665 millions de dollars, c’est le montant de l’acquisition de Silo AI par la firme américaine AMD à l’été 2024. Il s’agissait alors du plus gros exit dans l’IA en Europe. Une belle marque de reconnaissance pour Peter Sarlin, le patron de ce laboratoire privé finlandais, et son équipe de 300 collaborateurs. L’opération est d’autant plus impressionnante que Silo AI ne s’était jamais tourné vers le capital-risque pour se développer.

Avec ses travaux dans l’IA, la société basée à Helsinki, qui a elle-même racheté l’entreprise finlandaise Finnopt en 2021 et la startup néerlandaise Machine2Learn en 2023, a fini par taper dans l’œil d’AMD. Le groupe américain a ainsi mis la main sur Silo AI pour rester dans la course face au mastodonte Nvidia.

Même si c’est une nouvelle fois une pépite européenne qui bascule sous pavillon américain, Peter Sarlin espère que sa société continuera à générer de la valeur pour l’Europe, de la même manière que le laboratoire britannique Deepmind racheté par Google en 2014. Ce dernier est devenu le fer de lance de la firme de Mountain View dans l’intelligence artificielle.

En attendant de voir si Silo AI aura un impact similaire, Maddyness a pu échanger avec son patron à Helsinki. L’occasion de raconter les coulisses du rachat par AMD et d’évoquer la place de l’Europe dans l’IA.

MADDYNESS – Vous avez vécu une année 2024 particulière avec le rachat de Silo AI par AMD pour 665 millions de dollars. Dans quel contexte s'est déroulée cette opération ? Étiez-vous à la recherche de fonds initialement ?

PETER SARLIN – Silo AI a été un laboratoire privé d'intelligence artificielle qui aide les clients à créer de la valeur avec l'IA. Nous étions assez autosuffisants et nous n'étions donc pas dépendants d'investisseurs entrés à notre capital. Nous n'avons pas planifié de vendre la société ou de lever des fonds à ce moment-là.

Bien sûr, cela aurait pu être une option si nous étions ouverts à cela. Nous étions en mission pour s'assurer que nous étions en train de construire une IA européenne de référence et que les entreprises européennes maintiennent et construisent leur compétitivité. Nous voulions construire des capacités d'IA en Europe et on pouvait le faire de nombreuses façons.

Nous avons mis en place des initiatives stratégiques, construit des produits et des modèles, et nous nous sommes étendus plus largement à l'international en 2022. Et puis en 2024, je pense que nous avions très bien exécuté notre feuille de route, notamment en créant et en déployant auprès de nos clients de nouveaux modèles. Et la question était de voir comment on pouvait encore plus grandir, comment on pouvait avoir un impact plus grand en ligne avec notre mission.

Dans ce cadre, AMD est apparu comme un partenaire évident. AMD était très bien conscient du fait que nous étions l'une des premières entreprises dans le monde à déployer à l'échelle l'entraînement de grands modèles de langage (LLM) sur des GPU AMD avec le supercalculateur Lumi en Finlande, l'un des plus puissants en Europe (il se classait en troisième position dans le monde lors de son lancement en 2022, avec un pic de performance de 550 pétaflops, ndlr), aux côtés de certains de nos partenaires de recherche comme l'université de Turku. C'était quelque chose qui, bien sûr, a eu un impact et qui était susceptible de faire grandir l'intérêt à notre égard.

En tant que laboratoire de recherche privé dans l'IA, avec des chercheurs de renommée mondiale, qui a toujours travaillé avec certaines des initiatives de l'IA les plus avancées à ce jour, je pense que cela nous a mis dans une position assez unique. Et dans ce contexte, nous apportons des modèles open source optimisés pour les plateformes de calcul de haute performance d'AMD.

Nous maintenons notre ambition d'être un fer de lance européen de l'IA. Mais pour cela, il faut aussi être compétitif à l'échelle mondiale et servir les entreprises. Cela est toujours aligné avec la manière dont nous regardons le marché, mais avec de plus grands clients et d'opportunités. Pour moi et l'équipe, c'est une position très excitante, dans la mesure où l'on peut travailler avec des personnes encore plus talentueuses et se confronter à des problèmes plus délicats. A l'arrivée, c'est une opportunité pour la Finlande et l'Europe. Évidemment, une telle opération apporte de la valeur pour AMD, mais nous croyons aussi que nous pouvons créer de la valeur indirecte dans l'écosystème en Europe.

Pensez-vous qu'il est indispensable d'avoir un partenaire américain ou asiatique pour se développer et rêver d'un destin mondial ? Ou est-ce possible d'accélérer sans ces grandes entreprises, bien que la chaîne de financement soit défaillante en Europe, surtout en late-stage ?

