L’IA générative (IAG) est plus qu’une révolution technologique, c’est une révolution « ontologique », qui vient interroger l’être humain dans ce qu’il a de plus singulier : l’intelligence. C’est l’avis de Francis Jutand, cofondateur de Cap Digital et ancien directeur scientifique de l’Institut Mines-Télécom, d’Orange et du CNRS.
« Les IAG viennent questionner l’humain frontalement dans une de ses compétences-clés, l’intelligence, ce qui nous met en difficulté de recul et distanciation pour aborder sereinement les questions éthiques de leurs usages. » Et pourtant ! « L’urgence d’agir n’a jamais été aussi forte qu’en ce moment où les grandes plateformes, fortes de leurs avances et de leur puissance, viennent contester et contourner la régulation mise en place par l’Europe », affirme-t-il.
Son rapport livre d’abord un état des lieux des progrès de l’IA ; il permet notamment aux lecteurs de comprendre pourquoi, quand nous utilisons l’IAG, nous avons une impression de magie. Les IAG produisent du sens, sans utiliser la sémantique. Elles s’appuient sur les statistiques et les probabilités pour créer un langage que nous comprenons. « L’effet de magie provient de l’efficacité des approches statistiques, auxquelles l’humain n’est pas éduqué en matière de raisonnement et de compréhension », explique Francis Jutand.
Treize recommandations pour une "IA des Lumières"
Pour autant, c’est nous qui fabriquons ces IAG. Il serait vain de les craindre : ce sont surtout nos usages qu’il faut interroger. Présenté ce mardi devant une centaine de professionnels, le rapport détaille les défis qui sont devant nous et propose une feuille de route concrète à destination des entrepreneurs, décideurs politiques, formateurs. Il croise IA, éthique et prospective, pour une « IA des Lumières » en droite ligne de notre héritage commun du XVIIIe siècle.
Treize grandes recommandations, déclinées en une quarantaine de mesures, intègrent à la fois des actions défensives (protection des données, régulation) et offensives (création de champions européens, mutualisation des ressources).
Parmi elles, on trouve la création d’une Alliance pour l’IA Générative, inspirée de l’Alliance pour l’Industrie du Futur, la piste d’un financement souverain de l’offre par la demande, la promulgation d’un « Buy European Act » favorisant les solutions européennes dans les achats publics et privés, une labellisation des IAG souveraines et des clouds de confiance, le dégroupage des offres d’IAG ou encore le développement d’IAG de bien commun (santé, éducation, culture).
Tous concernés par l’impact de l’intelligence artificielle
« Il est important que les individus, les associations, les entreprises, ne restent pas tétanisés par la crainte ou figés par la prudence. Il est important, même si les outils d’IA sont de haute technicité scientifique et technologique, que tout le monde puisse s’en faire une représentation juste, souligne Francis Jutand. Il est important que chacun de nous puisse avoir une confiance raisonnable dans la qualité des outils, les valeurs de ceux qui les conçoivent, et le rôle des États dans la régulation, le contrôle et les sanctions.”
L’auteur insiste également sur le besoin d’anticiper sur les tensions d'intérêts, tensions éthiques, tensions de souveraineté. « Il est important, face à la précarité démocratique actuelle, que de nouvelles pratiques d’élaboration de solution et décision soient développées, en s’appuyant sur l’usage d’IAG de bien commun. Il est important que s’ouvre, notamment pour les plus jeunes, une perception du monde nuancée, riche de ses travers et de ses richesses, pour qu’ils espèrent et agissent. »