Je te fais un Lydia” est une expression devenue courante. Et pour cause, l’application compte 8 millions d’utilisateurs, en grande majorité en France. La société a été créée en 2011, l’application lancée en 2013. Un peu plus de dix ans plus tard, Lydia devient un groupe, Lydia Solutions, et l’équipe lance Sumeria, une application de service bancaire. 1,8 million de clients de l’app réalisent des transactions et ont une carte bancaire active.

Notre objectif est de créer un groupe de services bancaires européen”, réaffirme aujourd’hui Cyril Chiche, cofondateur de Lydia Solutions. À la veille de ses 15 ans, la scaleup a des bureaux à Paris, Lyon et Bordeaux. Au cours de son développement, Lydia a levé un total de 235 millions d’euros. Lors du dernier tour de table, Lydia est devenue une licorne et a été valorisée un peu plus d’un milliard d’euros. À quelques mois de la rentabilité, Cyril Chiche revient sur cette aventure et sur la stratégie de Lydia Solutions. Confidences du parrain de la tech.

Maddyness : Allez-vous à nouveau lever des fonds ? 

Cyril Chiche : Nous avons aujourd’hui une visibilité suffisamment claire pour affirmer que nous n’aurons plus besoin de lever de fonds. La trajectoire actuelle nous permet d’atteindre la rentabilité bien avant d’avoir épuisé notre trésorerie actuelle, qui s’étend sur trois ans à ce stade.

M. : Quand visez-vous d’atteindre la rentabilité ? 

C.C. : Notre horizon est la fin de l’année.

M. : Quelles sont les perspectives d'exits pour Lydia Solutions ? Vous projetez-vous en Bourse ? Quelle est votre trajectoire pour les prochaines années ? 

C.C. : Nous construisons une cathédrale. Et comme pour toute cathédrale, ceux qui en posent les premières pierres savent qu’ils n’en verront pas l’achèvement. Cela ne pose aucun problème. Notre ambition est de bâtir un grand groupe de services bancaires européen, conçu pour nous survivre et continuer à se développer bien après notre départ.

Dans cette perspective, il est évident qu’à un moment donné, inscrire l’entreprise en Bourse fera naturellement partie du chemin, que ce soit d’ici 3 ans, 5 ans, ou plus tard. En réalité, toutes les options sont sur la table, l’obtention d'un agrément d'établissement de crédit pour Sumeria, que l’on espère d’ici la fin 2025, puis le lancement à l’international et l’IPO.

M. : Vous avez confié, dans un autre contexte, qu’il fallait lever le plus d’argent possible, le plus souvent possible. Pourquoi cette stratégie ? 

C.C. :  Être dirigeant, c’est aussi savoir identifier et saisir les opportunités, qu’elles soient opérationnelles ou liées à l’investissement. Cette capacité d’analyse et de conviction constitue une part essentielle de notre rôle, quel que soit le périmètre ou la taille de l’entreprise. Il s’agit non seulement de repérer les opportunités, mais aussi d’aligner les parties prenantes – collaborateurs comme actionnaires – autour d’une vision claire.

Les opportunités de financement s’inscrivent pleinement dans cette logique. De la même manière, nous portons une attention constante à nos besoins en devises étrangères : ayant des charges régulières en dollars, nous surveillons attentivement le taux de change euro-dollar. Lorsque ce dernier est particulièrement favorable à l’euro, nous n’hésitons pas à anticiper nos achats de dollars au-delà de nos besoins immédiats. Cette stratégie permet d’optimiser la parité et, par conséquent, de réduire nos coûts opérationnels.

Lorsqu’une opportunité d’ouverture du capital se présente dans des conditions favorables, nous sommes toujours prêts à l’étudier. Dès la création de l’entreprise, nous avons adopté une approche non majoritaire : avec Antoine Porte, nous nous sommes associés à parts égales et, dès l’arrivée du premier investisseur, aucun de nous ne détenait la majorité du capital.

En revanche, nous avons toujours été intransigeants sur les conditions des levées de fonds. Nous n’avons jamais accepté de clauses de liquidation préférentielles avec multiples, ni garanti un quelconque rendement à nos investisseurs. Nous avons toujours refusé de leur promettre une sortie à court terme. Ce sont, pour nous, des conditions qui ne correspondent pas à une vision saine et durable de la croissance.

Enfin, lorsqu’un nouvel acteur entre au capital, il est impératif que sa contribution dépasse la seule dimension financière. La valeur ajoutée – en expertise, en réseau ou en accompagnement stratégique – est un critère décisif dans notre processus de décision.

M.: Chez Lydia Solutions, vous avez toujours appliqué une “gestion par le cash”. 

