Depuis 2016, il est le visage d’Alan. Avec sa société, qui a intégré le fameux club des licornes, Jean-Charles Samuelian-Werve s’attèle à donner un nouvel élan à la santé et au bien-être des Français mais pas seulement. Désormais, l’entreprise s’exporte en Belgique, où elle peut compter sur Belfius, deuxième bancassureur du pays qui a mené sa série F de 173 millions d’euros en septembre dernier, en Espagne et même au Canada où elle vient de débarquer.
Jamais dans l’excès ou dans la panique quand le marché se retourne, Jean-Charles Samuelian-Werve maintient tranquillement le cap à la tête d’Alan. Cette sérénité lui réussit jusque-là puisque la licorne tricolore a passé le cap du demi-milliard d’euros de revenus en 2024 et vise la rentabilité en 2026.
En ce début d’année, l’entrepreneur au calme olympien a pris le temps d’échanger avec Maddyness sur ses ambitions avec Alan, avec un zeste d’intelligence artificielle et de hardware.
MADDYNESS – Alan sort d'une année 2024 positive avec des revenus qui ont progressé de 48 %. Quel est le facteur déterminant à vos yeux ? La percée dans la fonction publique ?
JEAN-CHARLES SAMUELIAN-WERVE – Clairement, la fonction publique a été l'un des leviers importants, mais je ne veux pas que cela cache non plus la performance sur tous les autres segments. On a eu des performances excellentes dans l'hôtellerie, la restauration et le commerce aussi par exemple.
Quand on a 52 % de performance en plus, il y a la moitié qui provient de l'automatisation des processus avec l'IA. Mais on continue aussi à différencier notre offre et cela devient de plus en plus facile de vendre tous les services à l'arrivée. Notre vraie force, c'est la différenciation de produits, l'accélération et les outils de performance qui nous aident sur tous les secteurs de manière assez efficace.
Après la barre du demi-milliard d'euros de revenus dépassée, ce sont 700 millions d'euros de chiffre d'affaires qui sont attendus à la fin de l'année. Du coup, le cap du milliard sera-t-il passé en 2026 ou en 2027 ?
Oui, j'espère que l'on passera ce milestone important fin 2026 ou dans les premiers mois de 2027.
« La série F, c'était moins le cœur du sujet que la conséquence du partenariat stratégique »
Il y a un an an, vous avez assuré qu'aucune levée de fonds n'était prévue en 2024. Finalement, il y a eu cette série F qui est survenue en septembre dernier. Comment s'est nouée cette opération ?
Honnêtement, au moment où on en parlait, on ne savait pas non plus ! (Rires.) On avait déjà eu des contacts avec Belfius, mais rien n'était concret. Finalement, les choses se sont accélérées par la suite. Pour nous, la série F, c'était moins le cœur du sujet que la conséquence du partenariat stratégique. Quand on a des opportunités comme celle-ci d'accélération sur un marché, avec ce partenariat de distribution et le transfert de leur portefeuille, ça nous semblait une opportunité qui était vraiment très belle, très alignée stratégiquement, avec une vision très commune avec les dirigeants de Belfius.
Par conséquent, nous avons décidé d'aligner les étoiles. Mais c'est eux qui nous ont demandé d'investir dans la société pour aligner les intérêts et partager l'upside de valeur qu'on créera ensemble. Quand on fait cette typologie de partenariat, il y a un risque fort d'annoncer un partenariat, très beau sur le papier, mais avec rien qui ne se passe derrière. Dans ce cas précis, avec l'alignement des intérêts en tant qu'investisseurs et actionnaires, cela s'exécute hyper bien des deux côtés. C'est vraiment plus fort.
Ces dernières années, Alan s'est développé sur de nombreuses verticales. Quelle est l'approche pour déterminer un lancement sur un nouvel axe de développement ?
Il y a une approche à deux niveaux. Nous avons passé beaucoup de temps avec nos membres et nos clients pour comprendre quels sont leurs besoins et leurs problématiques du quotidien. En entreprise, l'absentéisme et le désengagement des salariés, la santé mentale et les troubles musculo-squelettiques sont des choses assez importantes qui coûtent cher. Cela pose la question de la longévité, de la gestion du stress, de la nutrition et d'autres peurs. Après, nous avons des convictions qui se créent autour des grandes transformations technologiques qui sont en train d'arriver et des grands sujets de société que les gens ne perçoivent pas forcément encore.
