Clap de fin (ou presque) pour Talent.io. Dix ans après sa création, la plateforme de recrutement spécialisée dans les métiers de la tech a été reprise à la barre du tribunal de commerce par le cabinet français de conseil en management Davidson Consulting. Une triste issue pour cette entreprise qui comptait 175 collaborateurs dans cinq pays à son apogée, mais rendue inéluctable par l’évolution d’un marché du recrutement en ligne devenu atone.

Mais bien avant le placement en redressement en judiciaire de Talent.io en septembre 2024, c’est dès 2022 que la situation s’est dégradée après une période mouvementée entre 2020 et 2023, sur fond d’hypercroissance et de crises macro-économiques. « Au premier semestre 2022, nous étions sur un trend annualisé de 15 millions d’euros de revenus, 40 % de croissance et on flirtait avec la rentabilité », se souvient Jonathan Azoulay, fondateur de Talent.io, auprès de Maddyness. Avant d’ajouter : « Le coup a été assez net à partir du troisième trimestre 2022. Tous les trimestres, nous avons accumulé les baisses d’activité. Le marché était de plus en plus compliqué. En seulement 18 mois, nos revenus ont chuté de 80 %. »

Mesures d’urgence pour se relever

Dans ce contexte délicat, l’entreprise tricolore a cherché des solutions pour stopper l’hémorragie et se réinventer. « Le véritable tournant s’est produit à l’été 2022 avec l’arrêt brutal des financements dans la tech. Le premier poste impacté a été la R&D, et donc le recrutement. Face à cette nouvelle donne, nous avons pris des mesures drastiques : arrêt des marchés déficitaires (Angleterre, Pays-Bas et Belgique) et suppression de certaines offres. L’objectif était de recentrer notre activité sur la France et l’Allemagne, en se focalisant sur les CDI et les freelances. Nous avons également cherché à diversifier notre activité en explorant d’autres métiers, comme les sales », explique Jonathan Azoulay.

Alors qu’il avait pris du recul par rapport à l’opérationnel, l’entrepreneur français est revenu aux manettes de Talent.io en juin 2023 avec l’espoir de sauver sa société. Il y a un an, il voulait croire auprès de Maddyness que le pire de la crise du marché était derrière lui, mais le mal était finalement trop profond. « Malgré tous ces efforts, le challenge devenait de plus en plus compliqué. Dans un marché sans tension, les jobboards traditionnels reprennent le pouvoir », observe Jonathan Azoulay.

« Le plan de continuation n’était pas viable car le marché ne repartait pas »

Le placement en redressement en judiciaire de Talent.io est alors intervenu en septembre 2024. Le fondateur de la plateforme avait encore un mince espoir de s’en sortir. Espoir rapidement avorté. « Au fur et à mesure, nous avons compris que le plan de continuation n’était pas viable car le marché ne repartait pas », confie-t-il.

La procédure s’est donc conclue par un appel d’offres pour reprendre les actifs de Talent.io. Cinq offres ont été déposées et c’est donc celle formulée par Davidson Consulting qui a raflé la mise. « La brique Freelance continuera son activité, la brique CDI devrait être arrêtée dans les semaines qui viennent. Dans l’intervalle, le site continuera de fonctionner sans restriction pour toutes les entreprises actives et candidats déjà visibles, gratuitement, mais sans support humain », a précisé Talent.io sur son site internet. « L’équipe qui est restée jusqu’au bout a réussi à finaliser l’histoire sans qu’il n’y ait le moindre prestataire ou freelance non payé. Dans ce type de procédure, c’est un exploit », salue de son côté Jonathan Azoulay. L'histoire s'arrête donc après une décennie durant laquelle près de 10 000 profils tech ont trouvé un emploi via Talent.io.

LinkedIn est-il en train de tuer le marché ?

L’entreprise tricolore est loin d’être un cas isolé. Plusieurs de ses concurrents internationaux ont également déposé les armes, à l’image de Hired, Triplebyte et Vettery aux États-Unis, ainsi que Honeypot en Allemagne. Autant de signes qui montrent que le marché est à bout de souffle et dont le dernier clou du cercueil pourrait bien se nommer LinkedIn, dont la domination n’a cessé de grimper depuis le rachat du réseau social professionnel par Microsoft en 2016.

Aux yeux de Jonathan Azoulay, LinkedIn pourrait ainsi rapidement plier le match. « Le secteur du recrutement traverse une période difficile. Au-delà du cycle économique qui nous affecte, LinkedIn gagne en puissance. Longtemps complémentaire aux services et outils de recrutement, la plateforme bénéficie désormais de l’IA pour ajouter une véritable couche servicielle, qui lui manquait jusqu’ici. Les acteurs du recrutement continuent d’investir massivement pour obtenir des accès privilégiés à LinkedIn, mais peinent à rentabiliser ces coûts. Une dynamique qui risque de conduire à une situation monopolistique », analyse-t-il.

« Je ne compte pas m'arrêter là »

Malgré la fin de son aventure avec Talent.io, l’entrepreneur n’est pas forcément très amer à l’heure de faire le bilan. « Quand tu es avec une bonne équipe, tu ne sors pas forcément essoré ou frustré. Ce n’est pas mon sentiment. Je suis plutôt reconnaissant des apprentissages et de l'aventure humaine », assure-t-il. Et de poursuivre : « Pendant 15 ans, recruter des développeurs était l’un des trois premiers défis des entreprises de l’innovation. C’était un besoin vital à l’instant T, mais ce n’est plus la priorité des entrepreneurs aujourd’hui. Il faut accepter que certains besoins émergent, dominent un temps, puis s’effacent. »

Et maintenant, quelle est la suite ? « Je sors de ce marché (le recrutement, ndlr), je n’ai plus envie d’être là-dedans. Cela fait 15 ans que j’y suis ! » Cependant, une aventure dans un autre secteur est-elle envisageable ? « Oui, je suis toujours aussi passionné d'entrepreneuriat et je ne compte pas m'arrêter là », prévient Jonathan Azoulay.