C.C. : Nous avons toujours adopté une gestion rigoureuse centrée sur la trésorerie, même à une période où les financements étaient facilement accessibles, comme en 2020. À cette époque, nous avons nous aussi levé des montants significatifs à plusieurs reprises. Pour autant, notre attention ne s’est jamais portée uniquement sur le solde bancaire, mais plutôt sur l’horizon de trésorerie : combien de temps pouvions-nous tenir, en l’état, si la situation ne s’améliorait pas ?

Nous avons une certitude : il est impératif de ne jamais se retrouver à court de liquidités. Une telle situation expose l’entreprise à des décisions opérationnelles précipitées, souvent mauvaises, dictées par l’urgence plutôt que par la stratégie. C’est précisément ce que nous avons toujours cherché et réussi à éviter.

M.: Lydia, c'est un succès incroyable, c'est même devenu un nom commun. Pourquoi avez-vous pris ce risque de vous lancer, en plus, dans un service bancaire avec Sumeria? 

C.C. :  Trois éléments expliquent cette décision, et c’est la combinaison des trois qui la rend cohérente.

Tout d’abord, malgré le succès toujours très fort et dynamique de Lydia, son modèle de monétisation reste limité. Il est extrêmement difficile de générer des revenus substantiels avec un service que les utilisateurs perçoivent comme une commodité gratuite. Nous en portons une part de responsabilité : en rendant le service gratuit dès le début, nous avons pu conquérir rapidement le marché. Pour autant, notre ambition a toujours été de bâtir une entreprise rentable.

Le deuxième facteur relève de l’instinct entrepreneurial. Lorsqu’un entrepreneur identifie de nouvelles opportunités pour créer de la valeur pour ses clients, il lui est difficile de s’arrêter. Cette dynamique fait partie intégrante de notre ADN.

Enfin, la troisième dimension est structurelle. Ce qui nous a motivés à créer Lydia au départ, c’était notre conviction que l’expérience utilisateur dans le domaine des paiements était très en deçà de ce qu’elle aurait pu être, compte tenu des technologies et des évolutions réglementaires disponibles au moment du lancement. En avançant dans notre développement, il nous est apparu de plus en plus évident – en tant qu’utilisateurs mais aussi en tant qu’observateurs extérieurs à l’industrie bancaire – qu’il était possible de proposer une solution bien meilleure, notamment autour de l’ouverture et de la gestion de comptes.

Nous disposions en outre des moyens nécessaires, ayant récemment levé des fonds importants. Ce projet représente également un chemin clair vers la rentabilité. C’est pour cela que Sumeria est née, en mai 2024, aux côtés de Lydia.

M.: Du point de vue des utilisateurs, nous avons senti de la confusion au moment du lancement de Sumeria. Nous avons eu l’impression d’un retour en arrière avec une séparation des applications… Que s’est-il passé ? 

C.C. : Il y a effectivement eu de la confusion, mais il ne s’agissait en aucun cas d’un revirement de notre part. En 2023, en plus de la dynamique croissante autour du service historique de Lydia, nous avons enfin pu démontrer une forte traction pour notre offre de compte bancaire, intégrée directement dans l’application. Lydia évoluait alors dans une logique de super-app.

Dans le même temps, une part importante de nos utilisateurs les plus actifs continuaient d’utiliser Lydia exclusivement pour les paiements entre particuliers et les cagnottes. Beaucoup d’entre eux estimaient que l’évolution de l’interface – avec une mise en avant croissante des fonctionnalités bancaires, notamment sur la page d’accueil – nuisait à la simplicité et à l’efficacité de ces usages. Et ils avaient raison. 

C’est pourquoi, dans une volonté de proposer à chaque typologie de client l’interface et l’expérience la plus claire, intuitive et adaptée à ses usages, la séparation entre les deux univers s’est imposée comme une évidence. Et au-delà de distinguer les applications, il était indispensable de créer une nouvelle marque : Lydia étant devenue, dans l’imaginaire collectif, un nom commun associé à un usage précis, il fallait une identité distincte pour incarner notre ambition bancaire. Sumeria devait ainsi exister avec sa propre promesse, son propre territoire de marque, indépendamment de Lydia.

La confusion est née du caractère sensible des services concernés : il s’agit ici de comptes courants, parfois le seul compte bancaire pour certains clients, avec des montants importants en jeu. Modifier une application aussi centrale exigeait de la rigueur. Deux options s’offraient à nous. La première, plus simple en termes de communication, aurait été de réduire les fonctionnalités de Lydia à son périmètre d’origine, tout en créant, à côté, une nouvelle application bancaire. Mais cela aurait conduit à une situation inacceptable : des utilisateurs auraient pu, du jour au lendemain, se retrouver avec une application au même nom, mais sans accès à leur carte, leurs prélèvements ou leur compte. Ce scénario aurait été à la fois juridiquement impossible et profondément irrespectueux vis-à-vis de nos utilisateurs.

