Cette semaine, le cœur de la tech africaine vibrait à Marrakech à l’occasion du Gitex Africa. Aux portes de la médina de la cité ocre, ce sont plus de 45 000 visiteurs venus de plus de 130 pays qui se sont pressés dans les allées de cet événement qui a vocation à placer le Maroc et le continent africain sur la scène tech mondiale. Et Maddyness a été témoin de cette effervescence continentale de l'autre côté de la Méditerranée.
Ce qui nous a frappé d’entrée de jeu, c’est l’envergure de l’événement. Ce dernier a pris place sous d’immenses toiles qui ont fait office de hangars d’exposition temporaires. Dans cette infrastructure éphémère, ce sont 24 halls qui ont été créés pour mettre en lumière les différents pans de l’écosystème tech africain.
Objectif 3 000 startups au Maroc en 2030
Évidemment, les startups marocaines étaient en force. Il y a en avait 200 qui ont été sélectionnées dans le cadre de l’initiative «Morocco 200» lancée par le gouvernement marocain pour favoriser l’internationalisation des startups du royaume. C’est d’ailleurs une startup marocaine, Deep Leaf, qui a reçu le premier prix du «Supernova Challenge», un concours de pitchs pour mettre les pépites africaines sous le feu des projecteurs. Il s’agit de l’un des signaux d’un écosystème marocain des startups qui monte en puissance.
Il faut dire que le Maroc a un agenda économique et technologique très chargé jusqu’à la fin de la décennie, qui s’est accéléré avec l’obtention de l’organisation de la Coupe du monde de football 2030 avec l’Espagne et le Portugal. Soucieux de peser davantage sur la scène mondiale, le royaume a ainsi dégainé la stratégie «Maroc Digital 2030» pour accélérer sa transformation digitale.
Vers une «Silicon Valley» marocaine près de Marrakech
Dans ce cadre, les startups marocaines occupent une place de choix, puisque Rabat veut en multiplier le nombre très rapidement : de 380 en 2022 à 3 000 d’ici 2030 avec un premier cap fixé à 1 000 en 2026. Parmi ces jeunes pousses, le Maroc espère faire naître une à deux licornes… et une dizaine de gazelles ! Ce terme désigne les startups qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 5 millions de dollars et enregistrent une croissance 10 à 20 % sur trois ans.
Pour atteindre des objectifs aussi ambitieux, le royaume peut notamment compter sur le foisonnement de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) pour propulser des pépites technologiques, notamment dans la deeptech. Inaugurée en 2017 à Ben Guerir, une ville située à seulement 72 kilomètres de Marrakech, elle héberge notamment StartGate, un campus dédié à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Son programme phare : «The Forge».
Celui-ci doit permettre, avec une résidence de 9 à 12 mois, de mettre sur orbite de futures licornes africaines. Si une telle dynamique se met en place dans les prochaines années, cela pourrait-il donner naissance à une «Silicon Valley» marocaine près de Marrakech. «Ben Guerir, c’est Palo Alto, et Marrakech, c’est San Francisco», nous a confié avec le sourire Yassine Laghzioui, CEO de l'UM6P Ventures, le fonds d’investissement de l’université marocaine, au Gitex Africa.
Raphaël Varane et le «parrain de la tech africaine»
Mais ce serait une erreur de réduire cet événement aux seules ambitions marocaines. Dans les allées, on pouvait entendre parler français, anglais, arabe ou encore portugais. Parmi les nations les mieux représentées, il y avait le Nigeria, le Sénégal ou encore le Kenya, mais des pays du Moyen-Orient étaient aussi de la partie, à l’image de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Beaucoup de ministres des quatre coins de l’Afrique, notamment ceux spécialisés dans les questions numériques, ont fait le déplacement jusqu’à Marrakech, mais pas Clara Chappaz, restée à Paris pour visiter les locaux de Scaleway et rencontrer le ministre saoudien de la Santé.
Souvent prisée des stars, la cité ocre a également vu quelques célébrités arpenter les allées du Gitex, à l’image des anciens joueurs de football Raphaël Varane, Robert Pirès et Bafétimbi Gomis. Dans les profils tech, c’est notamment Olugbenga Agboola qui a fait sensation. Et pour cause, il est à la tête de la fintech nigériane Flutterwave, l’une des startups les plus en vogue en Afrique avec une valorisation de plus de 3 milliards de dollars.
