Face à l'essor rapide de l'intelligence artificielle, les acteurs du retail naviguent entre enthousiasme et inquiétude. Considérée à la fois comme un levier de productivité et un risque pour certains métiers, l'IA pousse les entreprises à repenser leurs pratiques, leur organisation et les compétences de leurs équipes. Un chantier d’envergure que l'événement One to One Retail E-Commerce de Monaco a largement exploré cette année.
Lors des ateliers du Before du One to One Retail E-Commerce de Monaco, évènement de référence du secteur, qui a eu lieu en mars dernier, deux sujets ont concentré l’attention des experts du retail : la gestion du changement nécessaire pour intégrer l’IA au sein des organisations, et l’émergence du prompt engineering, soit la manière la plus efficace de prompter, comme nouvelle compétence stratégique. Derrière les discours technologiques, les échanges ont mis en avant le fait qu’un passage à l’échelle réussi repose avant tout sur l’humain : acculturer, outiller, encadrer… et structurer les usages pour en tirer un réel avantage concurrentiel.
L’IA progresse dans les entreprises, mais appelle encore une organisation structurée
Si l’intelligence artificielle a déjà fait son entrée dans les entreprises, c’est souvent de manière spontanée et non encadrée. Ce constat a été partagé par plusieurs experts lors de l’atelier "Change me, IAm Ready". Les intervenants ont illustré cette réalité par des exemples très concrets. Ainsi, Marie Amsellem, Directrice Brand Content et Retail Media chez BUT, a expliqué que l’IA était déjà mobilisée pour automatiser la rédaction de textes SEO ou pour générer des visuels. Mais ces usages, bien que porteurs de gains de productivité, suscitent encore de nombreuses interrogations, en particulier au sein des équipes créatives qui redoutent une standardisation des contenus et un appauvrissement de leurs missions.
Pour Benoît Serre, Vice-Président de l’ANDRH, l’enjeu clé réside dans la capacité des entreprises à accompagner les collaborateurs dans cette transition. "L’avenir de l’emploi ne dépendra pas tant de l’IA elle-même que de la faculté des salariés à l’intégrer dans leurs pratiques", souligne-t-il. Cette phase d'acculturation est essentielle pour comprendre les pratiques déjà en place, identifier les besoins des équipes, mais aussi lever les peurs qui freinent encore son adoption.
Structurer la gouvernance IA pour passer de l’expérimentation à l’organisation
De son côté, Édouard de Miollis, associé chez BlackPixel, plaide pour une gouvernance de l’IA structurée mais adaptative. Il recommande par exemple, d’impliquer des référents IA au sein de chaque département, afin de ne pas cantonner le sujet aux seules équipes techniques. Ces ambassadeurs jouent un rôle crucial : accompagner les collaborateurs, faire remonter les besoins du terrain et diffuser les bonnes pratiques.
Structurer une gouvernance IA efficace suppose également de poser un cadre clair : définir des règles de sécurité, préciser les principes éthiques à respecter et mesurer les impacts concrets des usages d’IA grâce à des indicateurs pertinents. Encore faut-il savoir sur quelles technologies concentrer ses efforts. Pour cela, les experts recommandent un modèle de veille en quatre temps : ignorer les tendances superficielles, surveiller les innovations prometteuses, tester les cas d'usage les plus pertinents, puis déployer à grande échelle les solutions ayant fait leurs preuves.
Le prompt engineering devient une compétence clé des retailers
L’autre enseignement majeur de One to One Retail E-Commerce concerne l’émergence du prompt engineering comme nouvelle compétence stratégique. Longtemps perçu comme un savoir-faire expérimental réservé à quelques experts, le prompt engineering devient désormais indispensable pour exploiter pleinement les capacités des IA génératives.
Chez Sephora, incarnée à l’évènement par Anca Marola, Global Chief Officer Digital du distributeur de cosmétiques, les résultats sont spectaculaires. L’enseigne a intégré ChatGPT dans son studio de création de contenus, avec l’objectif initial de produire dix fois plus vite et dix fois plus efficacement. La réalité a dépassé les attentes : les équipes parlent aujourd’hui d’une performance multipliée par quarante, notamment pour la création des fiches produits et des contenus destinés aux réseaux sociaux.
ManoMano, de son côté, observe des gains de productivité de l’ordre de 25 à 30 % pour ses développeurs grâce à l’utilisation de l’IA, selon son fondateur et co-CEO Philippe de Chanville. The Brandtech Group, qui a analysé plus de 235 000 contenus générés par IA pour ses clients, annonce des résultats tout aussi probants : une réduction de 62 % du temps de production, une baisse de 55 % des coûts et une augmentation de 40 % de l’efficacité mesurée en ROI publicitaire.
Mais le prompt engineering ne se limite pas à des gains de productivité. Il devient un levier d’identité pour les marques. Injecter des biais volontaires dans les prompts permet de conserver un ton de marque différenciant et d’éviter une uniformisation des contenus. "Maîtriser ses prompts, c’est affirmer sa singularité face à des outils standardisés", souligne Julie Hardy, partner chez The Brandtech Group.
Au-delà de la création de contenus, le prompt engineering transforme également l’expérience client. L’UX des sites e-commerce évolue vers des interfaces conversationnelles, où les consommateurs posent directement leurs questions plutôt que de naviguer dans des menus classiques. Chez Sephora, le taux de conversion est aujourd’hui quatre fois plus élevé via leur chatbot qu’avec les parcours traditionnels. ManoMano, de son côté, observe un niveau de satisfaction client équivalent entre les réponses fournies par ses agents humains et celles générées par l’IA.
L’IA dans le retail n’est plus un simple sujet d’innovation technologique. C’est un véritable enjeu organisationnel et culturel. Les entreprises les plus avancées ne sont pas celles qui testent le plus d’outils, mais celles qui savent structurer leurs usages, former leurs équipes et encadrer les pratiques pour en faire un levier de création de valeur durable.