C’est dans un immeuble d’entreprise au cœur de Paris que se cachent les locaux de Coinhouse. La plateforme d'échange, d’achat, de stockage et de gestion de cryptomonnaies veut rester discrète : son adresse ne se trouve pas sur internet. Pas de logo, pas d’interphone… Le monde de la crypto sait qu’il faut rester prudent, encore plus après ces dernières semaines. 

Beaucoup de fantasmes entourent ces nouvelles monnaies et la finance décentralisée, notamment la promesse d’un accès facilité à une forme de richesse. Mais les cryptomonnaies représentent surtout la possibilité d’échanger et d’épargner différemment et ainsi de transformer profondément nos sociétés en limitant le rôle des intermédiaires bancaires traditionnels. 

Coinhouse, anciennement La Maison du Bitcoin, est l’un des acteurs majeurs français de la gestion de crypto. Née de Ledger, Coinhouse réunit aujourd’hui près de 100 000 clients. Entretien avec Nicolas Louvet, CEO de la plateforme, un crypto convaincu raisonnable. Après 15 ans dans l’investissement en capital-risque, et notamment chez Sofinnova, Nicolas Louvet se lance dans l’aventure Coinhouse en 2017. 

Maddyness : Vous aviez, dès 2017, cette vision que les usages de la crypto allaient se démocratiser…

Nicolas Louvet : J’avais bien compris la vision d’Éric Larchevêque, qui voyait en Bitcoin un enjeu majeur, notamment dans le domaine des actifs financiers. Très vite, Bitcoin a été qualifié de Digital Gold, d’or numérique, une appellation qui traduit bien son positionnement en tant que réserve de valeur.

Cependant, réduire l’univers des cryptomonnaies à une seule technologie – la blockchain Bitcoin – et à un seul actif – le Bitcoin – me semble trop limité. D’ailleurs, s’il ne s’agissait que de cela, je ne serais probablement pas là aujourd’hui. Bitcoin est un actif que je trouve intéressant, mais à lui seul, il ne justifie pas mon engagement dans cet écosystème.

Ce qui me passionne, c’est la manière dont cette technologie peut transformer le monde des paiements et de la finance. Bitcoin représente une première mutation, celle d’un actif qui prend de la valeur et sert de réserve. Mais la vraie révolution réside dans la blockchain elle-même et dans ses applications bien au-delà de Bitcoin.

Grâce à la blockchain, nous pouvons repenser les paiements avec certaines cryptomonnaies et stablecoins, et révolutionner les services financiers. Cette technologie permet d’utiliser la notion de collatéral, de fluidifier les interactions entre acteurs économiques, d’accélérer les transactions tout en réduisant le nombre d’intermédiaires. Surtout, elle introduit un système où la validation se fait de manière autonome grâce aux smart contracts, offrant ainsi plus de transparence et d’efficacité.

Ce qui me semble encore plus fascinant, c’est la possibilité de redonner du pouvoir aux individus. Aujourd’hui, ce sont principalement les banques qui prêtent et gèrent l’argent des particuliers. Avec la DeFi (finance décentralisée), ce modèle est bouleversé : chacun peut prêter ou emprunter directement, sans intermédiaire bancaire. Ce nouveau paradigme offre des opportunités inédites, avec des rendements différents et un rôle actif pour les utilisateurs, qui deviennent de véritables acteurs de la finance.

M.: Quel est le rôle de Coinhouse dans tout ça ? 

N.L.: Notre stratégie repose sur un principe simple : offrir plus de liberté aux individus et permettre l’émergence du futur de la finance grâce à la technologie blockchain. Notre activité s’apparente à celle d’un établissement bancaire, plus précisément d’une crypto-banque, mais nous n’avons pas de licence bancaire et ne sommes pas une banque au sens traditionnel du terme.

Coinhouse est avant tout une plateforme digitale : tous nos services sont accessibles via une application, et non plus en agence physique. C’est l’une de nos différences majeures. Nous ne sommes pas un simple exchange non plus. Bien sûr, nous permettons aux utilisateurs d’échanger des cryptomonnaies, mais notre mission va bien au-delà.

Tout d’abord, nous leur offrons la possibilité de conserver leurs cryptos de manière sécurisée. La sécurité a un coût, mais c’est avant tout une responsabilité. Chez Coinhouse, vous pouvez acheter aujourd’hui une soixantaine de cryptos. Demain, ce sera 80, puis une centaine. Nous assurons leur conservation.

