On a notamment pu croiser Gregory Thurin au détour de sa start-up : Skerou. Cet entrepreneur de 30 ans nous livre ses pensées, qu’on vous laisse découvrir toute de suite dans notre deuxième vision d'entrepreneurs.
Tout d’abord on va te demander de te présenter…
Grégory. Je suis le fondateur de Skerou (marrant comme un entrepreneur a tendance à se définir par ce qu'il fait), un service qui permet à chacun de suivre sa consommation de grande surface en prenant en photo son ticket de caisse avec son smartphone, ou avec la récupération des informations d'achats en ligne.
Le but est de permettre à chacun de suivre son budget, préparer sa liste de courses en fonction de ses habitudes, ou tout autre service qu'on pourrait imaginer si on avait accès à sa consommation, ce qui n'a jamais, jusqu'ici, été le cas.
Je suis un touche-à-tout. Ingénieur puis économiste de formation, j'ai ces deux fortes tendances en moi. D’un point de vue strictement professionnel, j'ai travaillé dans l’informatique, puis la finance, puis le conseil en organisation avant de lancer Skerou.
Ce qui me motive, c'est avant tout la transparence, le fait de rendre l'information accessible, une chose saine autant pour la société que pour les consommateurs.
Entrons dans le cœur du sujet : peut-on parler à ton sens d’une "nouvelle économie" ?
Oui, très clairement.
Que ce soit dans le secteur agricole, industriel ou même des services, l'économie a toujours été régie par le fait que produire de la valeur avait un coût. Pour produire plus, il fallait plus de travail, plus de personnes, plus de matériel. Il y avait bien sur des économies d'échelle, mais elles avaient des limites.
Avec internet et l'économie numérique, ce n'est souvent plus le cas. Le coût marginal de production, c'est-à-dire le coût qu'il y a à "produire" une unité de plus d'un service, devient souvent quasiment nul. Multiplier par cent le nombre d'utilisateurs d'un service peut souvent se faire en doublant à peine le coût que cela a.
La "nouvelle économie" pour moi, c'est cette nouvelle économie de service où le coût est majoritairement dans la conception du service, pas dans le service lui-même (je parle du coût, pas de la valeur). C'est cela qui change le monde, car ce qui aurait été cher et accessible à peu de monde devient bon marché, voire gratuit, et accessible à tous.
Ce qui est magique quand une start-up en France crée un produit est que celui-ci se retrouve utilisé pour moitié par des américains, ce n'est pas que la mondialisation qui permette cet usage; cela existait déjà pour les films hollywoodiens il y a 50 ans (ok, dans l'autre sens). Ce qui est extraordinaire, c'est que cela coûte la même chose à cette start-up de faire fonctionner le service en France ou en France ET aux US.
Quels sont les enjeux qu’elle représente pour ce qu’on pourrait nommer "l’économie traditionnelle" ?
Les enjeux pour l'économie traditionnelle. A mon sens, c'est de réussir à extraire tous les coûts qui peuvent disparaitre, et de transformer un coût variable (200 employés de vente) en un coût fixe (créer un site web) avec un coût variable divisé par 100 (un serveur qui gère l'affichage et les transactions et un administrateur système, c'est une caricature mais l'idée est là).
Un exemple type, c’est l'agence de voyage. Acheter un billet d'avion, cela coûtait 30 minutes du temps d'un employé en agence de voyage. Maintenant, cela coûte quelques millisecondes de temps serveur et quelques méga-octets de données transférés sur le net.
Tous les secteurs sont confrontés à cette révolution. Les enjeux sont donc à la fois un formidable outil d'efficacité, et donc de baisse des coûts et d'augmentation des services, et une métamorphose complète, avec son lot de problèmes tragiques (les 200 employés de l'agence de voyage qui deviennent "inutiles" dans leur rôle).
De quelle manière tentes-tu d’y répondre aux travers de tes projets ?
Mon projet est lié à un autre aspect de la révolution numérique, qui est la valeur et la liberté de l'information, plus qu'à ce premier facteur de changement de la structure des coûts de production d'une société.
Ce que je cherche à faire, c'est de permettre à n'importe quel consommateur de retrouver l'information sur l'ensemble de ses achats (en grande surface, le plus gros poste d'achats), et de permettre à chacun d'utiliser son information avec des services nouveaux.
Je ne cherche pas franchement à répondre aux enjeux de l’économie traditionnelle, mais à créer, à mon humble manière, une nouvelle source de valeur pour chaque foyer.
Dans le cas de Skerou, il ne s'agit pas de remplacer ou de modifier une part de l'économie traditionnelle, mais de fournir quelque chose qui ne pouvait exister dans ce cadre, et qui est désormais possible.
Comment vois-tu l’avenir de cette branche ?
Devenir ancienne. C'est-à-dire continuer à devenir toujours plus une évidence, au point de ne plus mériter son nom.
Ce moment approche déjà. Le monde est déjà transformé même si ce n'est pas fini, tous les business ont déjà commencé leur adaptation, et tout le monde a bien compris et constaté l'ampleur du changement.
Autrement dit, pour moi, ce nouveau mode de fonctionnement économique est tellement omniprésent que l'on ne devrait déjà plus l'appeler "nouvelle économie".
Un conseil pour les nouveaux entrepreneurs ?
Créer un produit. Si le coût des services se concentre sur la création initiale du service, alors un service qui ne coûte presque rien à constituer n'a que très peu de valeur marchande. Il peut rendre un service important, mais il pourra être répliqué par d'autres entreprises sans gros investissement (que ce soit financier, ou en temps, en relations, en marketing, il ne s'agit pas que d'investissement monétaire). Au final, cela deviendra un service de base, gratuit et difficile à monétiser. Excellent pour la société dans son ensemble, moins bien pour l'entrepreneur.
Finalement, une entreprise doit soit faire quelque chose qui est initialement très coûteux (encore une fois pas forcément seulement financièrement), soit quelque chose qui a un coût non négligeable pour chaque unité supplémentaire produite.
A surtout éviter ?
Je vais parler uniquement pour les entreprises qui adressent des besoins B2C, pas B2B. Ce qu'il faut éviter ? La "feature company". C'est le pendant du point précédent.
Un produit, c'est quelque chose de différenciant, un ensemble que des gens veulent avoir/utiliser. Une feature, c'est quelque chose que les gens veulent ajouter dans leur produit habituel.
Créer une "feature company", c'est dire "il manque ça dans tel produit, je vais le faire". Alors que les utilisateurs ne veulent souvent pas un nouveau service qui fasse ce point là précis, mais que ce point soit intégré dans un service existant, ce qui arrivera certainement peu après.
En B2C (hors gaming), je crois qu'un entrepreneur doit en général apporter un nouveau service, pas une petite amélioration d'un service existant.
(pour lire ou relire la première voir ici)