La France a une carte unique à jouer, en affirmant sa puissance technique et scientifique d'une manière qui lui est propre. Non pas en imitant les géants du secteur, mais en excellant là où notre génie national s'exprime le mieux : dans l'ingéniosité plutôt que la force brute, dans la précision plutôt que la démesure. Cette approche trouve particulièrement son sens face aux défis concrets que pose l'IA à nos sociétés.
Prenons l'exemple de la désinformation numérique, un domaine où la course aux armements technologiques ne suffit pas. Les chiffres sont alarmants : en 2024, la France a connu une augmentation de 97 % des deepfakes. Une femme de 53 ans a perdu 830 000 euros après avoir été dupée par des escrocs utilisant des images générées par IA pour se faire passer pour Brad Pitt. Plus de 60 % des internautes ont déjà été confrontés à ces manipulations numériques.
Face à ce déluge de désinformation, des initiatives concrètes émergent. Pendant le Sommet, le défi HERMES, fruit d'une collaboration entre Magic LEMP, le Commandement du CyberEspace du Ministère de l’Intérieur, du Campus Cyber et des Surligneurs, a donné naissance à RealityCheck. Cette plateforme citoyenne non lucrative, qui permet aux citoyens de développer leur esprit critique face aux
deepfakes par le jeu, illustre parfaitement cette approche française : ce n'est pas un énième projet technologique, mais un véritable outil d'émancipation citoyenne où la technologie se met au service de l'esprit critique.
L'écosystème français mobilise des acteurs complémentaires : VIGINUM surveille les ingérences numériques étrangères, GEODE décrypte la géopolitique de la datasphère, tandis que des entreprises innovantes développent des outils de vérification en temps réel des déclarations politiques. Leur point commun ? Une approche où la technologie sert la démocratie, pas l'inverse.
L’IA, levier stratégique
L'IA ne se limite pas à un enjeu citoyen : elle est aussi un levier stratégique pour l'efficience de nos entreprises. Se doter d'outils performants permet non seulement d'améliorer la compétitivité, mais aussi de protéger les acteurs économiques des menaces informationnelles. Face à des environnements où la désinformation peut déstabiliser un marché ou une entreprise, des solutions françaises offrent déjà un rempart essentiel en fournissant une information fiable et en tempérant les effets de polarisation médiatique.
L'exemple de DeepSeek illustre parfaitement le fait qu'en IA, l'ingéniosité peut surpasser la puissance brute des moyens. Cette startup a réussi à développer un modèle rivalisant avec les géants, non pas en copiant leur approche d'accumulation massive de ressources, mais en repensant intelligemment le problème. C'est précisément dans cette approche que la France peut exceller : notre culture ingénieur, notre capacité à optimiser et à trouver des solutions élégantes plutôt que dispendieuses, constituent un avantage distinctif dans un monde où l'abondance de moyens ne garantit plus le succès.
Les annonces du Sommet de Paris confirment l'ambition française et européenne en matière d'IA. Mais notre force ne résidera pas dans l'imitation des géants américains ou chinois. Elle se trouve dans notre capacité à développer une IA qui, comme les encyclopédistes en leur temps, met la technologie au service de l'intelligence collective et du débat démocratique.
Les questions sont nombreuses : comment garantir que ces outils restent au service de l'intérêt général ? Comment équilibrer innovation et protection des libertés ? Notre réponse doit s'ancrer dans notre tradition humaniste, où l'efficacité technique se met au service de l'émancipation citoyenne.
L'IA n'est ni une menace à combattre, ni une solution miracle. Elle est un outil qui, bien pensé et bien utilisé, peut renforcer notre capacité collective à distinguer le vrai du faux, à débattre, à décider. À l'heure où certains rêvent de machines qui pensent à notre place, la France montre qu'une autre voie est possible : celle d'une technologie qui nous aide à mieux penser par nous-mêmes.