Ensuite, ces actifs ne sont pas statiques. Les utilisateurs peuvent les utiliser librement : vendre leurs cryptos contre des euros, les échanger entre elles ou en acquérir de nouvelles. Nous proposons plusieurs solutions de paiement, qu’il s’agisse d’un compte en euros ou de paiements par carte bancaire.

Nous allons encore plus loin en offrant des opportunités de rendement sur certaines cryptos. L’idée est simple : permettre à nos clients de faire fructifier leur capital. Pour ceux qui ne se sentent pas à l’aise dans la gestion de leurs actifs numériques, nous proposons des mandats de gestion : nous prenons en charge l’investissement pour eux. Cette approche s’accompagne d’un service de conseil et d’accompagnement, que nous enrichissons par des abonnements offrant un accès à du contenu exclusif et à des recommandations personnalisées.

Le marché connaît des fluctuations importantes. Il y a un mois, lors de l’élection de Donald Trump, il était en pleine ascension, poursuivant une dynamique haussière. Puis, il a chuté. Une telle volatilité peut être déstabilisante et susciter des interrogations : « J’ai investi, j’ai perdu 30 %, que dois-je faire ? » C’est là que nous intervenons en apportant de la pédagogie et du recul. Nos contenus et notre service client, disponible par chat ou téléphone, sont là pour accompagner et expliquer que ces variations font partie de l’univers des cryptos.

Tous ces services forment un écosystème crypto-bancaire, qui continuera de s’enrichir à l’avenir, en offrant toujours plus de possibilités aux utilisateurs.

M.: Quels sont les nouveaux services ou produits à venir ? 

N.L.: Il y en a plusieurs. L’une des principales attentes de nos clients concerne l’ajout de nouvelles cryptomonnaies, une demande forte à laquelle nous répondons en élargissant progressivement notre offre. De la même manière, l’intégration de nouvelles fonctionnalités, comme le stop loss, figure parmi nos développements prioritaires. Cette fonctionnalité permettra à nos utilisateurs de limiter leurs pertes et de mieux gérer leur capital dans un marché aussi volatil que celui des cryptos.

Un autre axe essentiel de notre stratégie est l’évolution et la démocratisation de nos abonnements. Nous souhaitons proposer des formules plus accessibles et attractives, tout en maintenant un haut niveau d’accompagnement et de services. Dans cette logique, nous nous engageons à réduire progressivement nos tarifs à mesure que le marché se développe. L’objectif est double : élargir notre base de clients et rendre notre modèle plus inclusif, sans compromettre la qualité de notre expertise.

Historiquement, nous avons adopté un positionnement haut de gamme, axé sur un accompagnement personnalisé et une approche rigoureuse. Cela nous a permis de construire une clientèle d’une très haute qualité et d’une grande valeur. Ce positionnement se reflète clairement lorsque nous échangeons avec nos concurrents et partenaires européens. Nous constatons des écarts significatifs, notamment en termes de rapport entre chiffre d’affaires et nombre de clients.

M.: Quel est votre chiffre d’affaires, vos encours sous gestion ?

N.L. : Nous sommes aujourd’hui à l’équilibre. Bien que nous ne communiquions pas sur nos encours, ce sont des montants significatifs. Avec une équipe d’une centaine de personnes, nous avons atteint la rentabilité, même si cela n’a pas toujours été le cas.

En 2021, par exemple, nous avons connu une forte rentabilité, avant d’enregistrer une baisse en 2022 et 2023. En 2024, nous sommes de nouveau rentables. Cela s’explique par la nature cyclique du marché des cryptomonnaies.

Gérer une entreprise dans ce secteur est un exercice délicat. Lorsque l’on propose un produit dont le prix fluctue en permanence, il est difficile d’anticiper la demande. Si les investisseurs estiment que ce n’est pas le bon moment pour entrer sur le marché, ils n’achèteront pas. Or, sans achats, ils ne réalisent pas de gains. C’est toute la difficulté de gérer une entreprise de crypto. 

M.: Combien avez-vous de clients ? 

N.L.: Nous comptons aujourd’hui un peu plus de 100 000 comptes sur notre plateforme, avec une majorité d’utilisateurs basés en France.

Historiquement, jusqu’à 15 % de notre chiffre d’affaires provenait de l’international. Cependant, ce pourcentage a progressivement diminué ces dernières années, en raison du renforcement des réglementations européennes, qui limitent notamment nos possibilités de marketing en dehors de certains pays.

