Ce billet fait suite à la table ronde relative à la régulation dans le domaine des technologies de l’information, organisée par la sénatrice Catherine Morin-Desailly, Présidente du groupe d’études "Médias et nouvelles technologies" de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en présence d'Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), de  Marie-Françoise Marais, Présidente de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), d'Olivier Schrameck, Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), et de Jean-Ludovic Silicani, Président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ACERP).[hr]

Tribune proposée par Edward Silhol, co-fondateur de Stample

On entend rarement parler de ces institutions sous leur noms complets. À les voir tels quels on pourrait même penser qu’on ne les connait pas. Mais leurs acronymes nous sont familiers: CNIL, HADOPI, CSA, sont des termes qui su ont bien souvent trouver leur place dans les gros titres de nos journaux nationaux. Le dernier, l’ARCEP, est moins connu hors des tribunes économiques, mais ses actions n’ont pas moins influencé de façon majeure le quotidien des Françaises et des Français.

Pour cette table ronde, les dirigeants de ces organismes gouvernementaux étaient priés de faire état de leurs actions menées, de présenter leurs forces et leurs faiblesses et, le cas échéant, leurs actions communes.

La CNIL

Créée en 1978 (année de la promulgation de la loi Informatique et Libertés), la CNIL est la plus ancienne des institutions ici citées. Son rôle: veiller à ce que le développement des nouvelles technologies ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Tout un programme, qui au regard de la croissance effrénée de l’innovation technologique, semble à la fois essentiel et impossible.

C'est d’ailleurs ce qui a émané de la discussion, et reçu l’accord de tous: la CNIL n’a pas assez de moyens pour remplir sa mission herculéenne, malgré une coopération étroite avec les organismes équivalents dans d’autres pays (Mme Falque-Pierrotin évoque le besoin de pédagogie auprès des citoyens, de simplification des formalités et de création d’outils de régulation plus granulaires).

Rappelons l'expérience récente qui a opposé la CNIL à Google. Condamnation pour Google, amende de 150 000 euros. Au regard du chiffre d’affaire phénoménal du géant américain, l’équivalent d’un PV de stationnement… Néanmoins, on ne peut que féliciter la CNIL d’oser relever le défi. David contre Goliath. Espérons que sur ce point l’histoire se répétera. Car si la qualité des services de Google est souvent excellente, et leur capacité à innover - et à copier les innovations des autres - phénoménale, leur attitude vis à vis des États et des individus est inacceptable.

Le comportement impérialiste du géant Google est peut-être l’un des plus gros dangers de notre époque.

D'abord, la construction de détours fiscaux pour se soustraire aux impôts sur ses territoires d’activité. Même si la pratique est commune, et si on doit reprocher aux États de rendre possibles de telles évasions, ce comportement est révélateur. L’État Français enquête, et l’on parle d’un redressement fiscal qui pourrait aller jusqu'à 1 milliard d’euros. Qui vivra verra…

Et Google, qui se défend de devoir rendre des comptes aux gouvernements, se moque aussi éperdument de la vie privée de ses utilisateurs. L’ambition de la firme dont le slogan est "Don’t be evil" est de tout savoir sur tout, et surtout sur tous; De mieux vous connaitre que vous même, soi disant pour pouvoir devancer vos désirs et devenir le parfait secrétaire…

Permettons-nous d’être sceptiques: la surveillance généralisée n’a jamais servi autre chose que la tyrannie. Il faudrait relire Orwell. Dans 1984, le ministère de l’amour - Minilov en Novlang - est en réalité le ministère de la torture. Google serait-il devenu le maître de la double pensée? Méfions-nous en tous cas de leur grand discours manichéen. Il s’agit simplement d’une entreprise cotée dont la stratégie vise à enrichir ses actionnaires, à n’importe quel prix.

Le monde entier a compris que les données personnelles sont l'or noir du 21ème siècle, et comme le souligne admirablement bien Pierre Bellanger, PDG de Skyrock et auteur du récent livre intitulé Souveraineté Numérique, celles des Européens sont exploitées par les Américains comme le coton d’Inde fut longtemps exploité par les Anglais. L’Europe, nouvelle colonie Américaine?

Le sujet est immense, et mérite qu’on s’y attarde tous longuement. Mais pour l’heure, je me dois de revenir au cadre de cette table ronde au sénat.

HADOPI et le CSA

Ce fut ensuite le tour de la présidente d’HADOPI, puis du président du CSA de s’exprimer. Là, le cœur du sujet était le rôle de ces deux organisations, ainsi que leur avenir. Le président du CSA, M. Schrameck, constatait avec justesse que l’explosion du multimédia sur Internet est en passe de détruire son terrain de juridiction. Car le CSA régule le secteur de l’audiovisuel, et pas le web. Et s’il voudrait bien voir s’étendre son rôle (et déposséder HADOPI de ses responsabilités), il était clair pour les sénateurs présents que, pour reprendre les mots de Mme Marais, on "ne régule pas Internet". Les doléances de M. Schrameck ont bien été entendues, mais il semble impossible qu’elles soient exécutées.

HADOPI, au contraire, revendique sa liberté. Ses dirigeantes, toutes deux présentes, se félicitent de l’image de la "marque HADOPI", grande protectrice du droits des auteurs dans la jungle Internet. Je n’ai pas assez de connaissances sur l’exécution de leur programme pour juger de sa pertinence.

Je suis loin d’être un grand adepte de l’interventionnisme, mais il me semble que l’existence d’une certaine forme de lutte contre le vol numérique soit favorable à la société, dès lors qu’elle s’accompagne, comme cela commence à être le cas, de l’essor d’une offre légale de qualité. Rappelons quand même que les Spotify et autres Netflix ne garantissent hélas pas non plus une juste rémunération du travail des auteurs.

L'ACERP

Dernier intervenant, M. Silicani, a fait un exposé détaillé du travail de l’ARCEP. Corps d’État créé en 1997 pour accompagner l’ouverture à la concurrence du secteur des Télécoms, et à partir de 2005 du marché postal. L’ARCEP, interlocuteur gouvernemental des opérateurs de téléphonie, a récemment permis l'entrée fracassante de Free sur le secteur.

Sachez que de nombreux événements au sénat, dont cette table ronde, sont ouverts au public. Pour en savoir plus, pensez à consulter l'agenda du sénat.

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