Une augmentation de capital est une opération relativement simple sur le plan juridique mais néanmoins très impliquante pour les actionnaires existants qui acceptent de facto de partager des informations, du pouvoir, des profits et/ou des plus-values futures.

C’est notamment le cas pour des startups vouées à l’hypercroissance. Lorsque des investisseurs professionnels entrent au capital, l’accélération et la cession programmée sont de mise : le délai médian de sortie pour ces investisseurs est de 6 ans, ce qui est deux fois plus court que les entreprises se développant en pur autofinancement (source : Avolta).Pour analyser une augmentation de capital, il est utile de partir d’un cas réel et de données publiques, par exemple la startup d’intelligence artificielle Mistral AI, créée en mai 2023 à Paris.

Ses statuts indiquent que le capital social initial est de 15 000 € divisés en 1,5 millions d’actions d’une valeur nominale de 0,01€ détenues à 95,3% et à parts égales par les trois cofondateurs opérationnels de l’entreprise. Le reliquat de 4,7% est également détenu à parts égales par quatre personnes physiques ou morales qui apportent une expertise en matière de stratégie, de finance et de lobbying. Ses cofondateurs se partagent l’intégralité du capital initial.

Une telle entreprise ne peut cependant pas se développer en pur autofinancement : avant la création, des discussions étaient sans doute déjà engagées avec des investisseurs. La première levée de fonds est intervenue moins de deux mois après la constitution, avec une augmentation de capital de 105 M€ sur une valorisation de 240 M€ « post-money », qui inclut l’apport des investisseurs. La valeur des actions de fondateurs est ainsi de 240 - 105 = 135 M€ « pré-money » dans le jargon des financiers. Cette valorisation de 135 M€ moins de deux mois après la création de l’entreprise est 9000 fois plus élevée que les 15 k€ d’apport initial : une action souscrite à 0,01 € à la création vaut désormais virtuellement 90€, soit une prime d’émission de 89,99€ par action d’une valeur nominale de 0,01€.

Avec leur apport de 105 M€ sur une « valo » de 240 M€, les premiers investisseurs détiennent 105/240 = 43,8% du capital. Les fondateurs sont dilués d’autant et passent à 56,2% du capital. Avec une action valorisée à 90€ et en postulant une souscription globale de 105 003 000 € pour arrondir nos calculs, les investisseurs détiennent 105 003 000 / 90 = 1 166 700 actions, ce qui représente bien 43,8% du total. En ajoutant ces actions nouvellement créées aux 1,5 millions d’actions initiales, nous avons désormais 2 666 700 actions.

Dilution accrue mais valorisations en hausse… dans les cas favorables

A l’issue de ce premier tour de table financier, deux autres augmentations de capital sont intervenues dans des délais assez rapprochés :

  • Un financement de 385 M€ en décembre 2023 sur une valorisation post-money de 1,86 milliards d’Euros soit 20,7% du capital octroyé à ces nouveaux investisseurs et une valeur d’action désormais égale à 553,50€ soit 6,15 fois plus que la précédente valorisation.
  • