Il aura fallu moins de dix ans à 42 pour être distinguée "meilleure école d’informatique française" et pour s’exporter sur les cinq continents. L'établissement s’est hissé à la première place du classement CodinGame 2020 des meilleures formations en informatique, devant de prestigieuses écoles comme Polytechnique et Télécom ParisTech. Et, un an après le lancement de 42 Network, son réseau international, l’école compte 33 campus partenaires disséminés dans 22 pays du globe. D’ici fin 2021, 42 compte passer à 15 000 étudiants. Sophie Viger, sa directrice générale, a confié ses ambitions à Maddyness.
Vos 33 campus sont principalement en Asie et en Europe : est-ce que le modèle 42 fonctionne mieux dans ces zones géographiques ?
Quand je suis arrivée, le premier enjeu a consisté à convaincre Xavier Niel de déployer la marque 42 à l’international. C’était son projet de coeur et, comme avec un bébé, quand ça vous échappe, vous avez peur de ce que les autres vont en faire. Ça l’inquiétait. Mais il m’a laissé faire et tout s’est d’abord construit par capillarité, par réseau. Pour l’instant plus de projets nous sont venus de ces endroits, mais peut-être allons-nous commencer à démarcher pour aller dans les lieux où l’on veut être présent. On commence à aller vers l’Afrique : il y a 1337 au Maroc, nous sommes en discussion pour des écoles 42 au Sénégal et au Togo et j’aimerais beaucoup aussi au Rwanda, qui a un écosystème très riche.
Dans son interview sur BFM Business début janvier, Xavier Niel évoquait le fait que le modèle ne fonctionnait pas aux Etats-Unis : comment expliquer cela ?
Mes prédécesseurs sont partis là-bas sans bien connaître le territoire. Or, il faut adapter la présentation de l’école et l’accompagnement des populations locales à chaque terrain. Ils sont partis donc bille en tête en se disant que 42 allait tout révolutionner aux Etats-Unis, en oubliant que là-bas, l’argent est une valeur en soi. Donc une formation qui coûte zéro vaut aussi zéro en termes de qualité pour beaucoup d’Américains. Nous avions donc un énorme bâtiment avec très peu de monde dedans, et tout cela à des coûts affolants car la Silicon Valley coûte très cher… Il a fallu arrêter l’hémorragie , et nous avons donc passé la formation en tout online pour le moment et rendu le bâtiment pour arrêter les frais. Je ne suis pas défaitiste, ça fonctionnera peut-être à l’avenir, mais pas dans la Silicon Valley, plutôt dans des régions plus délaissées sur ces questions.
Quelles sont vos ambitions pour 42 à l’horizon 2025 ?
En 2025, nous envisageons d’avoir 25 000 étudiants et 50 campus actifs dans le monde entier. Si de sérieux efforts restent à faire en termes de mixité, notre ambition est d’arriver à 35% de femmes dans chaque école. Déjà, à Paris, nos prochaines piscines (modes de sélection intensif des étudiants sur quatre semaines, ndlr) de février et mars, compterons 50% de femmes, une victoire dans ce milieu si masculin.
Vous prônez un modèle pédagogique unique. Qu’est-ce qui différence 42 des autres formations ?
Notre système repose sur l’égalité des chances. Nos critères de sélection sont opposés à ceux des écoles traditionnelles : 42 est une école gratuite, sans pré-requis de diplôme (même pas le BAC) et sans limite d’âge. Nous nous détachons des critères sociaux pour évaluer la motivation et le potentiel des étudiants. Avec une orientation très Tech, l’ambition de notre école est de diversifier les profils -en genre, origine sociale et ethnique- de celles et ceux qui développent les applis que nous utilisons au quotidien. La pédagogie est très différente : il n’y a pas de prof, pas de cours, c’est participatif entre les étudiants. Nous avons designé un intranet très puissant qui permet d’avancer à son rythme dans la formation, comme dans un jeu, via des points d’expérience gagnés à chaque réussite de projet. Nos étudiants ne font pas qu’appliquer des recettes apprises par coeur. Ils développent une série de compétences, échangent entre eux, cherchent… Cela développe leur sens critique, la capacité à collaborer et à résoudre des problèmes. Ces personnes sont ensuite très recherchées sur le marché du travail car opérationnelles.
42 connait, malgré la pandémie, une expansion fulgurante : comment transposez-vous votre modèle à l’international ? Y a-t-il des adaptations en fonction des lieux d’implantation ?
Avec 42, Xavier Niel et moi avons envie de faire rayonner la France à l’international. Nous n'avons démarché personne tellement nous avons reçu de dossiers. Mais nous avons aussi été très sélectifs car le but est de choisir des structures aux reins solides et dont les valeurs sont communes aux nôtres. Le manque de codeurs est un problème présent partout dans le monde et trop de projets meurent dans l’oeuf parce qu'ils ne trouvent pas de développeurs. Le modèle 42 a, en plus, l’avantage d’être auto-porté, sans professeur, donc le passage à l’échelle est très facile. Nous avons déployé notre modèle avec une base intangible : ouvrir une formation ouverte à tout le monde et gratuite. Si le tronc commun est similaire partout, les campus peuvent avoir des spécialisations correspondant à l’écosystème dans lequel ils se trouvent. Le site d’Angoulême développe des projets spécifiques à l’image, la 3D et la réalité augmentée. Codam, à Amsterdam, est financé par Corinne Vigreux, cofondatrice de TomTom, donc les étudiants travaillent davantage sur des données de cartographie. Les campus de 42 Network s’alimentent entre eux.