Contrairement aux banques français qui se sont retirées du continent africain, Orange continue de se développer de l'autre côté de la Méditerranée. Et dans ce cadre, le poids lourd tricolore des télécoms mise notamment sur le Maroc. Il est donc logique de retrouver l'opérateur au Gitex Africa de Marrakech.

A cette occasion, Maddyness a rencontré Jérôme Hénique, CEO d'Orange Afrique et Moyen-Orient. L'occasion de faire le point sur l'approche d'Orange sur le continent africain au niveau technologique, notamment en matière de collaboration avec les startups situées de l'autre côté de la Méditerranée. Pour rappel, la région Afrique et Moyen-Orient est particulièrement stratégique pour le groupe français. En effet, il s'agit du principal moteur de croissance d'Orange, avec un chiffre d'affaires de 7,7 milliards d'euros en 2024, en progression de 11,1 % sur un an.

MADDYNESS – L’Afrique est-elle l’un des meilleurs terrains d’innovation au monde aujourd’hui pour vous réinventer dans une industrie très concurrentielle ?

C'est vrai que ça bouge beaucoup sur le continent ! Pour nous, cela a toujours été une source d'innovation pour le groupe. Nous sommes présents depuis plus de 20 ans sur le continent, d'abord en tant qu'opérateur, pour apporter la bonne connectivité, avec 165 millions de clients mobiles aujourd'hui. Mais nous nous sommes diversifiés assez vite vers les services financiers mobiles. On a lancé en 2008 Orange Money en Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, nous avons 40 millions de comptes actifs mensuels. Selon la GSMA, il y a à peu près 160 millions de comptes actifs en Afrique, à peu près la moitié du nombre de wallets mondiaux.

C'est clairement une terre d'innovation. Et au-delà de nouveaux services que nous apportons nous-mêmes, il y en a aussi beaucoup que nous proposons en partenariat avec des startups. Nous avons pu accompagner celles-ci au travers de notre dispositif qui s'appelle Orange Digital Center (ODC), qui est présent aujourd'hui dans 16 de nos 17 pays en Afrique, mais aussi 8 pays en Europe. C'est un exemple d'innovation qui a été lancé sur le continent par Asma Ennaifer (directrice de la RSE, de la communication et du programme Orange Digital Center au Moyen-Orient et en Afrique, ndlr) en 2012 en Tunisie, qui a irrigué toutes nos géographies, à la fois en Afrique, au Moyen-Orient, mais aussi en Europe.

Orange Digital Center vous permet de vous engager dans la formation au numérique, mais aussi d'accompagner des startups. Comment cela fonctionne-t-il ?

En effet, c'est un concept assez unique parce qu'ODC regroupe en un seul lieu toutes les briques de l'écosystème numérique, à la fois la formation, et on a formé gratuitement plus de 1,2 million de personnes au numérique à la fin de l'année dernière, ce qui contribue à l'employabilité des jeunes, qui est aussi un enjeu important du continent. Et puis c'est un lieu où, au-delà de chercher un emploi après leur formation, les jeunes peuvent lancer leurs projets au travers de leurs startups. On en a accompagné plus de 300 à date et cela de diverses manières : incubation, accélération et prototypage. Il y a aussi du mentoring, du coaching sur chacune des dimensions de leurs projets jusqu'au financement.

Et pour cette étape décisive, nous avons notamment notre propre fonds Orange Ventures, qui a investi dans une vingtaine des startups incubées ou accélérées dans nos ODC à date. Nous avons aussi des partenaires pour nous aider dans cette mission.

«Avec Orange Ventures, nous ne sommes pas dans une logique de fonds classique»

Justement, vous avez conclu un partenariat au Gitex pour faire monter en gamme votre accompagnement des startups du continent...

En effet, nous venons de signer un partenariat avec Flat6Labs (acteur majeur de l’accélération de startups dans la région MENA, ndlr). Cela va nous permettre à la fois de partager le deal flow et d'identifier des startups prometteuses qui ont besoin de ce type d'accompagnement et de contribuer avec nous à des appels d'offres pour des financements internationaux et financer ces startups directement.

Ce partenariat vient compléter notre dispositif assez complet qui fonctionne selon une logique de réseau dans la mesure où nos Orange Digital Centers échangent les uns avec les autres. Il y a beaucoup d'événements, notamment un Demo Day une fois par an en Égypte où les startups des différents pays viennent pitcher. Ça leur permet aussi d'étendre leur business au-delà de leur marché domestique. On les accompagne dans cette démarche-là au travers des contrats commerciaux qu'elles peuvent aussi avoir avec nous et qui vont leur permettre, au-delà de leur pays de départ, de s'étendre en Afrique subsaharienne ou en Afrique du Nord.

