Porté par un élan médiatique sans précédent, Mistral AI s'impose comme la figure de proue de l'intelligence artificielle française. Une ascension fulgurante qui soulève des questions cruciales en matière de réputation tant cette composante est devenue décisive dans son succès futur. Alors que la startup récolte les éloges, elle doit désormais naviguer dans un paysage médiatique complexe pour consolider sa position face à la concurrence mondiale, en équilibrant visibilité médiatique et réalité technologique.

Une mention toutes les 10 secondes

Mistral AI a bénéficié d’une visibilité exceptionnelle sur le Web français (presse en ligne, réseaux sociaux, blogs, forums) lors de l’ouverture du sommet de l’IA à Paris le 10 février dernier. Et sur le mois écoulé, entre fin janvier et fin février, cette visibilité reste soutenue avec plus de 13.000 mentions soit environ 1 mention toutes les 3 minutes (selon les estimations du logiciel TalkWalker, spécialisé dans la veille digitale).

Une visibilité record pour la licorne qui se conjugue surtout avec un traitement médiatique particulièrement élogieux : dans la presse, Mistral AI est en effet quasi-unanimement qualifié de « pépite française » et mis en avant au travers de ses collaborations et contrats avec Stellantis, France Travail, Veolia ou encore Orange.

L’engouement médiatique s’est intensifié avec le lancement en grande pompe de la nouvelle version de « Le Chat », son chatbot conversationnel, porté par le soutien public d’Emmanuel Macron, qui a invité les Français à télécharger l’application lors d’une interview sur France 2, la veille de l’ouverture du Sommet, le 9 février.

Un récit de success story façonné par des annonces stratégiques et porté par les interventions de son PDG et cofondateur, Arthur Mensch, qui s’impose comme une figure majeure de l’IA française, jusqu’à être consacré par le magazine Time en septembre parmi les 100 personnalités les plus influentes du secteur à l’échelle mondiale.

Un storytelling amplifié enfin par les interventions de ses partenaires, à commencer par Xavier Niel, l’un de ses principaux actionnaires, qui encense les innovations de la startup (« Mistral fera un bon modèle qui tuera Deepseek dans deux mois », BFM, 10/02) tout en défendant une vision ambitieuse et optimiste de l’écosystème Tech en France.

Le Sommet de l’IA : une levée de fonds médiatique pour Mistral AI

La réputation est un actif immatériel stratégique : elle constituerait jusqu'à 38 % de la valeur des entreprises du CAC 40 selon une étude Havas AMO (2019). Pour une startup, elle est encore plus cruciale pour attirer clients, investisseurs et talents. La survie d'une jeune pousse repose sur sa capacité à transformer une promesse en une réalité crédible.

OpenAI illustre parfaitement cette logique. Fondée en 2015 en tant que laboratoire de recherche en intelligence artificielle, l’entreprise s’est imposée comme un pionnier de l’IA générative grâce au lancement de ChatGPT en 2022. Cette notoriété lui a permis de nouer un partenariat stratégique avec Microsoft et de lever plusieurs milliards de dollars d’investissement.

En l’espace de quelques années, OpenAI est passé du statut de startup de recherche à celui de leader mondial de l’IA, atteignant une valorisation estimée à 90 milliards de dollars en 2024. Sans disposer des infrastructures massives d’un Google, son véritable atout repose en grande partie sur sa réputation d’acteur incontournable de l’IA générative, lui offrant un avantage concurrentiel déterminant.

Une visibilité encore faible face à ChatGPT, Deepseek et consorts

Si la gestion de la réputation est un levier stratégique pour une startup, la percée médiatique de Mistral AI au cours du sommet de l’IA ne peut être suffisante en l’état face aux défis qui l’attendent. Malgré la forte visibilité depuis fin janvier, celle-ci reste toutefois relative face aux mastodontes du secteur. En matière de chatbots conversationnels – vitrine médiatique de l’IA –, Mistral semble encore très en retrait face à Chat GPT (OpenAI), Deepseek ou encore Grok (xAI) sur le mois écoulé :

Et au-delà de la présence dans les médias, les tendances de recherche sur Google, qui témoignent de la curiosité du public, confirment également ce retard, que ce soit sur un mois ou sur un an.
Ces chiffres illustrent l’ampleur du défi restant pour Mistral afin de s’ancrer comme un acteur incontournable de l’IA aux yeux du grand public.

Gérer le tourbillon médiatique

L'essor médiatique de Mistral AI contribue à son succès actuel, mais reste fragile et doit être consolidé. L’enthousiasme constaté en France peut se retourner rapidement. La flatterie d'aujourd'hui peut se transformer en critiques acerbes demain. L’exemple de Qwant, « le Google français en marche » selon un certain Emmanuel Macron en 2015, alors ministre de l’Economie, est à ce titre saisissant. Le moteur de recherche plafonne aujourd’hui à environ 1,5 % de part de marché et fait face à des difficultés financières récurrentes.

Comment y faire face ? Le succès de 'Le Chat' dépendra de ses performances technologiques et commerciales ainsi que de sa maîtrise de la réputation. Plusieurs défis peuvent être identifiés :
- Entretenir l’élan suscité par le Sommet de l’IA. Un acte médiatique fondateur qui doit être entretenu dans le temps ;
- Développer cette visibilité à l’international sous peine d’être invisible face à des géants omniprésents sur la scène médiatique ;
- Communiquer régulièrement tout en surveillant la saturation (éviter l’effet « chat GPT fatigue ») ;
- Eviter les annonces sensationnalistes qui ont davantage tendance à décevoir qu’à enthousiasmer ;
- Privilégier un discours de preuve et incarné, qui offre aussi des perspectives et rassure sur le sens donné à l’IA ;
- Tenter de maîtriser une communication parfois trop extatique de la presse sur l’entreprise ;
- Consolider sa communauté d’ambassadeurs et d’experts alliés pour renforcer la crédibilité des innovations et convertir la majorité à l’adoption de la technologie (le fameux « chasm » selon la courbe d’innovation de Rogers) ;
- Se prémunir contre les soutiens trop zélés, susceptibles de surjouer les annonces.

En somme, l’objectif est de créer un courant de fond plutôt que de surfer sur l’effet de vague. Transformer un emballement en dynamique durable : Mistral AI doit désormais construire son avenir bien au-delà du buzz. Bon vent Mistral !