À peine installé à la Maison Blanche, Donald Trump a mis en œuvre plusieurs de ses promesses de campagne, dont la condamnation des programmes de diversity, equity and inclusion (DEI)  au sein de l'administration qui, par ricochet, s’applique à ses partenaires privés. Face aux menaces de sanction, plusieurs grandes entreprises américaines ont rapidement annoncé mettre un terme à leurs engagements en faveur de la diversité. 

S’il n’est guère surprenant que l’alternance politique entraîne un changement de doctrine sur ce sujet, la radicalité et la soudaineté de ce revirement sont stupéfiantes. En quelques jours, nous avons changé d’époque. Cette vague puissante va-t-elle déferler sur les rivages français, balayant au passage tant les politiques sociales, patiemment déployées au cours des vingt dernières années, que les départements des directions des ressources humaines qui les animent ? 

Légitimement, les entreprises s’interrogent sur la conduite à tenir, conscientes de l’importances des enjeux, qu’ils soient de nature économique ou liés à l’image de marque. L'erreur serait de se laisser piéger par cette alternative simpliste et manichéenne – être pour ou contre, se conformer ou résister – qui occulte l'essentiel du sujet. 

Un mot, deux approches 

Le terme de « diversité », auquel s’est progressivement ajouté celui d’« inclusion », admet deux conceptions différentes de part et d’autre de l’Atlantique. La diversité au sens anglo-saxon du terme s’attache à la personne du collaborateur, lequel est invité à mettre en avant ses particularités, notamment son origine ethnique, sa couleur de peau, son genre, son orientation sexuelle, etc. Ancrée dans une tradition universaliste, l’entreprise de culture  européenne envisage en revanche la diversité de manière globale. Elle ne se focalise pas sur l'individu mais vise le recrutement d’une variété de profils, parcours et expériences pour multiplier et enrichir les perspectives, en se nourrissant de cultures et de raisonnements divers. En d'autres termes, quand en Europe on met l'accent sur ce qui rassemble, dans le monde anglo-saxon, on souligne ce qui différencie. 

Ces dernières années, la conception universaliste a subi la concurrence de l'approche américaine, plus militante. Bien que certaines entreprises européennes aient adopté, par opportunisme, contrainte ou conviction, cette vision communautariste de la diversité et de l'inclusion, la majorité est restée fidèle à sa tradition. Ce réflexe, plus pragmatique que politique, repose sur une conviction acquise aux prix d’efforts et de déconvenues : la diversité est un facteur clé de performance économique et de cohésion sociale.

Une voie de passage 

Ces années d’expérience ont permis à l’entreprise européenne de réaliser que la segmentation excessive des politiques sociales est inefficace. Au-delà des catégories telles que les jeunes, les seniors, les femmes, les minorités, les personnes en situation de handicap… ce qui importe est de définir un cap pour fédérer l’ensemble des collaborateurs. Dans cette  perspective, la diversité n’est pas une fin mais un moyen pour mettre en marche un collectif de travail vers un objectif commun.  

Cette ambition est de plus en plus ardue aujourd’hui en raison de la multiplication et de l’exacerbation des tensions qui traversent la société : l’individualisme est exalté, les inégalités persistent, la valeur travail se déprécie, les risques sociaux mutent, les colères grondent, les repères s’effritent, les croyances se substituent aux convictions... 

Dans ce contexte inflammable, le rôle de la direction des ressources humaines est crucial. Elle doit non seulement agréger des talents et des personnalités diverses mais aussi panser les blessures, pallier les défaillances des institutions que sont par exemple, la famille, l’école ou les services sociaux, et soutenir chaque personne dans son parcours, parfois heurté. La fonction RH prend aujourd’hui une nouvelle dimension, fondamentale, consistant, en plus de ses tâches traditionnelles, à anticiper et accompagner les transformations sociétales, en gardant l’intérêt de l’entreprise en ligne de mire. Au cœur du réacteur, la DRH est à la fois stratège et cheville ouvrière de la définition et de la construction d’un véritable pacte social.  

Dans l’ouragan, les entreprises européennes doivent tenir leur cap ! Ce qu’elles sont parvenues à construire ne doit pas être remis en cause par les nouvelles d’Amérique. Au contraire. La dynamique qu’elles sont su impulser doit se poursuivre, se renforcer et  s’accélérer. Il ne s’agit pas là d’un acte de résistance, lequel aurait une connotation politique inconfortable, sinon dangereuse. Il s’agit plus prosaïquement d’un acte de saine gestion, tendu vers un objectif socio-économique : des équipes diverses mais mobilisées au nom d’une seule performance durable.