Dans ce contexte, nous essayons de nous positionner pour être en avance de phase, de manière à pouvoir innover sur ces sujets. A mes yeux, les meilleures innovations sont celles qui ont d'abord un très gros impact de valeur créée pour ses membres et ses clients. En plus, cela fait du sens pour soi dans son modèle économique. Chez Alan, on réfléchit tout le temps à la façon dont on peut augmenter la valeur perçue de nos services et la valeur réelle, ainsi qu'à la manière de faire en sorte qu'elle soit perçue. Ensuite, on se demande est-ce qu'on peut avoir des impacts sur le coût des sinistres ou l'absentéisme ? Parce que si nous y parvenons, cela crée un modèle économique qui est hyper vertueux.
Lors de la présentation des résultats pour l'exercice 2024, vous avez promis une annonce produit majeure au printemps. Est-il possible d'avoir un indice ?
Ça va être vraiment dans la continuité de ce qu'on fait. L'idée est de trouver un moyen de faire de la prévention une norme encore plus forte. Ce sera quelque chose qui correspond à cette idée.
« Nous ne sommes vraiment pas pressés d'entrer en Bourse »
Sur la marketplace intégrée à l'application, des produits Withings sont proposés et on connaît la passion d'Éric Carreel, fondateur de la société, pour le hardware. Il déplore même l'aspect un peu trop software de l'écosystème français. Un produit hardware est-il quelque chose que l'on pourrait imaginer chez Alan dans un futur plus ou moins proche ?
Je pense que le hardware est hyper intéressant en effet. La question stratégique qui se pose c'est : « est-que j'ai besoin de construire mon hardware ou est-ce que cela suffit de bien s'intégrer avec le hardware des autres ? ». Le hardware, c'est extrêmement dur et c'est pour ça que j'ai un respect immense pour Withings. Dans ma première boîte, j'ai connu la réalité de construire du hardware à l'échelle avec des sièges d'avion.
Chez Alan, il n'y a pas de choix stratégique pour se dire que nous allons faire du hardware à court terme. Ceci étant dit, alors ce n'est pas du hardware, mais on opère une clinique virtuelle avec des vrais médecins qui répondent aux besoins de patients. Nous sommes très concentrés sur ce sujet. Néanmoins, je pense surtout à mieux s'intégrer avec tous les hardwares existants que nos utilisateurs utilisent déjà. C'est déjà une brique qui est très intéressante et importante à moyen terme.
Sur le plan financier, une IPO est-elle toujours dans les tuyaux d'ici 5 ans ?
Nous ne sommes vraiment pas pressés, nous avons des actionnaires très long terme. On se concentre moins sur les événements financiers que sur notre croissance. Une entrée en Bourse est un événement de financement important qui permettra de donner de la liquidité aux salariés et aux actionnaires. Cependant, je pense que l'état des marchés financiers en Europe à l'heure actuelle fait qu'entrer en Bourse quand on n'a pas à une échelle significative, ce n'est pas une très bonne idée. C'est pour cela que nous avons du capital très patient pour se donner le temps d'avoir une échelle très significative. Par exemple, Adyen qui a bien réussi son entrée en Bourse. Ils l'ont faite quand ils avaient une taille critique assez grande.
Alan et Mistral AI, une histoire intime
La thématique du moment, c'est évidemment l'IA. Il y a ce Sommet pour l'action sur l'IA qui arrive dans quelques jours. Et il se trouve qu'Alan a une histoire assez particulière avec Mistral AI. Pouvez-vous nous la partager ?
Je pense que l'histoire de Mistral est le fruit de la convergence de groupes de personnes qui avaient des visions similaires et qui ont décidé de le faire eux-mêmes. Avec Charles (Gorintin, son associé, ndlr), on réfléchissait énormément à l'impact qu'allaient avoir les LLM sur Alan et le futur de la santé avant que ça ne devienne à la mode. On était alors fin 2021/début 2022, bien avant l'arrivée de ChatGPT.
Nous partions du constat qu'il y avait un risque stratégique pour nous, en tant que société en Europe, à ne pas contrôler et maîtriser ces technologies face à l'emprise culturelle et économique américaine ou chinoise dans des outils qui constituent la nouvelle manière de rechercher l'information, la nouvelle manière d'éduquer et la nouvelle manière d'accéder à sa santé.