Une nouvelle réglementation européenne est en préparation et devrait nous permettre de nous déployer plus facilement sur d’autres marchés européens. C’est une opportunité positive, bien que l’expansion à l’échelle européenne reste un défi. Chaque pays a ses propres spécificités, une perception différente des cryptomonnaies et un niveau de concurrence qui varie. Nous allons donc explorer différentes stratégies pour nous développer, notamment en envisageant des alliances ou même des acquisitions pour accélérer notre implantation.

« Nous avons passé le cap de l’adoption »

M.: Coinhouse a été sélectionnée par le Palais des Festivals de Cannes pour fournir une nouvelle solution de paiement. Quel est le but du partenariat ?

N.L.: Le Palais des Festivals de Cannes est une entreprise qui gère un espace événementiel, utilisé par des exposants ou des organisateurs de salons pour accueillir leurs événements. Parmi ces manifestations, on trouve l’ETHCC, une grande conférence dédiée à la blockchain Ethereum qui se tient à Cannes.

Dans ce cadre, l’organisation de l’ETHCC loue l’espace du Palais et le met à disposition des entreprises qui souhaitent exposer, en leur facturant des frais d’exposition. Ce n’est donc pas un dispositif destiné aux visiteurs, mais bien aux organisateurs et exposants.

Pour répondre à ce besoin, nous avons mis en place une solution simple et efficace qui permet au Palais de facturer des commissions en cryptomonnaies, tout en recevant immédiatement l’équivalent en euros. Ce mécanisme élimine tout risque lié à la volatilité des cryptos, offrant ainsi une alternative fluide et sécurisée pour la gestion des paiements.

M.: Mais est-ce qu’il y a un vrai besoin de payer en cryptomonnaies ? Est-ce que vous vous attendez vraiment à avoir beaucoup de transactions sur cette fonctionnalité?

N.L.: Oui et non, c’est selon les cas d’usages. Nous avons eu l’opportunité de présenter notre solution devant un public de 400 personnes à Cannes, lors d’une réunion organisée par le maire. L’objectif de cet événement était de sensibiliser les commerçants aux nouvelles possibilités d’innovation et aux avantages d’accepter des moyens de paiement alternatifs. Cette présentation nous a permis d’échanger avec plusieurs acteurs intéressés par notre solution, et nous avons obtenu des rendez-vous avec des commerçants désireux de l’adopter.

Deux types d’usages très différents ont émergé de ces discussions. Le premier concerne une gérante de supermarchés à Cannes, qui souhaite proposer cette option de paiement. On peut légitimement se demander quel intérêt il y aurait à payer un panier moyen de 50 ou 60 euros en Ether ou en stablecoin. Pour un client français, cela n’a pas forcément de sens : nous avons tous une carte bancaire, physique ou intégrée à notre téléphone, qui fonctionne instantanément et sans frais.

Cependant, pour une clientèle étrangère venant d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient ou d’Asie, l’usage des cryptos peut être tout aussi pratique. Ces visiteurs ont peut-être déjà l’habitude de payer en cryptomonnaies dans leur pays, et cette alternative pourrait leur éviter des frais bancaires élevés ou des complications liées au change. Il existe aussi une clientèle plus aisée, habituée aux voyages et aux transactions en crypto. Dans ce cas, acheter quelques bouteilles de Ruinart pour 200 euros et payer en crypto peut avoir du sens. C’est ainsi que cette gestionnaire envisage l’intérêt de la solution.

À l’inverse, un autre cas d’usage, plus évident, concerne une entreprise de la Côte d’Azur spécialisée dans la location de prestations de luxe, exclusivement légales, qui peuvent atteindre des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros pour une semaine. Dans ce contexte, la possibilité de payer en cryptomonnaies devient particulièrement pertinente pour certains clients. Les transactions impliquent des montants conséquents, et l’usage des cryptos peut offrir un intérêt en matière de rapidité, de confidentialité ou de gestion de fonds internationaux.

M: L'élection de Trump, l'arrivée d'Elon Musk au gouvernement américain et toute cette agitation, n’est-ce pas un frein à l’adoption des crypto-monnaies pour le grand public ? 

N.L: Comme souvent avec l’élection de Donald Trump, il y a des aspects positifs et leurs contraires. Historiquement, les précédentes administrations américaines, y compris la sienne lors de son premier mandat, n’ont pas été particulièrement crypto-friendly.

Cette fois, l’approche semble différente. L’administration américaine actuelle semble vouloir faire avancer les choses, non pas en dérégulant le marché des cryptomonnaies, mais en posant enfin un cadre légal qui n’existait pas jusqu’ici. Une réglementation claire pourrait favoriser l’entrée de nouveaux investisseurs, permettre le développement de produits innovants et rassurer les institutionnels quant à l’intérêt d’investir dans les cryptos. D’un point de vue purement économique, c’est plutôt une dynamique positive pour le marché.