Au Gitex, vous avez quelques startups sur notre stand qui sont assez emblématiques, comme ToumAI. C'est une belle pépite qui fait des LLM en langue locale. De plus en plus de startups utilisent l'intelligence artificielle et nous sommes ravis de les accélérer. En plus, cela est bénéfique pour nos propres services, notamment pour notre super-app Max it, qui permet à nos clients de retrouver à la fois leurs services télécoms, mais aussi des services financiers et e-commerce. Par exemple, on va s'appuyer sur ToumAI pour proposer nos services en langue locale, en utilisant l'IA pour améliorer nos bots.

Récemment, vous avez fait un bel exit avec InstaDeep...

Oui, mais ce qu'on recherche avant tout, ce sont d'abord des synergies stratégiques et des partenariats business plutôt qu'une logique purement financière. Nous ne sommes pas dans une logique de fonds classique dans la mesure où l'on est dans une démarche où la contribution à l'écosystème digital et à nos propres enjeux business est très importante.

«Le Maroc est un hub pour l'Afrique»

Pour vous, le Gitex Africa est un événement majeur. Quelles étaient vos attentes pour cette 3e édition ?

Oui, c'est toujours un moment fort. Ce qu'il faut souligner déjà, c'est que le Gitex prend de l'ampleur. C'est l'occasion d'exposer et de mettre en visibilité les startups que nous accompagnons. Il y en a une vingtaine qui tournent chaque jour sur notre stand. Cela va leur permettre de faire des rencontres utiles pour le développement de leur business, un peu à l'instar de VivaTech en France où on amène aussi chaque année certaines jeunes pousses issues du continent. Cet effort de visibilité leur permet aussi de rencontrer des investisseurs et de rencontrer d'autres startups du même secteur dans d'autres pays. Le Gitex, c'est vraiment la rencontre des grands acteurs formels du continent, en particulier du Maroc mais pas que, et des startups de tous les horizons.

C'est important pour nous de contribuer à cet événement car le Maroc est un hub important pour Orange. Il y a le siège du groupe pour l'Afrique et le Moyen-Orient, qui a été inauguré en janvier 2020. Dans le pays, nous avons toutes nos équipes support, à peu près 160 salariés, pour nos 17 pays en Afrique et la Jordanie au Moyen-Orient.

A vos yeux, le Maroc est-il la locomotive de l’Afrique dans la tech ?

Il y a un rôle très important du royaume en tant que hub pour l'Afrique. C'est une forme de pont aussi entre l'Europe et l'Afrique pour le développement des innovations et les partenariats économiques du continent en général. On voit aussi de plus en plus de grosses startups émerger au Maroc. Elles cherchent à conquérir différents marchés, en particulier en Afrique, mais aussi en Europe. Et puis les investissements des fonds de capital-risque montent en puissance, notamment au Maroc.

Depuis des décennies, nombreux sont les dirigeants et les experts internationaux qui disent que l'Afrique est le continent de demain. Mais est-ce qu'il n'est pas temps de dire que c'est le continent du moment ?

Oui, c'est le continent d'aujourd'hui et depuis un moment. Évidemment, il y a cette frénésie de la tech et des startups. Il y a une capacité impressionnante du continent à se transformer très rapidement et à faire des sauts de grenouille pour adopter directement les technologies de demain. On l'a vu sur les services financiers mobiles avec des innovations importantes. Au départ, c'était l'équivalent de comptes de dépôt, puis cela a évolué vers des services de fintech et d'insurtech très évolués. Cela témoigne de la capacité portée par son dynamisme démographique mais aussi économique à chercher à innover pour concevoir des innovations utiles pour les populations et les entreprises. C'est ça qui fait le bouillonnement de ces startups sur le continent.

Derrière ces projets tech, il existe une logique d'être directement utile aux grands enjeux du continent, que ce soit en matière de santé, d'éducation, d'agriculture, de services financiers et de télécoms. Globalement, l'accélération de la transformation numérique repose sur trois piliers. Le premier, c'est la connectivité. On l'a fait avec la couverture 4G accélérée. Maintenant, c'est l'heure de la 5G. Ensuite, les moyens de paiement électronique sont là, notamment avec Orange Money. Et quand vous avez ces deux-là, il y a aussi le sujet de l'identité numérique qui progresse très vite. Avec ces catalyseurs-là, un écosystème peut se créer car toutes ces startups vont venir les utiliser pour créer leur propre business et leur propre verticale dans les domaines clés que sont la santé, l'éducation, l'agriculture et les télécoms. Et c'est notre rôle au travers des ODC d'essayer de les accompagner au mieux.