Les startups ne sont pas les seules à vivre leur révolution. Dans un contexte macro-économique tendu depuis ces 18 derniers mois, les investisseurs en capital-risque, moteurs de leur émergence, font face à des défis majeurs. Leurs choix et stratégies conditionnent en grande partie la santé et la souveraineté de notre chaîne de financement, notamment de l’innovation.

La concentration des capitaux n’a jamais atteint des niveaux aussi inédits : en 2024, selon PitchBook, 75 % des capitaux levés par les VCs américains étaient captés par seulement 30 fonds, dont 11 % pour le seul Andreessen Horowitz. Plus frappant encore, 20 fonds concentrent aujourd’hui 95 % des profits mondiaux, dont la plupart sont américains. Par conséquent, ce phénomène illustre la sous-performance des acteurs européens, alors que les besoins de capitaux nécessaires à l’émergence de nouveaux GAFA sont de plus en plus importants.

Du VC gestionnaire au VC visionnaire

Dans ce contexte ultra-compétitif, les VCs européens doivent se différencier pour exister. Plus que jamais, ceux qui sortiront du lot ne seront plus de simples gestionnaires, mais des visionnaires, capables de repérer des tendances de rupture et d’assumer une prise de risque stratégique sur des sociétés à forte croissance. Cela implique de concentrer les investissements dans des startups positionnées sur des marchés profonds et mondiaux, où les dynamiques commerciales sont déjà éprouvées et où les perspectives de rentabilité sont évidentes. C’est la seule voie possible pour sécuriser des opérations de M&A d’envergure, sur la base de multiples élevés, ou des introductions en Bourse réussies, et ainsi éviter que l’Europe ne reste un acteur de second plan face aux mastodontes américains et asiatiques.

Il ne s’agit plus seulement d’identifier les bons secteurs dans lesquels investir, mais de comprendre en profondeur les dynamiques technologiques qui vont cristalliser les succès. Dans plusieurs industries critiques les transformations en cours sont déjà visibles, comme dans le spatial où l’IA est en train de révolutionner l’accès aux infrastructures et à la gestion des données accélérant la montée en puissance des constellations de satellites et de services en orbite, ou encore dans la logistique qui, après une première vague d’automatisation, assiste à l’essor de robots humanoïdes capables de transformer en profondeur la gestion des entrepôts et la sécurité des employés.

Positionnement tactique

La capacité à rentrer dans des consortiums d’investisseurs de premier rang est également un facteur clé de succès. Contrairement aux idées reçues, « big is not always beautiful » : les grands investisseurs, notamment les fonds souverains, disposent certes de ressources financières conséquentes pour permettre à une société technologique de s’internationaliser, mais ils sont souvent plus averses au risque et moins impliqués dans les considérations opérationnelles. C’est là que les VCs européens ont un rôle déterminant à jouer, en se distinguant par une expertise pointue dans des domaines critiques et tout autant stratégiques. Structuration de la propriété intellectuelle, développement de l’outil industriel, travail du produit, identification des meilleurs profils ou équipes pour renforcer l’exécution de la stratégie etc. Les VCs spécialisés deviennent alors indispensables aux grands investisseurs, en leur apportant l’expertise et l’accompagnement qui garantissent la scalabilité des entreprises financées.

Les sorties, maillon faible du VC européen

Aujourd’hui, les VCs européens disposent dans leurs réserves d’environ 30 milliards d’euros de capitaux disponibles, sur un total mondial de 370 milliards. Naturellement, accroître ce montant disponible est une priorité absolue, d’une part afin d’amplifier la présence des VCs dans les tours de table ambitieux, et d’autre part de manière à préserver un ancrage européen dans le capital des start-ups à très fort potentiel.

Le problème majeur réside dans les sorties : contrairement aux Etats-Unis où le marché secondaire est profond, permettant à d’autres investisseurs de reprendre le relais, l’Europe souffre d’un écosystème moins mature. Les sorties retentissantes restent largement dominées par les VCs américains, qui bénéficient d’une profondeur de marché inégalée.

Les VCs européens doivent en faire leur priorité au cours des prochains mois, en dépit des niveaux de valorisation qui ont baissé. Cela montre d’abord que le du capital-risque n’est pas une bulle mais un moteur de croissance réelle, avec des sociétés qui performent en apportant des solutions concrètes aux défis de notre époque. Cela permet ensuite de prouver que le secteur génère de la performance, y compris sur des secteurs de niche ou très avancés technologiquement, à l’instar de la deeptech. Cela conditionne, enfin, des levées de fonds plus significatives auprès des investisseurs institutionnels ou industriels, convaincus par l’aptitude des VCs à créer de la valeur.

Si la concentration de plus en plus extrême des capitaux est une dynamique difficilement enrayable, la guerre du financement technologique peut se gagner sur d’autres terrains, à condition, pour les acteurs européens, de faire des choix… et des sorties.