En revanche, cela pourrait ne pas être une bonne nouvelle pour la France et l’Europe. Jusqu’à présent, le flou réglementaire aux États-Unis laissait une opportunité aux entreprises européennes pour se structurer et se positionner en avance sur ces sujets. Si les États-Unis se dotent d’un cadre législatif clair et attractif, le risque est de voir les capitaux et les talents se réorienter massivement vers l’autre côté de l’Atlantique.

L’autre volet plus inquiétant reste lié à la personnalité de Donald Trump. Son imprévisibilité, son approche souvent opportuniste et son rapport parfois flou aux règles posent une vraie question pour l’industrie. Un exemple frappant est l’émergence du TrumpCoin : bien qu’il ne l’ait pas directement lancé, il a vraisemblablement donné son aval. Ce memecoin possède toutes les caractéristiques d’un produit purement spéculatif, dont les premiers bénéficiaires sont principalement ses créateurs. Il y a eu des procès pour moins que ça… 

Derrière ce côté imprévisible, cette incapacité à pouvoir donner une forme de sérénité dans les choses est une menace pour notre industrie. 

M.: Aura-t-on une révolution de la blockchain similaire à l’irruption de l’IA ? 

N.L.: Pour moi, nous l’avons déjà. Ce n’est pas rien d’avoir créé une industrie qui représente aujourd’hui entre 2 et 3 trillions de dollars, et qui atteindra sans doute 6 à 7 trillions dans les trois à quatre prochaines années. Cette industrie ne se limite pas à la spéculation : elle génère de l’emploi, elle façonne de nouveaux modèles économiques et commence à être adoptée par certains États comme une forme de réserve de valeur.

Bien sûr, ce n’est pas exactement la même révolution que celle de l’intelligence artificielle. L’IA suscite un véritable fantasme collectif, nourri autant par des perspectives fascinantes que par des craintes, parfois irrationnelles. La blockchain, elle, repose sur des fondements plus tangibles : un besoin colossal de puissance de calcul et d’infrastructures, à l’image de l’IA.

Selon moi, nous avons passé le cap de l’adoption. 

M.: Après le kidnapping de David Balland et de sa compagne, êtes-vous inquiet pour votre sécurité ou pour la sécurité de vos salariés ? 

N.L.: Dans le monde de la crypto comme dans celui de la finance traditionnelle, il existe toujours des risques liés à la conservation des fonds. Ce sont des métiers naturellement sensibles aux attaques cyber, avec des enjeux particulièrement critiques autour de la protection des données clients et de la sécurisation des actifs financiers. Le niveau de risque est donc élevé, mais nous en sommes pleinement conscients. C’est pourquoi nous investissons massivement dans ces domaines, en renforçant continuellement notre infrastructure informatique et en multipliant les couches de protection, qu’elles soient physiques ou numériques.

Nos fonds sont totalement sécurisés et répartis de manière à éviter toute vulnérabilité. L’accès aux actifs est strictement contrôlé : aucune manipulation ne peut être effectuée par une seule personne, et chaque transaction est soumise à des verrous de sécurité rigoureux. Le niveau de protection mis en place est bien supérieur à celui des banques traditionnelles.

Bien entendu, aucun système n’est totalement exempt de risques, et la vigilance reste de mise en permanence. Mais nous avons fait de la sécurité une priorité absolue, et nous avons toujours mis en place des mesures strictes pour nous en prémunir.

M. : On parle de cyber mais dans ce kidnapping, il y a eu une violence physique extrêmement choquante… 

N.L. : Mais cela arrive malheureusement. Il y a quotidiennement des attaques physiques dans les villes, des agressions etc. Je pense que ce qui est arrivé est extrêmement choquant et d'une rare violence, totalement disproportionné et bien évidemment condamnable. 

Mais c'est très, très rare. Néanmoins, des kidnappings, cela arrive de temps en temps. Il y a partout des agressions avec des gens qui meurent pour pas grand-chose. Dernièrement, un gamin a été tué car il ne voulait pas céder son téléphone. 

Il y a une montée de la violence, peut-être car elle est plus visible. Mais je pense personnellement qu’elle a toujours existé. Et je ne suis pas certain qu'au Moyen-Âge, on était beaucoup plus serein. La violence existe, on est peut-être un peu moins habitués.