Entre les entreprises et leurs collaborateurs, est-ce l’heure du divorce ? Il est peut-être encore un peu prématuré d’en parler en ces termes, mais le désalignement entre les attentes salariales des employés et les efforts que sont prêts à consentir les entreprises pour y répondre est de plus en plus prononcé. C’est ce qui ressort de l’étude annuelle menée par The Product Crew sur les salaires et l’emploi dans la tech. Ce sont 5 804 répondants, essentiellement des salariés dans des startups et scaleups, qui se sont prêtés au jeu, contre 3 205 un an plus tôt.

A l’issue de cette année 2024, l’heure n’est pas à la fête. En effet, 50 % des salariés veulent changer d’emploi dans les 12 mois et c’est la même proportion qui n’a bénéficié d’aucune revalorisation salariale au cours de l’année écoulée. Par conséquent, la rupture est de plus consommée entre les salariés et les entreprises : seulement 26 % des répondants sont satisfaits de leur rémunération à l’heure actuelle, contre 55 % un an plus tôt ! « Les salaires n’augmentent plus. Il y a décalage entre ce que veulent les employés et ce que les entreprises sont prêtes à donner », observe Mathias Frachon, co-fondateur de The Product Crew.

50 % des salariés veulent partir et obtenir une meilleure rémunération

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir les salariés ayant des envies d’ailleurs de placer un salaire plus élevé en priorité absolue. C’était un impératif pour 16 % d’entre eux dans la précédente étude, mais ce pourcentage a bondi en un an à 43 % ! Les autres raisons avancées pour justifier les envies de départ sont le besoin de nouveaux challenges (18 %) et le fait de ne pas être en phase avec le management (14 %). A l’inverse, le développement de nouvelles compétences (22 %) et de bonnes perspectives d’évolution (17 %) donnent envie aux salariés de rester.

Concernant le télétravail, le consensus se confirme autour de deux (35 %) à trois (24 %) jours en remote. 75 % des employés travaillant en hybride ou en présentiel se déclarent ainsi satisfaits. « Le modèle hybride a gagné, le full TT est quasiment mort », note Mathias Frachon. Avant d’ajouter : « En 2021, 70 % des offres étaient ouvertes au full remote, ce sont seulement 14 % désormais. »

Dans les entreprises, seulement 46 % prévoient d’étoffer leurs effectifs au cours des 12 prochains mois, quand 19 % ne souhaitent recruter que pour remplacer des collaborateurs et 16 % estiment carrément qu’elles n’ont pas besoin de recruter pour le moment. Pire encore, une part significative des entreprises interrogées (19 %) se montre assez fermée sur l’emploi pour l’année à venir, avec des mesures restrictives envisagées (recrutements gelés, départs forcés, ruptures de période d’essai…). « Chaque recrutement est associé à un ROI », souligne Mathias Frachon. Bref, la fête est bel et bien finie.

« La tech n’est plus dans une bulle »

Cette ambiance morose se reflète dans l’évolution des salaires, si tant est que l’on puisse parler d’évolution… En effet, l’heure est à la stagnation : 0 % pour les postes Tech (salaire moyen à 63 000 euros) et Design (58 000 euros) et baisse de 1,7 % pour les emplois centrés sur la Data (59 000 euros). Seuls les postes dans le Product (68 000 euros) ont enregistré une timide hausse des salaires de 1,5 %. « Tout est quasiment flat, voire en décroissance. La tech n’est plus dans une bulle. Les entreprises répondent à des règles de marché plus classiques », résume Mathias Frachon. L’heure n’est plus à la prise de risque et aux paris audacieux, mais à l’austérité pour optimiser les marges et se rapprocher autant que possible de la rentabilité pour rassurer les actionnaires.

A la lumière de ces enseignements, il n’est donc pas étonnant de voir le sentiment général sur le marché de l’emploi dans la tech ne pas être au beau fixe. Surtout que les perspectives économiques dans le secteur ne sont pas forcément réjouissantes, avec une crise du financement qui pénalise toujours les startups et des défaillances qui se multiplient dans l’écosystème. Par conséquent, la majorité des répondants (78 %) fait état d’une perception réservée ou négative du marché. Dans le détail, le sentiment d’incertitude prédomine (53 %) et c’est la crise pour 25 % des personnes interrogées. 22 % restent optimistes et s’attendent à une reprise, contre 28 % un an plus tôt.

La tendance : des startups avec très peu d’employés pour faire un maximum d’ARR

Ce marché de l’emploi est bien évidemment bouleversé par l’envol de l’intelligence artificielle dans les organisations. Pourtant, cette technologie peine encore à pleinement convaincre totalement au sein des entreprises. En effet, si 51 % des répondants observent un impact grandissant de l’IA dans leur entreprise, seulement 11 % observent un impact significatif sur le business et les équipes. Un chiffre en très faible progression par rapport à l’année précédente (9 %). « C’est très progressif », confirme Mathias Frachon.

Néanmoins, il y a une tendance claire qui se dégage avec l’intelligence artificielle : les entreprises avec un minimum de salariés pour réaliser un maximum de chiffre d’affaires. « On assiste à l’émergence de startups AI-powered qui atteignent 100 millions d’euros de revenus annuels récurrents avec moins de 50 employés, et créent un nouveau standard dans l’industrie », analyse The Product Crew. « De plus en plus de founders veulent des petites équipes pour faire plus avec moins de gens à l’aide de l’IA. Dans ce cadre, les fonctions design, tech et growth sont beaucoup plus valorisées avec les entrepreneurs », ajoute Mathias Frachon. Cette tendance très forte au sein de la Silicon Valley va-t-elle « inonder » la French Tech dans les prochains mois ? Réponse dans la prochaine étude annuelle de The Product Crew.