L’intelligence artificielle s’impose comme un enjeu stratégique mondial, et l’Europe entend bien y jouer un rôle clé. Lors du Business Day, organisé à Station F à l’occasion du sommet de l’Action pour l’IA, un panel animé par Maya Noël, directrice générale de France Digitale, a exploré les défis et opportunités du secteur. Parmi les intervenants : Anne Bouverot, envoyée spéciale du Président de la République en charge du sommet de l’Action pour l’IA, Florian Douetteau, cofondateur et CEO de Dataiku, et Isabelle Ryl, directrice du PRAIRIE (PaRis Artificial Intelligence Research InstitutE).
Si l’Europe dispose d’un solide vivier de talents et d’une recherche reconnue, elle fait face à des obstacles majeurs : fragmentation du marché, investissements inférieurs à ceux des géants chinois et américains, et difficultés à transformer la recherche en produits commercialisables à grande échelle. Pourtant, l’écosystème européen est en pleine mutation, porté par un optimisme renouvelé et des initiatives structurantes.
Maintenir le niveau d’excellence académique et la transformer en succès économique
L’Europe est reconnue pour la qualité de ses chercheurs et de ses centres d’enseignement supérieur. « Nous ne sommes plus leader en publications IA, la Chine a massivement investi et nous a dépassés », avance cependant Isabelle Ryl, rappelant cette avance ne doit pas être considérée comme acquise. « Pour rester compétitifs, les investissements en recherche et formation doivent continuer à accélérer », poursuit-elle.
Anne Bouverot souligne également l’importance d’un pont plus fluide entre recherche et industrie. Trop souvent, les chercheurs hésitent à rejoindre le secteur privé. La loi Pacte a pourtant assoupli les règles, permettant aux chercheurs de collaborer avec des startups. « Il faut maintenant convaincre les administrations universitaires de mettre en application ces nouvelles possibilités », insiste Isabelle Ryl.
La nécessité de structurer un marché européen
Le financement est un enjeu crucial. Florian Douetteau rappelle qu’il a dû s’installer aux États-Unis pour lever la série A de Daitaku, Paris n’étant pas à l’époque en mesure de fournir les capitaux nécessaires à l’époque. « Cela se serait probablement passé différemment aujourd’hui, car l’écosystème français et européen s’est structuré. Mais une chose reste vraie, pour être un champion européen, il faut aussi être un champion aux États-Unis, où au moins au niveau de ses concurrents américains », affirme-t-il.
Un autre défi majeur réside dans la relation entre startups et grands groupes. Contrairement aux États-Unis, où les grandes entreprises ont l’habitude de collaborer avec des jeunes pousses innovantes, les corporates européens tendent encore à privilégier leurs propres équipes de R&D, voire des acteurs américains plus établis. « Aux États-Unis, les grandes entreprises intègrent les technologies des startups très tôt, ce qui permet une montée en puissance rapide. En Europe, il y a encore cette culture du développement interne, qui freine l’adoption des innovations issues des startups », explique Florian Douetteau.
Cependant, cette tendance commence à évoluer. L’initiative European AI Champions, signée par de grandes entreprises et des licornes, vise par exemple à favoriser les collaborations entre startups IA et grands groupes européens. L’idée ? Inciter ces entreprises à privilégier des partenaires européens pour développer leurs solutions IA, afin de ne pas dépendre uniquement des solutions américaines ou chinoises. Cette initiative repose sur un engagement volontaire des entreprises, et non sur une réglementation, mais elle pourrait jouer un rôle crucial dans la consolidation de l’écosystème IA européen. « C’est un premier pas vers une structuration plus efficace du marché européen. Si nous voulons voir émerger de vrais champions, nous devons créer un environnement où startups et grands groupes collaborent plus naturellement », insiste Anne Bouverot.
Réconcilier IA et société : la question de la confiance
Au-delà des aspects économiques, la confiance du grand public envers l’IA demeure un défi de taille. « Le véritable enjeu des prochaines années sera de créer cette confiance », estime Anne Bouverot. Le sommet a mis en avant la nécessité de régulations éclairées, conciliant innovation et préservation des valeurs européennes.
Pour Florian Douetteau, le scepticisme autour de l’IA résulte souvent d’un manque de compréhension des enjeux réels. « Les gens ont peur des changements technologiques, mais lorsque l’on parle concrètement de l’impact de l’IA sur le travail ou l’éducation, on peut construire une adhésion plus positive », avance-t-il. Isabelle Ryl, quant à elle, insiste sur l’importance de la pédagogie, notamment auprès des jeunes : « Nous devons enseigner les bases de l’IA dès le lycée pour former des citoyens avertis ».
Un sommet qui marque un tournant
Le Business Day s’est achevé sur une note d’optimisme, avec la conviction partagée que l’Europe peut, et doit, jouer un rôle majeur dans l’IA mondiale. « Avant, le monde connaissait Mistral. Maintenant, il sait que nous avons aussi Dataiku, Hugging Face et bien d’autres ! », souligne Anne Bouverot. « Nous avons les talents, les valeurs et une nouvelle dynamique. Il reste à concrétiser cet élan par des actions fortes », conclut-elle.