L’esprit de Mary Poppins règne décidément sur la French Tech en ce moment. Deux semaines après le lancement de Poppins par Lucie Basch, c’est une autre startup du même nom qui annonce une levée de fonds. Cependant, celle-ci existe depuis bien plus longtemps puisqu’elle a vu le jour dès 2018.

Aujourd’hui, la société annonce un tour de table de 5 millions d’euros mené par Racine, le fonds d’investissement à impact de la MGEN opéré par Serena et Makesense. Les investisseurs historiques, à savoir le fonds Patient Autonome de Bpifrance, Eurazeo, Kurma Partners, BNP Paribas Développement et Verve Ventures, ont également remis au pot à l’occasion de cette opération. Celle-ci porte à 20 millions d’euros le montant total levé par l’entreprise tricolore depuis sa création.

Un jeu pour atténuer la longue attente pour avoir un rendez-vous chez l’orthophoniste

Issue de Polytechnique (X), la startup a été lancée par François Vonthron et Antoine Yuen. Objectif : offrir un dispositif numérique et ludique à destination des 1,3 million d’enfants en France qui ont des troubles dyslexiques, soit environ 6 à 8 % des enfants scolarisés, ce qui correspond à environ 2 enfants par classe. L’enjeu est de taille alors qu’il n’y a que 25 000 orthophonistes dans l’Hexagone, ce qui entraîne des délais d’attente conséquents pour obtenir un premier rendez-vous.

Devant ce constat, la société a développé un protocole d’entraînement qui prend la forme d’un jeu vidéo. Celui-ci se compose de 31 exercices de langage écrit et de rythme, accessible sur tablette ou smartphone. Dans le détail, chaque séance de jeu dure 20 minutes : 10 minutes se déclinent en cinq jeux autour du langage avec des exercices d’identification de sons ou de syllabes et les 10 autres visent à proposer des jeux musicaux pour travailler sur le rythme sans donner l’impression à l’enfant qu’il travaille sur ses compétences en lecture.

Vers un remboursement par la Sécu ?

Pour donner naissance à ce dispositif, Poppins a collaboré avec Ubisoft et des chercheurs. Lancé en octobre 2023, cet outil pour les enfants confrontés à des troubles dyslexiques a demandé six ans de travail. «Cela nécessite de la rigueur et de la patience. En effet, il faut faire des essais cliniques ultra rigoureux. Et comme c’est un sujet de santé, cela implique de le faire dans le temps», indique François Vonthron, co-fondateur et CEO de Poppins. Avant d’ajouter : «Nous nous plaçons aux côtés des orthophonistes. On pense avoir un rôle à jouer dans l’arsenal thérapeutique.»

Pour rendre sa solution accessible au plus grand nombre, Poppins a cherché des alternatives au financement par les familles. La startup prend donc en charge l’abonnement de celles qui bénéficient de la complémentaire de santé solidaire. Elle a également démarché plusieurs mutuelles dont plusieurs acceptent de le financer en totalité. Parmi elles, Allianz France a d’abord testé la solution auprès de ses collaborateurs avant de l’ouvrir à ses clients. Mais pour être encore plus accessible, Poppins espère surtout à terme que son dispositif soit remboursé par la Sécurité sociale. La startup va donc déposer un dossier dans ce sens auprès des autorités compétentes dans les prochains mois.

En attendant, la société prévoit de s’appuyer sur sa levée de fonds pour s’intégrer encore davantage aux parcours de soins existants. Cette année, Poppins va notamment devenir une société à mission dont les actions s'inscrivent dans la Stratégie nationale sur les troubles du neuro-développement 2023-2027 pour garantir un accompagnement à chaque personne présentant un trouble du neuro-développement. «Notre objectif est de devenir une marque connue du grand public, avec un ADN très scientifique», assure François Vonthron.

Confusion et incompréhension après le lancement d’une société éponyme par Lucie Basch

Cependant, l’entreprise a rencontré un obstacle inattendu dans ce sens, avec le lancement il y a deux semaine de la startup Poppins par Lucie Basch, entrepreneuse à impact bien connue dans la French Tech. Si ce projet vise à proposer une application pour démocratiser le partage des objets du quotidien et ne se positionne pas sur le même segment d’activité que la société de François Vonthron, cela crée une certaine confusion d’avoir deux entreprises avec la même dénomination.

«J’ai beaucoup de respect pour l’entrepreneuse et ce qu’elle a fait avec Too Good To Go ou sa nouvelle initiative. Les enjeux de transition écologique et d’impact sociétal sont des choses qui me touchent. Mais aujourd’hui, l’existence de cette marque suscite des interrogations», observe l’entrepreneur. «Alors que des familles sont souvent confrontées à 18 mois d’errance thérapeutique pour chercher des parcours de soins, qui sont complexes de surcroît, on se doit d’apporter de la lisibilité et de la confiance à ces familles», ajoute-t-il.

Cap vers les États-Unis

François Vonthron espère donc que la situation se décantera dans les prochains mois. Malgré tout, cela n’entame pas ses ambitions, qui dépassent le continent européen. En effet, Poppins place ses pions aux États-Unis et son associé, Antoine Yuen, vit désormais de l’autre côté de l’Atlantique. «On sent vraiment un frémissement aux États-Unis avec un besoin sociétal important. Si traction est bonne, on va accélérer là-bas», se réjouit François Vonthron. Il indique d’ailleurs qu’une filiale va voir le jour aux États-Unis dans les prochains mois.

Mais pourquoi un développement américain qu’européen dans l’immédiat ? «Nous avons un marquage CE, mais les exigences cliniques sont très différentes d’un pays à l’autre en Europe. C’est donc très compliqué pour une startup française de se développer en Europe», observe-t-il. Charge donc à Bruxelles de créer le fameux marché unique avec des règles harmonisées entre les 27 États membres de l’Union européenne qui se fait attendre depuis de nombreuses années.