Employés de manière indifférenciée pour donner de la voix à un problème ô combien persistant (et pressant) dans notre société, les deux mots « entrepreneuriat féminin » sont plus préjudiciables qu’on ne les croit. Certes bien intentionnés, ils sont néanmoins le véhicule de stéréotypes ancrés, articulés autour d’une conception purement féminine de la création d’entreprise. Or, agir véritablement au service de l’entrepreneuriat des femmes implique de dépasser – urgemment – nos préconçus !
Aujourd’hui encore, les femmes souffrent d’une sous-représentation persistante dans la création d’entreprise. Selon une étude récemment conduite par OpinionWay, seuls 39% des entreprises tricolores qui ont vu le jour en 2024 sont à l’initiative de femmes. Et ces disparités sont encore plus marquées dans certains secteurs d’activité économique, malheureusement mais traditionnellement associés à des univers dits masculins : les industries de la « tech » et du numérique notamment, ou encore de la finance par exemple.
Les femmes font face à des inégalités structurelles, non à des différences de nature
Un autre type de frein auquel les femmes sont confrontées, contre leur gré : la posture à laquelle elles sont conditionnées dès le plus jeune âge, d’une différence entre les femmes et les hommes. En résulte la construction progressive d’un imaginaire selon lequel il existerait des domaines réservés – ou tout du moins plus adaptés – aux jeunes garçons d’aujourd’hui et hommes de demain. Ainsi, à l’âge adulte, 60% des femmes doutent de leurs capacités entrepreneuriales, contre 30% des hommes.
Ensuite, force est de constater que les entreprises fondées par des femmes perçoivent moins de 5% des fonds de capital-risque, contre 30% des hommes. Une disparité chiffrée qui tient moins à la performance des femmes mais à la perception différenciée dont elles souffrent auprès des investisseurs (carrières entrecoupées liées à la parentalité, sexisme latent, etc.)
Et dernier point et non des moindres, les femmes ont moins facilement accès aux cercles d’influence, réseaux inter-professionnels, discussions en aparté… dans lesquels grands nombres d’opportunités voient le jour. Limitant considérablement leur visibilité et la croissance de leur entreprise. Et on ne saurait que trop rappeler l’importance des pairs dans l’aventure entrepreneuriale !
Le piège du "féminin" : une catégorisation qui limite au lieu d’inclure
En apparence bienveillante, l’expression « entrepreneuriat féminin » présuppose en réalité que les femmes ont une approche propre de l’entrepreneuriat. Ainsi, plutôt de contribuer à résoudre, ou tout du moins permettre de mettre l’accent sur un problème de société, cette expression alimente au contraire des biais inconscients. Elle renforce en effet l’idée qu’il existerait une manière « féminine » d’entreprendre, et sous-entend par-là même que l’entrepreneuriat des femmes constitue une typologie à part entière de l’activité entrepreneuriale. Il n’en est rien !
Dès lors, en usant de la terminologie « entrepreneuriat féminin », le risque est de continuer à isoler les femmes. De les enfermer dans une catégorie, plutôt que de les intégrer pleinement à un pan non négligeable de l’économie, celui de la création d’entreprise. Or tout l’enjeu n’est pas de féminiser l’entrepreneuriat. Mais bien de souligner et d’affirmer son caractère universel, et d’assurer un accès équitable aux ressources et opportunités. L’expression « entrepreneuriat masculin » n’existe pas, pourquoi faire le distinguo pour les femmes ?
Dépasser les MOTS pour lutter contre les MAUX
Pour favoriser une réelle inclusion dans l’entrepreneuriat, il est essentiel de remettre l’égalité des chances au cœur des politiques économiques. Car, bien souvent, ce ne sont pas les compétences ou les idées qui font défaut aux femmes, mais les barrières à l’entrée auxquelles elles font face. L’enjeu n’est donc pas tant d’influer sur leur manière d’entreprendre, si ce n’est à les convaincre qu’elles en sont tout aussi capables que leurs homologues masculins, mais de lever les obstacles qui entravent leur progression.
Et cela implique, notamment, de faire évoluer en profondeur les critères d’attention des investisseurs, en parallèle de l’élaboration d’outils objectifs d’évaluation de sorte à lutter contre certains biais éminemment humains. Dans la même logique, il est essentiel de faciliter l’accès aux réseaux d’affaires et de décision. Soit, faciliter l’accès, trop souvent confidentiel, à des cercles fermés et dominés par un entre-soi masculin. Et finalement, on ne saurait que trop rappeler l’importance de valoriser des modèles de « réussite entrepreneuriale » et moins de femmes qui sont parvenues à créer « leur entreprise de femme ».
Chaque année, les études, baromètres et consorts font florilège pour étudier la place (et la progression) des femmes dans des secteurs d’activité spécifiques ou à des postes spécifiques. Et, chaque année, l’on dresse le constat d’une lente avancée vers la parité. Un constat qui dépasse de loin les frontières de « l’entrepreneuriat » et qui est le reflet de la place des femmes dans l’économie… et de la société.
Et à ceux qui seraient tenter de rétorquer que l’on parle bien de "foot féminin" sans que cela ne soit problématique, je leur répond que les sportives jouent entre elles - et qu'elles sont donc bien dans une catégorie spécifique. Ce qui n'est pas le cas dans l'économie. En tout cas, on l'espère !