Les marqueurs de l’avidité

Voici les marqueurs du registre relationnel de l’avidité : volonté de faire un coup au détriment des autres (opportunisme cynique) ; regard négatif, désabusé et méprisant sur les gens ; séduction et soumission face à quelqu’un « d’important » (faux-self) ; relations dominant-dominé où l’autre est placé soit au-dessus, soit au-dessous, jamais dans un contact relationnel de face-à-face (rapports de pouvoir) ; instrumentalisation systématique des rencontres (relation d’objet) ; déni de ses limites    et mystique d’invulnérabilité ; insécurité dans l’équipe ; colère non assumée « prêtée » à l’autre qui devient hostile (paranoïa) ; tendance à parader (mâle alpha) ; temporalité de court terme ; stratégie d’acquisition de valeur, et non de création ; vocabulaire guerrier (mort). Le « drive », c’est l’ego.

De nombreuses études montrent que, si l’avidité peut être payante à court terme, à moyen terme et à long terme, c’est le registre relationnel qui présente le couple rendement-risque le moins attractif : combien de bébés requins finissent en bouillie, pour obtenir un « killer » comme Rupert Murdoch ? Concrètement, le vrai sujet, c’est que nous avons tous en nous de l’avidité. L’essentiel est donc de repérer quand elle s’active, pour anticiper, canaliser et communiquer. La clé, c’est la tolérance, pour éviter le jugement et les croisades épuisantes. Celle-ci doit s’accompagner de l’exigence de l’explicitation des conditions de l’échange et de la réciprocité.

Les marqueurs de la réciprocité

Voici les marqueurs du registre relationnel de la réciprocité : égalité, équité, attention portée à la réputation et à l’intégration socio-professionnelle, réseautage intéressé et inclusif-exclusif (logique de club), temporalité de moyen terme, stratégie d’échange de la valeur, vocabulaire sportif,… Le « drive » est la justice.

Ce registre relationnel est responsabilisant. Chacun est acteur de l’échange en définissant clairement ses envies, ses besoins et les termes de la transaction. La réciprocité optimise les ressources tangibles et intangibles de l’entreprise. Ces ressources sont rarement exploitées dans toutes leurs potentialités, surtout dans le contexte de la levée de fonds et de la relation entrepreneurs-investisseurs. En effet, les dirigeants gagneraient à questionner leurs besoins en termes de « capital-pertinent » : au-delà du capital, ils ont envie de recevoir quoi, et d’échanger quoi avec leurs nouveaux actionnaires ? (Gilles Certhoux)

Il est donc utile, pour l’équipe en levée des fonds, de questionner chaque investisseur individuellement, avant d’en choisir un. Que faites-vous de mieux ? Qu’est-ce que vous aimer donner, hormis le capital, et dans quelles conditions ? Qu’avez-vous besoin de recevoir de nous, aux différentes étapes de l’investissement ? Quand le board est constitué, un document peut même être rédigé ensemble : une charte de la réciprocité. Elle marque noir sur blanc ce que chacun donne et reçoit. Elle intègre les responsabilités de chacun, avec quelques objectifs quantitatifs et qualitatifs pour le trimestre. Il faut savoir perdre du temps pour en gagner ! Prenez-le comme du teambuilding.

La paix, ça se travaille

Les crises de confiance jalonnent la vie des conseils d’administration : parfois, les accusations croisées de malhonnêteté pleuvent ! Voici quelques conseils, frottés à la réalité des entrepreneurs et des fonds que j’accompagne, et issus de mes erreurs.

SORS DE TA COLÈRE La colère peut se transformer en véritable trou noir, dont rien ne ressort. La priorité est d’en sortir pour éviter d’être aspiré dans du jugement et dans de la victimisation passive. Une technique est de repérer en soi le processus émotionnel : perte de liberté / peur / colère. En effet, sous la colère se cache souvent la peur de la perte de liberté. Retrouver cette peur, c’est l’apaiser. Les possibles se réouvrent : les choix qui s’offrent à moi. Nous sommes fondamentalement libres. C’est la clé de l’apaisement : pour penser clairement, être plus clairvoyant et plus prudent.

REMETS-TOI EN CAUSE L’accusation unilatérale et virulente est forcément malhonnête : personne ne l’écoute. Comme dans un divorce. Nous sommes toujours en partie à l’origine, à la cause du problème. Chercher où, et dans quelle mesure, permet d’apprendre. Or c’est le but de la vie : évoluer ! Une crise de confiance est toujours systémique. Elle mérite d’être replacée dans son contexte : en quoi l’autre s’est-il senti lésé ? Ainsi, je redeviens générateur d’analyses et de sens. Le leadership culturel fonde le leadership opérationnel : la mission première de l’entrepreneur est d’être un créateur de culture et d’intelligence des situations. Fidèle à cette mission, il fait vivre le sens qu’il donne à son action. La grande question est : « Qui es-tu dans ce que tu fais ? » (Marguerite Hoppenot)

SOIS PLEINEMENT PRÉSENT Chacun de nous a la responsabilité de se protéger et d’assurer la sécurité de ses propriétés et des gens qu’il aime. Il est nécessaire d’apprendre à évaluer les limites des gens qui nous entourent à partir de signaux faibles (extrapolation productive). Laisser traîner une oreille. Ecouter nos intuitions pour intervenir si l’on ressent un malaise. Entretenir des alliances. Maintenir la proximité : des échanges réguliers avec quelques personnes-clés. Garder la maîtrise culturelle de notre écosystème. Et au final, surtout, rester optimiste : ça porte chance.

AGIS Le défi est de ramener la relation dans la réciprocité, plus tard viendra le temps de l’apaisement collectif, selon le fameux cycle itératif : « Coopération-réciprocité-pardon ». (Anatol Rapoport) Le programme CRP est statistiquement le plus performant car « gagnant-gagnant ». Son point  de départ est la générosité. Puis, viennent souvent la déception et la nécessité de clarifier la transaction, pour ensuite repartir dans la générosité via le « pardon ». La modalité itérative   raté-réparation est la plus naturelle façon d’être en relation, et d’apprendre ensemble.

CONVERSE PLUS L’art de la conversation est l’outil total pour évaluer, détecter, anticiper, piloter, réguler, prendre du plaisir ensemble, accompagner, etc. Loin du bavardage, il consiste en : s’écouter ; être pertinent et en même temps éviter les défis d’intelligence (concours de virilité) ; s’autoriser le foisonnement, tout en suivant un fil directeur ; associer profondeur et légèreté, partager de l’humour tendre (éviter l’ironie) ; faire preuve de bienveillance sans complaisance, poser un regard positif sur l’autre et en même temps se dire les choses, sans tortiller !

À propos d'Entreprenance Institut : École et groupement d’accompagnateurs d’entrepreneurs, Entreprenance Institut est spécialiste du diagnostic et de l’accompagnement des porteurs de projets et des équipes de direction. Une approche issue de Finance for Entrepreneurs, groupe de recherche sur la dimension humaine de l’entrepreneuriat et du capital-investissement.

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