S’il y avait un mercato dans la tech, cela constituerait un important transfert. Quelques semaines après l’annonce du départ de Nicolas Essayan qui a participé à construire le portefeuille de Motier Ventures pendant plus de trois ans, family office de la famille Houzé, propriétaire des Galeries Lafayette, Clément Lamolinerie en devient managing partner. Il était jusque-là le visage d’un autre family office, Financière Saint James, fondé par le multi-entrepreneur Michaël Benabou (cofondateur de Veepee notamment). 

Motier Ventures détient un portefeuille de 95 jeunes pousses et est devenu un acteur de référence dans le financement d’amorçage en France, particulièrement dans l’IA. Pour consolider sa place dans l’écosystème et participer à l’émergence des meilleures startups à Paris, Motier Ventures a ouvert “La Maison by Motier”, un lieu d’exception au cœur de la capitale, qui héberge des startups et recevra des événements dédiés à la tech. 

Maddyness fait le point sur la stratégie et les ambitions de Motier Ventures avec son nouveau managing partner, Clément Lamolinerie.

Maddyness : Pourquoi as-tu décidé de rejoindre Motier Ventures ?

Clément Lamolinerie : Je connaissais Guillaume Houzé, président de Motier Invest et fondateur de Motier Ventures, que j’avais déjà eu l’occasion de croiser à plusieurs reprises. J’apprécie particulièrement sa vision du capital-risque. En quelques années, Motier Ventures est devenu une marque incontournable de l’écosystème français. L’équipe a accompli un travail remarquable, avec 95 deals réalisés en trois ans, ce qui en fait aujourd’hui un acteur de référence dans l’early stage à Paris.

De mon côté, j’arrivais à la fin d’un cycle chez Financière Saint-James où Michael Benabou avait choisi de se recentrer sur un projet entrepreneurial. Rejoindre un nouveau projet fort, porté par une marque solide comme Motier, m’a semblé une belle opportunité. Ce qui m’a également séduit, c’est le développement parallèle de La Maison, un projet étroitement lié à l’activité d’investissement. Ces deux dimensions sont profondément imbriquées, ce qui renforce encore mon intérêt.

Par ailleurs, l’équipe est déjà bien en place, avec des fondations solides. Cela me donne envie d’apporter ma propre contribution à cet édifice et de participer à son développement.

M.: Quels sont ces fondamentaux ? Quelle est votre thèse d’investissement ? Va-t-elle évoluer ?

C.L. : Notre thèse reste globalement stable. Nous concentrons nos investissements autour de sept verticales : future of commerce, fintech, creative tech, gaming & consumer, infra & tooling, future of work. Deux thématiques transverses viennent s’y ajouter : la blockchain et l’intelligence artificielle, cette dernière prenant une place croissante aujourd’hui.

Pour moi, l’intelligence artificielle est désormais présente dans quasiment toutes les nouvelles entreprises. Ce n’est plus une catégorie à part entière : elle est devenue une composante structurelle, intégrée dès le premier jour.

Notre stratégie consiste à intervenir en pré-seed, très en amont, principalement en France, mais aussi à l’échelle européenne ou internationale. Nous accompagnons des entrepreneurs ambitieux, capables de bâtir des projets d’envergure. Nous investissons au pré-seed ou seed, et sommes en mesure de réinvestir aux tours suivants, jusqu’en série B. Ce suivi reste un choix tactique, fondé sur le potentiel des entreprises à générer des retours exceptionnels.

Nos tickets types sont de 200 000 euros en pré-amorçage, et jusqu’à 500 000€ pour les tours plus avancés. Mais l’essentiel reste inchangé.

M.: Quel est le critère déterminant pour miser sur un entrepreneur ?

C.L. : En amorçage, les données sont rares. Nous devons donc nous appuyer fortement sur l’humain. Cela passe par du temps passé avec les fondateurs, l’analyse de leurs parcours, la prise de références sur leur manière de travailler et leurs contributions précédentes.

Les deux qualités que nous cherchons prioritairement sont la résilience et la capacité d’adaptation. Créer une entreprise de zéro jusqu’à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires implique de surmonter de nombreux défis – en recrutement, go-to-market, expansion… Il faut des fondateurs ambitieux, capables de faire évoluer leur approche tout en gardant le cap.

La capacité d’exécution est également clé. Enfin, l’écoute est une qualité précieuse : écouter ses investisseurs, ses équipes, son marché… Cela fait toute la différence.

M.: Comment se prennent les décisions d’investissement chez Motier ?

C.L. : Un membre de l’équipe réalise un premier échange avec les fondateurs. S’il est concluant, j’interviens au deuxième rendez-vous. Nous recevons un volume très important de sollicitations chaque semaine. Il faut donc affiner, filtrer, sélectionner. Ce processus nous permet de conclure 20 à 25 investissements par an.

Après le deuxième échange, nous organisons une “finale” avec Guillaume Houzé, au cours de laquelle nous statuerons sur un “oui” ou un “non” de principe. Nous complétons ensuite notre due diligence, notamment via des prises de référence. En général, en trois ou quatre rendez-vous, une décision est prise et un mémo est rédigé.

Pour les tickets allant jusqu’à 300 000 euros, Guillaume et moi constituons le comité d’investissement. Nous raisonnons en enveloppes bi-annuelles et pilotons une poche de capital dédiée à Motier Ventures.

M.: Ce fonctionnement avec une famille vous limite-t-il par rapport à d'autres fonds ?

C.L. : Pas du tout, au contraire. Travailler aux côtés d’une famille apporte une richesse considérable : leur histoire, leur connaissance approfondie du retail, leurs réseaux dans d’autres industries… C’est un écosystème stimulant.

