L’heure n’est pas à la fête dans le capital-risque et cela se ressent sur les sorties dans le secteur. En effet, les opérations (hors faillites) ont connu une chute de 33 % en 2024, avec 3 118 deals réalisés en Europe et aux États-Unis, contre 4 786 en 2023 et 5 781 en 2022. C’est l’un des enseignements majeurs de la première étude sur les sorties en capital-risque réalisée par Interpath. Pour dresser cet état des lieux, ce cabinet s’est appuyé sur les données de PitchBook pour analyser les sorties de capital-risque qui ont eu lieu de janvier 2022 à décembre 2024.

Cette baisse s’est essentiellement ressentie sur les transactions «VC-to-VC» qui ont diminué de 56 % en un an. «Au niveau global, cette diminution est très forte. On la comprend très bien conceptuellement : il y a une crise des liquidités depuis mi-2022, et les taux d’intérêt directeurs n’ont commencé à diminuer que l’an passé», explique Lauren Goodenough, directrice Deal Advisory qui pilote l’équipe Tech & Growth d’Interpath. Avant de poursuivre : «Le late-stage est un segment qui a été un peu à l’arrêt, ce qui engendre cette chute spectaculaire dans les transactions. Avec la crise des liquidités, cette catégorie est punie d’une certaine manière. En Europe, il y a une faiblesse de cet écosystème late-stage. La France est très forte sur l’early-stage, mais les VC et LPs français n’ont pas assez de poches profondes pour financer cette classe d’actifs.»

SaaS, IA et Fintech, le trio qui résiste bien

Dans le détail, il y a eu 271 transactions «VC-to-VC» aux États-Unis au premier trimestre 2024 pour seulement 33 au quatrième. Même dynamique en France, où il y en a eu 35 sur les trois premiers mois de l’année 2024, avant de quasiment disparaître en fin d’année. A chaque fois, ce sont les transactions «VC-to-Strategic» (cessions des parts aux corporates) qui ont pris le relais : 211 au quatrième trimestre aux États-Unis, 24 en France. Dans cette reconfiguration du marché du capital-risque, les secteurs du SaaS, de l’IA et de la fintech ont bien résisté, quand ceux des TMT (Technologies, Médias et Télécommunications), de la manufacture et du mobile ont payé les pots cassés.

Dans l’IA, Lauren Goodenough estime que «la règle du winner-takes-all est assez importante, notamment pour des acteurs comme OpenAI qui développent des LLM». Mais une autre typologie d’acteurs peut tirer son épingle du jeu selon elle : «Il y a une catégorie intermédiaire qui intéresse les investisseurs, à savoir des entreprises moins affiliées à un modèle précis qui font des choses pour proposer une IA assez efficiente. Dans ce sens, Hugging Face fait des choses très intéressantes dans le domaine par exemple.»

Le rythme des faillites a décéléré au fil de l’année

De manière générale, le déclin des deals s’accompagne d’un nombre significatif de faillites qui se sont multipliées en 2022 quand le contexte économique est devenu morose avec la remontée des taux d’intérêt des banques centrales et le robinet à cash qui s’est brutalement fermé dans la tech. Résultat : les fonds d’investissement ont contraint à les startups à revoir rapidement leur copie pour privilégier la rentabilité au détriment de l’hypercroissance.

Dans ce contexte, les faillites ont explosé et atteint un niveau record en 2024 des deux côtés de l’Atlantique. Sur les 6 069 exits identifiés l’an passé en Europe et aux États-Unis, 2 881 se sont soldés par une banqueroute. C’est davantage qu’en 2023 (2 040) et 2024 (1 661). «Le chiffre paraît extrêmement élevé, ça fait un peu froid dans le dos, mais ce n’est pas une grande surprise dans le contexte actuel», observe Lauren Goodenough. Mais la bonne nouvelle, c’est que le rythme de ces défaillances a ralenti au fil de l’année écoulée : de 772 à l’issue du premier trimestre à 640 au quatrième.

«En France, les cycles de venture sont un peu plus longs»

En Europe, ce sont 1 352 faillites qui ont été enregistrées, contre 1 015 en 2023. Le Royaume-Uni a été le pays le plus touché, avec 359 faillites, devant la Suède (112) et l’Allemagne (107). Quant à la France, elle a terminé l’année écoulée avec 106 faillites, contre 153 en 2023. Ce recul des défaillances détonne dans le paysage mondial alors que le Royaume-Uni et les États-Unis ont été confrontés à une accélération des faillites. «En France, les cycles de venture sont un peu plus longs. De plus, il y a un capital plus patient dans l’écosystème. Beaucoup de family offices ont une vision plus long terme qu’un fonds de pension», souligne Lauren Goodenough. «Il ne faut pas oublier que l’écosystème VC aux États-Unis a décollé dans les années 1970 en même temps que les fonds de pension», ajoute-t-elle.

Au-delà de cet écosystème VC mieux structuré, les Américains se distinguent également par une culture business différente : ils n’hésitent pas à tuer rapidement une société si elle n’a pas la traction escomptée. «La faillite est normale dans le parcours de l’entrepreneur aux États-Unis. Il est plus accepté socialement d’échouer là-bas. Surtout, les boîtes s’arrêtent en moyenne plus tôt qu’en France ou en Europe», confirme Lauren Goodenough. Par conséquent, que le cercle soit vertueux ou laborieux, les dynamiques s’en retrouvent décuplées : il y a eu 1 529 faillites aux États-Unis parmi les exits des VC l’an passé.

Retour des IPO à Wall Street ?

Après une année 2024 qui n’a pas été de tout repos, l’année 2025 sera-t-elle plus réjouissante ? Lauren Goodenough estime qu’il y a des motifs d’espoir alors que la fin d’année 2024 a permis d’entrevoir une stabilisation du volume de transactions «VC-to-PE» (Private Equity) en Europe et des sorties «VC-to-Strategic» aux États-Unis. Un réalignement des planètes qui devrait booster à nouveau les entrées en Bourse. «On peut espérer une ouverture des IPO sur le marché américain. Mais on devrait partir sur des opérations de taille plutôt modérée sur des entreprises rentables. C’est la carte d’identité des IPO potentielles en 2025», estime Lauren Goodenough.

Euronext n’étant pas le Nasdaq, que peut-on attendre en France ? «Les stratégies d’acquisition des BigTech vont booster l’écosystème de sorties français», estime la directrice Deal Advisory d’Interpath. Avant de conclure : «En France, j’espère que la stabilisation politique entrevue fin 2024 va faire revenir les capitaux étrangers. Mais plus globalement, le private equity va avoir un rôle important sur le marché français.» Dans ce cadre, les six premiers mois de l’année devraient permettre de dégager une tendance pour voir si ces prédictions se vérifient sur un marché du capital-risque qui s’adapte à un nouveau paradigme économique et géopolitique.