En 1895, il y a 130 ans exactement, les frères Lumière présentent au Grand Café de Paris une révolution : le Cinématographe. Cette invention, à la croisée de la technique et de la création, marque la naissance officielle du cinéma. Les premières projections publiques de "La Sortie de l’Usine" provoquent l’émerveillement et l'affluence du public parisien, qui découvre avec stupeur, des images en mouvement, des motion pictures.
Cette invention s’inscrit dans la grande histoire de la narration : contes et légendes de l’Antiquité, l'imprimerie, la photographie, qui a, dans son instantanéité, révolutionné notre rapport au réel. Chaque innovation technologique qui a suivi n’a pas simplement remplacé la précédente, mais l'a transformée et enrichie, ouvrant de nouvelles possibilités expressives. Qu'en est-il de l'IA dans sa capacité à créer des images, des sons pour le cinéma ?
L’intelligence artificielle : nouveau solfège du cinéma ?
Dès 1939, aux Etats-Unis, la cérémonie des Oscar récompense les meilleurs effets spéciaux. D'abord profilmiques, chimiques et mécaniques, ils passent ensuite au numérique. L’histoire du cinéma se confond avec celle de ses évolutions ; polytechniques. Toute cette créativité a inlassablement oscillé entre tradition et innovation, et le cinéma, dans son déploiement, ne s'est pas posé de questions, l'image s'est mise au service des récits, elle sert le pouvoir des idées.
Avec le surgissement de l’intelligence artificielle générative, la société du spectacle a compris que la distance séparant l’idée de sa réalisation a été réduite à l’instantanéité d’un prompt. Et comme dirait Spiderman : "Un super-pouvoir implique de grandes responsabilités". Avec l'IA, on passe ainsi de la manivelle au prompt. Pour ce faire, une panoplie d'outils sont mis à disposition des créateurs. Littéralement avec Veo 2, Runway, Sora, Pika, Freepik ... une nouvelle grammaire de l'image s'impose. Pour le son, des générateurs de musique comme Udio et Suno facilitent l'habillage sonore. Sans exagérer, tous les jours, surgissent de nouveaux outils pour la creative class.
Et dans le vrai cinéma, cette révolution est déjà à l'œuvre, The Brutalist et Emilia Perez tous deux récompensés, ont d'ores et déjà utilisé l'IA. Utilisée à escient et à propos, elle se révèle invisible, indolore, efficiente. Bientôt, très bientôt, un long métrage entièrement réalisé avec l'IA verra le jour. Dans son développement sans précédent, l'IA générative combinée à la maîtrise de workflow agiles, permettra la genèse de nouvelles imageries ainsi que l'avènement de nouveaux formats, alternant entre mode passif et actif, et allant dans le sens d'une interactivité conçue pour différentes audiences, tout autant versatiles que mobiles.
L’IA va donc démocratiser la création audiovisuelle en jouant sur le couple opérationnel [vitesse/coût] de production. Ce mouvement permet déjà à de nouvelles voix de pouvoir s'exprimer. La barrière du capital est abolie, la création s'en saisit. Souvenez-vous des home studios, des claviers MIDI de Depeche Mode, des premiers films tournés à l’iPhone, de l'album Homework des Daft Punk : nous assistons à la naissance d'une nouvelle pop culture. Naturellement, il serait illusoire de ne pas se questionner sur la portée d'une telle innovation. L'IA soulève des questions éthiques, juridiques et économiques fondamentales sur l’authenticité des œuvres, l’avenir des métiers du cinéma et la juste rémunération des ayants-droit.
Nouvelles lumières : l'IA comme vecteur d’avant-garde
À Paris déjà, des écoles de cinéma, comme l’EICAR, ont intégré l’IA dans leurs programmes de formation. Des outils d’aide à l’écriture de scénarios voient le jour pour assister les auteurs, des studios IA émergent sur les cinq continents, et des animations jusque-là impensables s’intègrent dans la création de nouvelles images à la croisée des jeux vidéo et des réseaux sociaux. Des festivals de films, comme celui de MK2, récompensent désormais des réalisations principalement conçues avec l’IA. Et ce mercredi 19 mars 2025, le cinéma a fêté ses 130 ans. Invention française et lyonnaise, n’en déplaise aux héritiers d’Edison. Et l’intelligence artificielle pourra dans le casting des possibles, jouer un vrai grand rôle : être au service de la créativité humaine, débridée, amplifiée, stupéfiante. Et le cinéma, fort de son exigence artistique, ancrée dans des savoir-faire séculaires, saura à n'en pas douter, combiner tradition et audace technologique.
Alors, que l’aventure continue… Action !