Je pense que c'est très différent selon la société. Et à mes yeux, nous sommes une société très différente de beaucoup d'autres entreprises dans l'IA, notamment car nous sommes un laboratoire privé. Nous sommes en bons termes avec OpenAI, Mistral AI, Aleph Alpha et beaucoup d'autres entreprises. La plupart sont des partenaires. Nous n'avons jamais eu l'ambition de construire un produit d'IA B2C par exemple.

Beaucoup de nos clients viennent de l'Amérique du Nord ou d'Asie. Nous avons toujours servi un marché global. Mais nous n'avions pas l'intention de réaliser une IPO ou de vendre l'entreprise. Nous étions en train de construire une entreprise à long terme et je pense que cela nous a aidés à la construire de façon durable.

« Quand vous lancez une entreprise en Finlande ou en France, il y a trop de barrières pour la développer à travers l'Europe »

Vous avez parlé de Mistral AI. Nous avons beaucoup de startups à Paris dans l'IA aujourd'hui, comme Poolside, Dust, H ou encore Kyutai par exemple. Quel est votre regard sur l'écosystème français ? Est-ce l'un des meilleurs d'Europe ?

Oui, clairement. Je pense que beaucoup de choses ont contribué au développement de l'écosystème local. La France a fait un grand travail en construisant un écosystème vibrant de l'intelligence artificielle. La France a investi à long terme dans la création des universités et des communautés de recherche dans la région. Cela a été un bon point de départ. Et en plus de cela, nous avons vu qu'il y a des startups innovantes qui sont créées et se structurent en France et à Paris.

On voit aussi qu'il y a des entreprises plus grandes qui implantent des centres de R&D là-bas. Cela a offert un bon environnement aux chercheurs talentueux pour qu'ils restent dans la région de Paris. Tout cela est à mettre au crédit de Meta, d'Hugging Face et d'OpenAI. Et puis ces chercheurs vont éventuellement, à un moment donné, changer d'entreprise ou même créer la leur. Cela a permis de donner naissance à Mistral AI, H, Kyutai, et ainsi de suite. Il y a beaucoup d'activités à tous les niveaux et c'est assez unique. Je pense qu'on a besoin de nombreux hubs similaires en Europe.

A mes yeux, la fragmentation est l'une des plus grandes préoccupations en Europe. Nous avons des universités et des entreprises à travers une géographie assez grande, mais il y a la nécessité de veiller à construire des hubs solides. Au-delà du fait que la fragmentation est un problème pour la création de pôles techniques solides, l’absence d’un marché unique rend également difficile le développement à l’échelle.

Au final, je pense que c'est à l'Union européenne de s'assurer qu'il y ait un marché unique qui fonctionne à travers l'Europe. Je pense que c'est cela qui rendra l'Europe encore plus attrayante.

La Commission européenne parle d'instaurer un « 28e régime » pour créer un marché unique pour les startups...

Ursula von der Leyen a annoncé une initiative en lien avec cela et je pense que c'est extrêmement important. C'est pourquoi j'ai également signé la pétition d'EU Inc. qui appelle à l'instauration d'un tel régime en Europe. Aujourd'hui, quand vous lancez une entreprise en Finlande ou en France, il y a trop de barrières pour la développer à travers l'Europe.

Sur le Vieux Continent, on doit s'assurer que nous mettons tout en œuvre pour faire tomber toutes les barrières permettant de desservir l'Europe comme un seul marché. Il est donc compréhensible que si cela n'existe pas, les entreprises qui sont des startups à Paris, par exemple, se concentrent sur le marché nord-américain. Elles trouvent aujourd'hui qu'il est plus simple de se déployer à grande échelle de l'autre côté de l'Atlantique.

Il y a des problèmes à résoudre au niveau de l'accès au capital en growth et en late-stage. Clairement, il existe une marge considérable d’amélioration de l’environnement opérationnel des entreprises de croissance en Europe, mais le 28e régime est un bon début.

« Aujourd'hui, AMD apparaît comme le seul concurrent crédible de Nvidia »

Pour beaucoup d'entrepreneurs, l'acquisition de leur startup signifie la fin de l'aventure. Allez-vous rester le CEO de Silo AI ou pensez-vous à vous lancer dans un autre projet entrepreneurial ? Qu'est-ce que vous avez en tête ?

Compte tenu de ma manière de fonctionner, j'avais déjà réfléchi à la suite lorsque l'accord a été annoncé. Je veux continuer à travailler sur la même mission, mais avec plus de ressources et d'impact. Je pense que c'est une énorme opportunité non seulement pour moi, mais aussi pour l'équipe de faire partie de la galaxie AMD et de contribuer à l'une des plus grandes entreprises au monde.

Aujourd'hui, leur stratégie d'IA les place dans une position où ils apparaissent comme les seuls concurrents crédibles de Nvidia. Il est important de noter qu'AMD a du hardware très performant. Et maintenant, nous créons de la valeur en renforçant la position d’AMD.