L’instabilité économique aurait pu freiner toute dynamique d’innovation. Mais face à la pression croissante sur les coûts, les grands groupes sont contraints de réviser leur manière d’innover. En quête d’agilité et d’efficacité, ils se tournent désormais vers des startups… à condition que ces dernières aient prouvé leur solidité. Dans ce nouveau rapport de force, les jeunes pousses les plus résilientes s'imposent comme des partenaires crédibles, au détriment parfois d'acteurs historiques ou surdimensionnés. Alexandre Pham, président de MisterTemp’, confirme ce climat d’instabilité à travers ses clients, grands groupes et PME confondus : “On mesure bien le degré d’inquiétude que peuvent avoir les entreprises en France par rapport au contexte macroéconomique.” 

Un changement de posture chez les grands groupes

Toutefois, cette tension ne se traduit pas forcément par une frilosité pour les grands groupes, comme on pourrait le penser. Elle entraîne surtout une bascule dans la manière dont les grands comptes prennent leurs décisions et font leurs arbitrages. Là où les startups étaient auparavant tenues à distance par des barrières administratives, la quête de performance rebat les cartes. “J’ai constaté que des portes, qui étaient jusqu’à présent fermées, se sont ouvertes par ce contexte, notamment celles des grands groupes comme Valeo ou Renault".

Les cycles de décision, historiquement longs dans les grands groupes, se raccourcissent. “Des échanges qui pouvaient prendre dans le passé 12, parfois même 18 à 24 mois, là, en quelques mois, en quelques semaines, on peut avancer, on peut lancer l’époque” souligne Eliot Guérin, vice-président de Skello.

Un changement structurel qui illustre, plus largement, le tournant pragmatique et agile pris par les grands comptes. “J’ai trouvé beaucoup plus de pragmatisme” poursuit Alexandre Pham. “Mais cette agilité-là est rendue nécessaire par la force des choses. Ces entreprises cherchent des solutions immédiates.” Ainsi, poussés par le contexte économique, ils recherchent des solutions immédiatement activables. Ce nouveau rythme impose aux startups d’être prêtes à délivrer vite, sans délai de rodage, avec un impact opérationnel clair dès les premières semaines. 

Si la logique d’appel d’offres reste la norme dans beaucoup de structures, elle tend à s’assouplir face à l'urgence opérationnelle. Alexandre Pham évoque une inflexion nette : “Depuis quatre ans, ils nous disaient : "Chez nous, c’est appel d’offres, il faut s’y prendre un an avant..." Maintenant, cela peut être:  “Venez hors appel d’offres. On fait un test."

Les startups matures tirent leur épingle du jeu

Cette dynamique d’ouverture ne bénéficie pas à toutes les jeunes pousses. Elle favorise d’abord celles qui ont atteint une certaine maturité : rentables, dotées d’un historique client solide, capables de déployer rapidement des solutions opérationnelles. Autrement dit, des startups qui rassurent. C’est ce que souligne Alexandre Pham, qui identifie deux facteurs déterminants dans la décision des grands groupes : “Ce qui a beaucoup rassuré nos interlocuteurs, c’est d’abord qu’on a déjà un modèle qui est prouvé et des références. Ce n’est pas un acte de foi, de leur part. c’est pragmatique.” Le deuxième point important, c’est que notre groupe est rentable. On peut s’inscrire dans la durée comme étant un partenaire de long terme.”

Chez Skello, cette crédibilité passe par la structuration et l’expérience. Forte de 25 000 clients et 350 collaborateurs, la startup se positionne aujourd’hui à un point d’équilibre stratégique : assez grande pour être crédible, assez agile pour s’adapter. Eliot Guérin résume : “À 350 collaborateurs, on peut quand même adresser beaucoup plus d’enjeux que quand on était une vingtaine. Mais, on peut encore réagir vite, s’adapter, sortir des développements spécifiques pour accélérer sur un marché.

Des résultats déjà tangibles

Pour les startups qui ont su se structurer, la situation actuelle crée un effet d’accélérateur. Certaines enregistrent une croissance forte de leur activité auprès des grands comptes, preuve que cette mutation n’est pas marginale, mais bien systémique. Chez MisterTemp’, Alexandre Pham annonce une tendance claire : “On a une croissance de 30 à 40 % sur l’activité Grands Comptes, tirée par des comptes déjà existants; des gains récents comme La Poste, et également par cette conquête de nouveaux comptes.” Même dynamique chez Skello, où l’entrée sur de nouveaux marchés comme le bâtiment ou l’industrie stimule fortement l’activité : “On part sur une croissance de 45% de croissance annuelle, portée par le contexte et par des opportunités qu’on va déployer. Ce n’étaient pas des secteurs qu’on adressait il y a deux ans.”

Pour Eliot Guérin comme pour Alexandre Pham, le retournement actuel n’est pas conjoncturel, il signe une nouvelle norme. Plus qu’un effet d’aubaine, c’est une évolution structurelle du marché qui s’opère.