Avec le succès de son entreprise, Olugbenga Agboola est devenu un personnage emblématique sur la scène tech continentale, au point d’être décrit par certains observateurs comme le «parrain de la tech africaine» et le «prince de la fintech» de l’autre côté de la Méditerranée. Parfois décrié pour son côté sulfureux, l’entrepreneur fascine en Afrique, surtout avec son appétit pour le marché américain. Il connaît bien les États-Unis, puisqu’il est notamment passé par le MIT de Boston et fait un passage par Google et PayPal. Bref, Olugbenga Agboola constitue une source d’inspiration pour de nombreux de jeunes Africains.
La French Tech dans les pas d’Orange
C’est également une source d’inspiration pour les acteurs européens qui souhaitent s’exporter en Afrique, et notamment les Français. S’ils sont bien moins nombreux qu’au CES de Las Vegas (110 startups tricolores présentes en janvier), il y avait tout de même une vingtaine de jeunes pousses françaises lors de ce Gitex, comme Ootentik, Mycophyto et RhinoTerrain. Avec le réchauffement des relations diplomatiques entre Paris et Rabat, le Maroc constitue en effet une terre d’innovation de choix au Maghreb pour les entrepreneurs français, le tout sous l’impulsion d’une French Tech Maroc emmenée par William Simoncelli, qui la dirige depuis janvier. Ce ne ne sont pas Partech et Breega, pionniers du capital-risque tricolore en Afrique, qui diront le contraire. «C’est la French Tech la plus dynamique du continent», se réjouit William Simoncelli.
Quelques grands groupes français étaient également de la partie, à commencer par Orange. A l’occasion du Gitex Africa, nous avons d’ailleurs rencontré Jérôme Hénique, CEO d'Orange Afrique et Moyen-Orient. «Il y a un rôle très important du Maroc en tant que hub pour l'Afrique. C'est une forme de pont aussi entre l'Europe et l'Afrique pour le développement des innovations et les partenariats économiques du continent en général. On voit aussi de plus en plus de grosses startups émerger au Maroc. Elles cherchent à conquérir différents marchés, en particulier en Afrique, mais aussi en Europe. Et puis les investissements des fonds de capital-risque montent en puissance, notamment au Maroc», a-t-il analysé sur le dynamisme actuel de l’écosystème tech marocain.
Une délégation pour promouvoir les femmes leaders de la tech
Dans les allées du salon, nous sommes également allés à la rencontre de la délégation Women in Tech for Future, pilotée par Numeum et la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Paris Île-de-France. En effet, les deux structures ont emmené une trentaine de femmes dirigeantes et entrepreneures françaises, comme Soraya Tribouillois, co-fondatrice de la fintech Incard, et Inès Besbes, à la tête de la startup Seedext, qui booste la productivité des entreprises grâce à l'IA.
«On a besoin de pays exemplaires sur la féminisation des métiers et des écoles d’ingénieurs. Et dans ce cadre, le Maroc a fait des choses très intéressantes. Cela permet d’engendrer un choc de conscience pour faire évoluer les mentalités», ont expliqué à Maddyness, Agnès Gomes, responsable du département événements, réseaux et partenariats à la CCI de Paris Île-de-France, et Maÿlis Staub, administratrice et en charge de la communication et du programme Nova in Tech (ex-Femmes du Numérique) chez Numeum. Au-delà de cette dose d’inspiration pour faire un pas de plus vers la parité dans la tech française, un tel déplacement est également l’opportunité de faire du business sur le marché africain.
Un événement pour acter l’envol de la tech africaine
Dans l’ensemble, ce Gitex Africa représente un levier pour le Maroc pour accompagner son envol dans la tech, tandis que le continent africain en profite pour rayonner à l’international. Cette première déclinaison du méga-salon dubaïote en Afrique sera d’ailleurs très bientôt suivie d’une deuxième en septembre prochain au Nigeria.
Souvent perçu négativement à cause de conflits armés qui rongent plusieurs régions du continent, l’Afrique commence à sérieusement sortir du bois. Avec une locomotive qui se met en marche au Maroc et des success-stories comme celles de Flutterwave au Nigeria montrent la voie à une nouvelle génération d’entrepreneurs de l’autre côté de la Méditerranée. Et à l’heure où la géopolitique mondiale est en pleine reconfiguration, les pays africains comme le Maroc ont bien conscience qu’il y a un coup à jouer pour prendre une nouvelle dimension sur le plan économique et technologique. Une montée en puissance qui sera à surveiller l’an prochain lors du Gitex Africa 2026 à Marrakech.