Les sites de coavionnage qui ont vu le jour cette année sont dans le viseur des autorités et des syndicats de l'aviation. Aux États-Unis, le verdict est déjà tombé et le coavionnage y est désormais interdit. En France, l'Etat décidera-t-il de clouer définitivement cette pratique au sol ?
Après le succès de Blablacar, de nombreuses sociétés ont eu l'idée de démocratiser le partage de nombreux autres modes de transport, comme le bateau, ou l'avion. L'année 2015 a ainsi vu fleurir quelques startups spécialisées dans le coavionnage, cette nouvelle pratique qui consiste, pour les pilotes privés d'avions de tourisme, d'accueillir sur leurs vols déjà programmés, des particuliers moyennant contrepartie financière. Une nouvelle offre sur laquelle ont tiré à boulets rouges les syndicats et les gendarmes de l'aviation.
Des pratiques jugées illégales
Mi-décembre, l’USPNT (Union Syndicale du Personnel Navigant Technique) publiait un communiqué de presse pour dénoncer les « pratiques commerciales trompeuses » Selon le syndicat, la France, qui « a été un des premiers pays touchés (sic) par le coavionnage » devrait clarifier et sécuriser ses pratiques. Un communiqué envoyé à l’issue de quatre mois de discussions entre les différentes parties prenantes - y compris les acteurs du coavionnage Wingly, Coavmi et Off We Fly-, mis sur pieds en septembre par la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile).
« Le coavionnage est comparé au service d’UberPop et la DGAC a officiellement annoncé qu’elle comptait s’opposer au coavionnage, regrette Emeric de Waziers, cofondateur de Wingly. Mais la réglementation autorise les conducteurs privés à partager les frais et ces annonces ne servent qu’à effrayer les pilotes. »
L'intimidation comme premier recours ?
Il est vrai que Wingly et ses concurrents profitent d’un vide juridique pour légitimer leur service mais les syndicats de l’aviation vont-ils se livrer au même combat que les taxis ? Cet été, Paris avait été le théâtre d’affrontements entre VTC et taxis, ces derniers s'étant livrés à une véritable campagne d’intimidation. En août, beaucoup de chauffeurs d’entreprises qui proposaient le même service qu'UberPop, comme Djump, avaient jeté l’éponge. Aujourd’hui, les startups qui se sont lancées dans l’aventure du coavionnage veulent éviter de prendre du plomb dans l’aile avant même d’avoir pu véritablement décoller. Et pourtant, une odeur de poudre se fait déjà sentir. « Les déclarations de la DGAC ont inversé nos courbes de croissance, qui est est désormais limitée et nous vivotons gentiment, de 90 vols en permanence sur la plateforme, nous n’en avons plus que 20 à 30 » , explique Emeric.
Comparée à Uber -société qui semble désormais marquée d'une sorte de sceau de la piraterie-, par les syndicats de l’aviation, Wingly se compare plus volontiers à Blablacar. Sauf que dans le cas du coavionnage, qui est un minuscule marché tant l’aviation de loisir reste une niche, le simple fait de mettre une annonce pour partager ses frais, devrait, selon les syndicats, être considéré comme de la publicité, et donc faire basculer le vol comme un vol non plus de loisir mais comme un vol commercial, ce qui nécessite une autre licence. Cette nouvelle pratique est pourtant loin d'être une menace pour les compagnies aériennes ou pour les avions taxis puisqu'il s'agit de mettre à disposition des particuliers des places sur des trajets déjà programmés. Alors qu’aucun cadre réglementaire n'empêche ces pratiques, la Fédération française aéronautique, qui participait au groupe de travail, a déjà incité ses aéroclubs à interdire le coavionnage.
« Ils ont peur des dérives, et que certains pilotes commencent à faire des bénéfices sur les vols. Mais ce n’est pas le but, et nous pouvons parfaitement prendre des mesures pour limiter les prix pratiqués et le nombre de vols. Il y a une grosse communauté autour de l’aviation légère et de nombreux projets pourraient voir le jour. Aujourd’hui on a le sentiment que l’on préfère tuer dans l’œuf les initiatives de la nouvelle économie plutôt que de laisser se développer une concurrence aux entreprises bien installés », ajoute Emeric.
Quelles turbulences à venir ?
Chez les startups du coavionnage, le constat est amer. Mais au-delà de la concurrence, c’est aussi le volet sécuritaire qui inquiète les professionnels de l’aviation. « Le transport de vies humaines doit être confié à des professionnels et ne peut être considéré sous l’angle principal du profit », conclut l’USPNT dans son communiqué. "Nous avons fait de nombreuses propositions, notamment par le biais de rapport que nous avons présentés dans le cadre du groupe de travail, sur cet aspect sécuritaire. Nous proposions notamment de limiter le nombre d'heures de vol et de sensibiliser au maximum les passagers sur la sécurité et sur le fait que notre service n'est pas un service commercial, que c'est une expérience et une rencontre avec un pilote, mais je ne pense pas qu'ils aient été lus", regrette Emeric.
Aux Etats-Unis, un service similaire, Flytenow s’est déjà fait couper les ailes. Fonctionnant exactement sur le même principe que les jeunes pousses françaises, la startup a été épinglée par la gendarmerie de l’aviation civile et a dû cesser toute activité. La France suivra-t-elle le mouvement ? Le 3 décembre, la DGAC, qui est rattaché au Ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie rendait ses conclusions et demandait à ce que les sites permettant à des pilotes de proposer publiquement des vols disposent d’un Certificat de Transporteur Aérien (qui coûte 200 000 euros) et fassent appel à des pilotes professionnels. Les nouvelles startups du ciel vont devoir affronter leur lot de vents contraires avant de pouvoir libéraliser ce marché.
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