Contrairement aux fonds classiques, nous ne sommes pas contraints par les obligations de relations investisseurs ou de levées de fonds constantes. Et en ce qui concerne notre capacité d’investissement, elle est tout à fait adaptée à notre stratégie early stage. Nous avons les moyens de soutenir efficacement les entreprises du portefeuille.

Cela dit, il n’est pas exclu qu’à l’avenir, nous envisagions l’ouverture à des LPs externes pour gagner en capacité sur des tours plus avancés mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous sommes concentrés sur nos projets actuels. 

Pour le moment, notre stratégie est claire : investir entre 200 000 et 300 000 euros dans une trentaine de sociétés par an, avec un focus fort sur l’early stage.

M.: Au-delà du financier, quel accompagnement proposez-vous aux entrepreneurs ?

C.L. : Nous avons mis en place la “Make a Wish Factory”, pilotée par Mariette Boitard, un poste unique dans l’univers des family offices. Elle est en lien constant avec les fondateurs du portefeuille : dès qu’un besoin se fait sentir – un “wish” – elle active notre réseau pour y répondre.

Les demandes sont très variées : faciliter les connexions au sein du groupe (expertise, design partner) mais surtout auprès des directions innovations de notre réseau partenaires.. Tout cela permet d’accélérer les opportunités commerciales ou les retours terrain.

Nous intervenons également sur la structuration des tours de table. Notre réseau dans l’écosystème des levées de fonds facilite les mises en relation et la construction de tours pertinents, équilibrés entre fonds institutionnels, micro-VC, family offices et business angels.

Enfin, il y a tout l’accompagnement individuel des fondateurs, et un levier puissant avec La Maison by Motier Ventures. Ce lieu accueille certaines startups du portefeuille, crée des synergies, encourage les échanges, et joue un rôle clé dans leur dynamique. C’est aussi un lieu de vie, d’événements, et de rayonnement dans l’écosystème IA.

M.: Lors de la présentation de La Maison, vous avez évoqué l’ouverture à des investisseurs étrangers. Quelle est votre ambition à ce sujet ?

C.L. : L’ouverture se fait par étapes. D’abord les fondateurs résidents, ensuite l’ensemble du portefeuille, puis nos “alliés” – c’est-à-dire notre écosystème élargi : journalistes, partenaires technologiques, entreprises, fonds amis, y compris internationaux.

Nous serons ravis d’y organiser des événements pour des fonds étrangers, des conférences, des moments de rencontre avec des intervenants de qualité. L’objectif est aussi de contribuer au rayonnement de la French Tech à l’échelle mondiale, et de positionner Motier comme un acteur de référence dans cet écosystème.

M.: Comment ton arrivée a-t-elle été accueillie par le portefeuille ?

C.L. : Je suis en train de rencontrer l’ensemble des fondateurs, sachant qu’il y a déjà une vingtaine d’entrepreneurs issus des portefeuilles de Motier que je suivais déjà chez de Financière Saint-James et que je connais donc. Par ailleurs, j’avais  déjà croisé certains entrepreneurs du portefeuille de Motier. Mais je tiens à échanger personnellement avec chacun d’eux pour assurer une transition fluide. L’objectif est clair : continuer à délivrer ce pour quoi ils ont rejoint Motier.

M.: Avec quels investisseurs co-investissez-vous régulièrement ? Et quel lien avec Drysdale, la nouvelle structure d'investissement de Nicolas Essayan ?

C.L. : Nos co-investisseurs sont essentiellement des micro-VC, des family offices et des fonds early stage européens comme Kima Ventures, Purple Ventures, Yellow VC, Seedcamp, ainsi que de nombreux business angels.

Un bon tour de seed repose sur un équilibre : un fonds institutionnel capable de suivre, des family offices ou micro-VC apportant du réseau et de l’opérationnel, et des business angels expérimentés pour accompagner sur la tech ou le go-to-market.

Drysdale, la structure lancée par Nicolas Essayan, fait bien entendu partie de nos alliés. Il continue à faire de l’early stage à Paris avec succès, et nous co-investissons volontiers avec lui (nous avons d’ailleurs une opération en cours ensemble).

M.: Envisagez-vous des stratégies d’exit dans les prochains mois ?

C.L. : Nous ne cherchons pas à imposer des stratégies de sortie aux fondateurs. Cela dit, il existe aujourd’hui des opportunités de liquidité intéressantes pour des structures comme la nôtre, notamment à travers le marché secondaire.

Chez Financière Saint-James, j’avais déjà exploré cette piste. Le portefeuille y a huit ans. Chez Motier, il est plus jeune – trois ans et demi – mais certaines situations pourront justifier des réflexions sur le sujet. Cela se fera au cas par cas, en fonction des opportunités, sans jamais dénaturer la trajectoire des entreprises.

M.: As-tu d'autres projets dans la tech en parallèle de ton activité chez Motier ?

C.L. : Je conserve en effet une casquette de mon ancienne activité : je gère GVA, un fonds de fonds, lancé avec Michaël Benabou, qui investit dans des fonds tech américains. L’idée était de mettre à profit notre réseau pour permettre à d’autres investisseurs d’accéder à des fonds de grande qualité aux États-Unis.

Cela crée des synergies avec Motier : ce réseau américain s’intéresse à nos startups, notamment dans l’IA, et peut être activé lorsqu’elles cherchent à se développer outre-Atlantique.

C’est aussi une formidable fenêtre de veille : je lis les reportings de ces fonds, j’identifie les grandes tendances… Je me rends deux fois par an aux États-Unis.