C’est une petite musique qui agite l’écosystème depuis plusieurs semaines, plusieurs mois. Les années 2021 et 2022 ont été dures pour les startups, mais les années suivantes, jusqu’à maintenant, sont rudes pour les fonds d’investissement. «C’est compliqué», «personne n’arrive à closer»… Est-ce vraiment si difficile ? D’après le dernier rapport EY, les startups françaises ont levé 7,77 milliards d’euros en 2024, c’est une baisse de 7% par rapport à l’année précédente. «De fait, s’il y a une baisse des investissements, cela ne pousse pas à une accélération des fonds levés», souligne Franck Sebag, managing partner EY.
«Un fonds d’investissement a de l’argent sur un certain temps. Si vous avez deux années avec des levées de fonds en baisse, cela signifie que l’argent se déverse lentement dans l’écosystème.» Or, des investissements plus lents n’encouragent pas les exits rapides et le système de financement de la tech se retrouve dans une impasse. «Pour lever, il faut démontrer une capacité à ramener de l’argent avec un multiple intéressant», reprend Franck Sebag. «Il y a un intérêt évident des LP’s pour la performance financière et le track record», complète Jérôme Masurel, fondateur de 50 Partners.
«Cela fait trois années consécutives que les investissements sont en baisse. C’est à cause de ce phénomène que c’est plus compliqué. Mais c’est l'histoire de l'oeuf ou de la poule. Est-ce que c'est parce que les fonds n'arrivent plus à lever de véhicules importants qu'il y a moins d'argent dans l'écosystème? Ou est-ce que c'est parce qu'il y a moins d'investissement que les fonds n'arrivent pas à lever?», partage Franck Sebag.
«C’est très difficile pour tout monde»
Jérôme Chevalier, cofondateur de Quadrille Capital, va dans le même sens : «C’est très difficile pour tout le monde, car il n’y a pas eu de liquidités depuis 3 ans.» Avec quatre stratégies d’investissement, dont du venture, du growth et du secondaire, Quadrille Capital capte les tendances global de l’investissement tech. «Il y a incontestablement un ralentissement du rythme des levées, ça c'est sûr, et une interruption de la croissance d'un fond sur l'autre.» Auparavant, les fonds d’investissement levaient des véhicules de plus en plus importants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. «Les investisseurs visent plutôt des tailles de véhicules égales.»
«Les LP’s sont plus prudents, je pense que c’est une bonne chose pour tout le monde», confirme Jérôme Masurel. Mais, dans le même temps, le partner remarque un intérêt grandissant pour le private equity. Si les montants investis sont moindres qu’en 2021 ou 2022, ils restent «stratosphériques». «C’était un peu la fête en 2021 et 2022, nous avons été mal habitués», reprend Jérôme Masurel.
France Invest relève qu’en 2023, près de 2,4 milliards d’euros ont été levés par les fonds de capital-innovation (hors growth). Il y avait déjà une baisse des enveloppes des investisseurs institutionnels pour l’ensemble du secteur du capital investissement. En 2022, c’est 3 milliards d’euros qui ont été levés mais si on remonte le temps, les montants sont moindres. En 2019, avant la crise Covid, 2,5 milliards d’euros de capitaux ont été levés. En 2016, ce n’est plus que 1,6 milliard d’euros et en 2012 et 2011, le montant est juste sous les 2 milliards d’euros. Pour Jérôme Masurel, il faut donc relativiser ces difficultés. «L’argent qui est disponible en France et en Europe pour les startups est gigantesque. Et il n’y a pas dix fois plus de bons projets dans les caisses. Il y a en a plus, peut-être 2 fois, 3 fois plus mais pas 10 fois», explique-t-il. «Les bons projets, de bonne qualité, trouvent de l’argent vraiment très facilement.»
«Nous allons retrouver des liquidités»
Et, selon Jérôme Chevalier, les fonds d’investissement aussi. «Cela requiert plus d’énergie qu’il y a trois ans, c’est sûr, mais on peut lever des fonds à condition d’être organisé, convaincant, insistant…». Selon l’investisseur, s’il y a plus de prudence de leur part, il ne faut pas lâcher les institutionnels et les fonds de pensions. «Les corporates et les family office sont plus petits et pas forcément plus convaincus.» En revanche, il identifie deux sources de «new money». «La vraie alternative c’est le retail, c’est-à-dire les fonds qui sont susceptibles d’être distribués aux particuliers, à travers les conseillers en gestion de patrimoines ou les compagnies d’assurance. C’est une autre manière d’aller chercher de l’argent ailleurs dans une nouvelle poche.»
L’autre façon de lever des capitaux, peu développée en France, est de miser sur le marché secondaire. «C'est une nouvelle poche à construire parce qu'elle est encore relativement petite.» D’après le fondateur de Quadrille Capital, cette technique permettra à l’écosystème français de sortir de l’impasse : «À un moyen terme, nous allons retrouver une dynamique de liquidité dans la tech qui va être beaucoup plus importante qu'elle a été dans les dernières années et qui viendra un peu de la bourse, un peu du M&A et beaucoup du secondaire.»
D’ailleurs, la résolution de crise semble déjà toute proche. «2023 a été une très bonne année, 2024 un peu moins et pour 2025, nous ne sommes qu’en février et 1,1 milliard d’euros ont déjà été levés, notamment par Isai avec un closing à 300 millions d’euros, et par Shift4Good pour 220 millions d’euros», remarque Franck Sebag.
Pour Jérôme Masurel, le problème n’est pas la levée de fonds mais plutôt le déploiement. «L’early-stage, c’est quelques centaines de millions à investir, or il y a 7 milliards dépensés dans les startups françaises. Il faut être capable de dynamiser et de renforcer cet écosystème entrepreneurial pour qu'il y ait des bons projets qui sortent et que les fonds puissent déployer leur argent.» L’investisseur conclut : «Courir après encore plus d'argent, en oubliant les entrepreneurs, à mon avis, c'est une erreur.»