Portée par de nombreux témoignages, venus de figures publiques comme anonymes, la santé mentale s’est progressivement imposée comme enjeu public ces dernières années. En 2025, le gouvernement l’a placée au cœur de ses priorités en la déclarant Grande Cause Nationale. Des athlètes comme Simone Biles ou Léon Marchand ou des artistes comme Stromae ont contribué à faire de la vulnérabilité un sujet d’expression publique, et les souffrances psychiques ne sont plus systématiquement tues. Mais, dans la réalité du quotidien, la parole est encore fragile : 7 Français sur 10 considèrent encore la santé mentale comme un sujet difficile à aborder, que ce soit dans la sphère personnelle ou professionnelle.
Dans le monde professionnel, le tabou autour de la santé mentale reste fort. Il pèse encore davantage sur les épaules des dirigeant·es à impact, engagé·es chaque jour pour répondre à l’urgence sociale et environnementale, prendre soin du vivant, inventer des alternatives soutenables. Leur mission est essentielle, mais elle s’accompagne d’une tension constante, souvent vécue dans le silence. Une étude menée auprès de dirigeant·es de structures à impact1 révèle que 40 % d’entre eux·elles déclarent ne pas être en bonne santé mentale — soit presque deux fois plus que les dirigeant·es d’entreprises traditionnelles. Derrière ces chiffres, ce sont des femmes et des hommes profondément engagés, dont l’épuisement reste invisible mais dangereux pour la construction du monde de demain.
Des causes systémiques, un risque collectif
Ce mal-être n’est pas un fait isolé. Il s’ancre dans des causes profondes : une culture du surengagement, des modèles de réussite linéaires, un écosystème de l’accompagnement qui soutient les projets plus que les personnes qui les portent, et une injonction à aller toujours plus vite, à produire toujours plus de résultats pour répondre à l’urgence climatique et sociale. Dans ce contexte, ralentir semble impensable. Exprimer sa fragilité, difficile. Et le sentiment d’être seul·e face à une tâche colossale grandit.
À cette pression historique s’ajoutent des contraintes structurelles : baisse des financements publics, instabilité économique, course à l’innovation. La santé mentale des dirigeant·es est souvent le premier poste sacrifié. Et ce, dans un secteur où l’équilibre personnel est pourtant indispensable à la pérennité collective.
Le danger ne se limite pas à quelques parcours individuels fragilisés. Lorsqu’un·e dirigeant·e à impact s’effondre, ce sont des projets entiers, des équipes, des bénéficiaires qui sont affectés. Et si les fondateur·ices de ces initiatives venaient à manquer, c’est toute la dynamique de transition sociale et écologique qui pourrait reculer. Ces structures ne sont pas marginales : elles inventent aujourd’hui des modèles économiques plus justes, des façons de produire, de consommer, d’habiter et de travailler plus durables. Si elles venaient à faiblir, c’est notre capacité collective à répondre aux grandes crises de notre temps qui serait gravement compromise.
Placer l’humain au cœur de l’écosystème
Face à cette réalité, les réponses individuelles ne suffisent pas. Dire à un·e dirigeant·e de “prendre soin de lui·elle” sans agir sur les causes systémiques, c’est le culpabiliser davantage. Le problème n’est pas un manque de volonté ou de résilience personnelle. Il est structurel.
Il faut faire évoluer les récits, les structures et les outils. Sortir d’un imaginaire de la performance héroïque de l’entrepreneur. Valoriser aussi la sobriété, la coopération, les parcours non linéaires. Les structures d’accompagnement doivent soutenir les personnes autant que les projets. Les financeurs doivent intégrer le bien-être dans leur accompagnement. Les médias doivent raconter la complexité, les pauses, les vulnérabilités — pas seulement les réussites éclatantes.
Remettre l’humain au centre, ce n’est pas perdre en ambition ; c’est proposer un modèle pérenne. Si nous voulons une société plus juste, plus soutenable et plus humaine, alors il est urgent de prendre soin de celles et ceux qui s’y consacrent avec tant de force.