La seule solution viable consistait à transférer l’ensemble des fonctionnalités de Lydia vers Sumeria, et à relancer, en parallèle, Lydia comme une application recentrée sur ses usages historiques. Cela impliquait une transition complexe, dont nous avions pleinement conscience. Bien que nous ayons massivement communiqué (près de 200 articles sur Sumeria en mai 2024), une partie de nos utilisateurs n’a pas été touchée par cette information, ce qui a naturellement généré de l’incompréhension.

Dès le premier jour, les deux applications ont cohabité. La confusion, bien que temporaire, était prévisible. Mais elle s’est dissipée progressivement grâce à nos efforts de communication. Aujourd’hui, nous disposons de deux applications distinctes, pensées et optimisées pour des usages spécifiques, avec des positionnements clairs et cohérents.

M. : Quels sont vos projets de développement technique ? Intégrez-vous de l’intelligence artificielle dans vos solutions ? 

C.C. : Nous sommes, depuis le premier jour, une entreprise technologique. Notre priorité absolue est l’utilisateur. Cette philosophie est illustrée par le nom interne donné au projet Sumeria : My Mother’s Bank. Ce nom symbolise notre volonté de créer un service bancaire capable de répondre aux attentes d’une population peu familière avec la technologie – à commencer par ma propre mère, pour qui Sumeria est devenue la banque principale. Chaque évolution de l’application suscite chez elle une réaction, un retour, une question. Cette attention constante nous pousse à concevoir des interfaces et des communications qui s’adressent à chacun comme à une personne qui compte pour nous, et non comme à un simple numéro de compte, ce qui est malheureusement la norme chez de nombreux acteurs.

Cette exigence n’est pas uniquement morale : elle nous impose également de tirer parti des meilleures technologies disponibles. L’intelligence artificielle, par exemple, fait partie de notre quotidien depuis longtemps. Dès 2015, nous avons mis en place des algorithmes de machine learning, notamment pour la détection de fraude ou la vérification d’identité.

L’IA générative est, quant à elle, déployée en production depuis plus d’un an et demi. Elle est déjà utilisée pour de nombreux cas d’usage internes : traitement automatisé des demandes légales, reporting, analyse juridique et réglementaire, aide automatisée en ligne, entre autres. D’autres projets sont en cours, notamment pour enrichir les interactions avec nos utilisateurs, au-delà du texte, dans une perspective où l’interface bancaire deviendra de plus en plus conversationnelle.

Cela dit, nous sommes convaincus qu’aucune technologie ne peut produire de résultats pertinents sans un travail préparatoire rigoureux. C’est pourquoi nous avons d’abord investi dans la structuration et l’amélioration de la qualité de nos données. Dans nos métiers, la protection des données personnelles est un impératif absolu. Aussi, avant même de déployer nos modèles et agents d’IA générative, nous avons développé des moteurs d’anonymisation afin de garantir un cadre d’utilisation sécurisé et conforme.

M. : Et personnellement, quels sont vos projets ? Vous voyez-vous toujours évoluer avec Lydia Solutions ?

C.C. : Je suis loin d’être lassé par cette aventure – bien au contraire. Chaque jour la rend un peu plus stimulante. L’ambition grandit, tout comme le terrain de jeu. En tant qu’entrepreneur, j’ai soif d’apprendre, et je suis convaincu que vivre une telle expérience est rare dans une vie professionnelle.

Je me projette pleinement dans la durée avec Lydia Solutions. Mon intérêt économique est naturellement aligné avec le succès de l’entreprise, en tant qu’actionnaire. Il n’est donc aucunement question pour moi de réduire mon engagement à l’avenir.

M. : Enfin, vous avez lancé le “café Sumeria” il y a quelques mois. Comment ça se passe ? 

C.C. : Ce que je peux dire, c’est que cela vaut vraiment le détour. Le café se situe au 171 rue du Faubourg Saint-Antoine, dans le 11e arrondissement de Paris. Il est devenu un lieu familier pour de nombreux habitants du quartier, ce qui crée une atmosphère conviviale et chaleureuse.

Ce lieu a également une dimension d’accompagnement. Nous y avons évidemment  des conseillers, car il nous semblait essentiel d’offrir à certains clients la possibilité d’échanger en face à face avec des interlocuteurs humains. Cela ne nécessite pas une infrastructure bancaire traditionnelle : pas de sas sécurisé, ni de manipulation d’espèces. Il s’agit avant tout d’un espace d’écoute, d’aide, et d’échange, dans un environnement moderne et détendu. Un bureau fermé garantit la confidentialité des échanges, quand cela est nécessaire.