Alors que l’intelligence artificielle s’impose dans presque tous les pitch decks de startups, les investisseurs doivent redoubler d’efforts pour distinguer les véritables innovations des simples effets d’annonce. Une fois passée cette première étape, il faut ensuite combiner analyse stratégique, audit technique et examen minutieux de la résilience organisationnelle. En effet, à l’ère de l’IA, les anciennes approches ne sont plus toujours pertinentes et ces efforts sont essentiels pour dénicher les startups les plus agiles et les mieux préparées pour prétendre devenir des leaders sur leurs marchés.
L’IA, omniprésente, mais pas toujours innovante
« Aujourd’hui, près de 80 % des pitch decks que nous recevons mentionnent l’IA », observe Sébastien Le Roy, partner chez Serena. Pour répondre à cet engouement généralisé, le VC a développé une grille d’analyse permettant de distinguer le storytelling des projets mettant réellement l’IA au cœur de la proposition de valeur.
Pour repérer les projets réellement innovants, trois critères décisifs ont été établis. D’abord, le potentiel du secteur. « L’abondance de données non structurées dans le secteur cible est un facteur clé. Les startups opérant dans des domaines comme la santé ou le juridique, riches en documents ou images mal organisés, ont un fort potentiel », explique Sébastien Le Roy. Ensuite, la proportion de tâches répétitives à faible valeur ajoutée, qui peuvent être automatisées par l’IA, comme dans le retail ou le support client. Enfin, la lenteur des acteurs historiques à innover. « Dans des marchés où la transformation numérique est encore timide, l’arrivée d’un nouvel acteur technologique peut rapidement rebattre les cartes », commente Sébastien Le Roy.
Ce cadre d’analyse permet au fonds de privilégier ce qu’il appelle le « Vertical AI », soit l’application de l’IA à des industries ou des cas d’usage spécifiques. « Ces approches verticalisées maximisent la valeur créée et permettent de se démarquer des solutions trop généralistes », souligne Sébastien Le Roy.
Auditer la tech pour déceler les vraies pépites
Ce type d’approche peut être complété par un audit technique approfondi. « Certains investisseurs négligent encore de soulever le capot des startups qu’ils ciblent, ce qui peut vite conduire à des désillusions », observe Sylvain Fagnent, manager chez Octo Technology, un cabinet de conseil spécialisé dans l’IT. Pour Octo Technology, l’analyse technique s’articule autour de trois grands défis propres à l’IA. Le premier concerne la dépendance aux technologies tierces. « De nombreuses startups s’appuient sur des outils développés par des acteurs majeurs comme OpenAI ou Google. Cette dépendance peut représenter un risque majeur si ces géants modifient leurs conditions tarifaires ou leur stratégie », explique Nicolas Cavallo, Head of Generative AI, chez Octo Technology.
Le second défi réside dans la vitesse d’évolution technologique. « Les cycles d’innovation de l’IA sont si rapides qu’une solution peut devenir obsolète en seulement quelques mois. Ce qui compte aujourd’hui, c’est la capacité des équipes à s’adapter », analyse Nicolas Cavallo. Cette adaptabilité passe par une expertise technique de pointe et une organisation flexible. Enfin, la résilience organisationnelle est un critère clé. « Une startup doit pouvoir continuer à opérer même si certains membres clés de l’équipe venaient à partir. Une documentation suffisante, des tests de non régression automatisés, un code logiciel lisible et maintenable ainsi que la capacité à intéresser et recruter les talents nécessaires jouent ici un rôle crucial », détaille Sylvain Fagnent.
Quand les startups deviennent opérateurs de leurs propres modèles
L’évolution des business models des startups d’IA est également à prendre en compte. « Historiquement, beaucoup se positionnaient comme des copilotes, proposant des outils permettant d’améliorer les performances des entreprises existantes. Mais ce modèle montre aujourd’hui ses limites. Les startups copilotes peinent souvent à capter toute la valeur qu’elles créent et risquent de rester cantonnées à un rôle d’outil parmi d’autres », explique Sébastien Le Roy.
Pour lui, un nouveau modèle émerge : celui des agents opérateurs. « Ces startups utilisent leurs propres algorithmes pour opérer directement sur le marché et capturer l’intégralité de la valeur qu’elles génèrent », avance Sébastien Le Roy. Il cite comme exemple, Descartes Underwriting, une insurtech spécialisée dans les risques climatiques, qui a choisi d’utiliser ses propres modèles pour devenir opérateur, plutôt que de simplement équiper des acteurs existants. « Ce positionnement permet à ces startups de s’imposer comme leaders dans leur domaine », affirme-t-il.