« C’est pour nous la manière la plus pérenne d’envisager l’avenir sur le long terme », confie Adrien Moreira, cofondateur et CEO de Bruce. Il a fait le choix de placer une de ses filiales en redressement judiciaire, il y a un peu plus de 6 mois. « Nous avons eu un parcours assez classique de startup pendant la période 2016 -2021 », raconte le cofondateur. Fondée en 2016 par Adrien Moreira et Henrik Perrochon, la startup a l’ambition de digitaliser un secteur qui ne l’est pas encore : le travail temporaire. « Nous avons imaginé, créé et développé une plateforme tech utilisant de l’intelligence artificielle, de l’automatisation, dans le but de rendre beaucoup plus simple, rapide et efficace le métier des agences d'intérim », explique Adrien Moreira.
Dans les premiers mois, l’équipe lève 400 000 euros auprès de business angels indépendants. Deux ans plus tard, en 2018, la jeune pousse boucle un tour de table de 5 millions d’euros. Cette série A est souscrite par Bpifrance et Sofiouest. Bruce continue de croître et de se développer dans les années qui suivent. « Nous avons réussi à monter jusqu’à 20 millions de chiffre d’affaires. Nous étions à 100% de croissance tous les ans pendant 6 ans », raconte Adrien Moreira. En 2022, l’un des concurrents de Bruce, Iziwork, fait faillite. « Cela a donné un coup de froid au secteur, on a senti que ce serait plus difficile de continuer à se développer avec du financement VC. »
Gérer la pression de la dette sur l’entreprise
Aujourd’hui, le groupe Bruce, ce sont 5 filiales : Bruce, la première startup, Bruce Technologies, Bruce Interim, Bruce Recrutement et Bruce Academy. Seule la première société est concernée par cette procédure de redressement judiciaire. « C’est un bel outil pour se permettre de respirer et de structurer la société et pour envisager un développement différent », affirme le cofondateur et CEO. « Nous avons levé 10 millions d’euros tout au long de notre histoire, nous avons souvent levé de la dette. » Cette procédure collective, entamée en juillet pour Bruce, permet de geler ses dettes pendant 12 à 18 mois, mais pas seulement. En fin de procédure, le remboursement des créances de l’entreprise peut être étalé sur dix ans.
« Le sujet, c’est aussi quelle pression l’étalement de la dette met sur les sociétés au quotidien », reprend Adrien Moreira. « Le redressement judiciaire, c’est dire qu’on a envie d’avoir un étalement le plus favorable possible. C’est le meilleur outil pour faire cela. Nous serons en mesure de rembourser nos dettes de manière pérenne et sereine, sans avoir besoin de faire à nouveau appel à des capitaux extérieurs et sans compromettre notre développement. » Cela n’a pas été un choix difficile pour l’entrepreneur, « parce que nous savions que c’est la bonne chose pour le développement de l’entreprise à moyen terme ».
« Anticiper permet d’envisager plus sereinement les choses »
L’un des facteurs de la confiance d’Adrien Moreira pour la suite de Bruce est que ce placement en redressement judiciaire a été réfléchi et préparé. C’est une des clés pour sortir par le haut de ce type de procédure. « Il y a des entreprises, comme la nôtre, qui anticipent une situation, qui voient un marché se retourner, qui comprennent que ça va devenir plus difficile de lever des fonds ou alors à des conditions qui ne vont pas être très avantageuses, et qui ont un poids de dette qui va venir peser de plus en plus. Des entreprises qui se demandent quelles sont les options qui s’offrent pour pérenniser l’activité dans les prochaines années. Nous sommes dans ce cas-là », analyse Adrien Moreira. L’équipe dirigeante de Bruce a commencé à travailler sur son redressement judiciaire et son plan de continuation neuf mois avant son passage au tribunal de commerce.
Cette préparation est indispensable et cruciale, comme en témoigne le CEO. « Nous nous sommes renseignés sur le sujet, nous avons cherché des intermédiaires pour nous accompagner dans l’analyse de la société et de structure de la dette. » Ces réflexions ont ensuite démontré, au tribunal, la capacité de l’équipe à maintenir la société dans le temps. « Si vous arrivez devant le tribunal et que vous n’avez pas anticipé, que vous n’avez plus le choix, que vous êtes en cessation de paiement du jour au lendemain, comment démontrer votre capacité à pérenniser l’activité ? Il faut faire une distinction avec les sociétés en grande difficulté pour qui c’est déjà un peu trop tard », insiste Adrien Moreira.
L’objectif d’Adrien Moreira est bien de poursuivre avec Bruce. « Nous ne cherchons pas un repreneur », insiste le fondateur. Aujourd’hui, la procédure se poursuit et permet aux équipes de travailler à la reprise de Bruce dans les meilleures conditions. « Nous avons anticipé les choses, déjà travaillé la restructuration, réfléchi à notre plan, nous sommes notamment arrivés avec des nouvelles sources de revenus, avec des nouvelles activités. Cela nous permet d’envisager plus sereinement les choses », conclut le CEO.