Par conséquent, nous nous sommes dit que ce serait très important de faire émerger un acteur européen. On ne pense pas qu'Alan était la bonne entité pour le faire nous-mêmes parce que cela sortait du cadre de notre stratégie. Nous avons donc essayé de contribuer à faire émerger quelque chose, en pitchant d'abord une fondation. Nous avons rencontré pas mal de chercheurs et on a fini par avoir la chance de rencontrer Arthur, Timothée et Guillaume (les trois fondateurs de Mistral AI, ndlr) qui avaient aussi une vision forte très alignée avec la nôtre. Nous avons alors décidé de créer Mistral AI ensemble.
Cependant, je pense qu'il faut vraiment bien clarifier les rôles. C'est-à-dire que c'est Arthur, Timothée et Guillaume qui font l'immense et l'infinie majorité du travail. Sans eux, il n'y aurait pas de Mistral. Nous nous voyons seulement comme des catalyseurs qui les aident sûrement à se poser les bonnes questions.
Peut-on dire que Mistral est un semi-spin-off d'Alan ?
Je ne dirais pas que ce soit un spin-off d'Alan, ce serait un peu prétentieux de dire ça. On avait l'expérience de créer des entreprises dans des milieux complexes, réglementés, et de mettre en place une culture à l'échelle rapidement. On se posait beaucoup de questions sur l'application de l'IA et c'est le sujet qui nous passionne. Je pense qu'on a pu apporter notre crédibilité d'entrepreneurs à une équipe de chercheurs au début, mais ils grandissent hyper bien en tant qu'entrepreneurs. Nous nous voyons plutôt comme des sparring partners qui les aident à prendre les bonnes décisions stratégiques.
Mais à la fin, c'est eux qui définissent la stratégie et qui l'exécutent. C'est un plaisir de travailler avec eux et d'être une modeste partie de cette aventure-là. Mais je ne veux vraiment pas que le message soit que Mistral est un spin-off d'Alan. Nous sommes juste des contributeurs de Mistral. C'est une entreprise qui compte déjà 170 personnes et qui ne se porte pas trop mal.
« Les certitudes que brise DeepSeek sont les convictions qu'on avait, nous, depuis longtemps »
Dans l'IA, on voit qu'il y a foisonnement important d'annonces en ce moment. L'hystérie collective autour de ChatGPT ne redescend toujours pas, et il y a eu cette séquence assez folle avec le plan Stargate de 500 milliards de dollars présenté par Donald Trump, puis la percée spectaculaire de DeepSeek qui a fait voler en éclat toutes les certitudes qu'avaient les Américains sur le sujet.
Comment analysez-vous cette effervescence actuelle dans l'IA avec ce Sommet français en ligne de mire ?
Ce qui est intéressant, c'est que les certitudes que brise DeepSeek sont les convictions qu'on avait, nous, depuis longtemps, notamment autour de la puissance de l'open source. Cela montre qu'on peut être beaucoup plus efficace par rapport à ce que les autres avaient annoncé jusque-là. Pour nous, c'est juste une confirmation de notre modèle.
Cela souligne l'importance d'avoir une certaine souveraineté technique et économique sur ces sujets d'intelligence artificielle et cela montre qu'il y a un chemin alternatif qui est possible. Celui-ci, on le porte haut et fort avec Mistral mais il faut aussi le porter dans des applications industrielles.
On voit que les États ont conscience qu'il s'agit d'une révolution technologique. Elle va impacter de très nombreux points de la société, si ce n'est tous. Dans ce contexte, je pense que l'Europe doit à la fois être un partenaire économique et technologique stratégique des États-Unis, comme on l'a été historiquement, mais on doit pas non plus renoncer à être indépendant, à produire des technologies nous-mêmes et à créer des leaders mondiaux. C'est ce qu'on essaie de mettre en place. Je trouve que toutes ces annonces ne font que confirmer ce sentiment-là. En ce moment, cela se traduit avec plus d'euphorie et d'emphase, mais de notre côté, ce sont les messages qu'on porte depuis deux ou trois ans.
Finalement, DeepSeek constitue une bonne nouvelle pour la tech européenne qui provient du pays auquel on ne s'attendait pas. On s'attend rarement à de bonnes nouvelles de la Chine sur la planète technologique...
Oui, exactement, et je pense que cela confirme pleins d'hypothèses. La période actuelle accélère la vision selon laquelle l'open source permet de faire des choses qui sont assez impressionnantes.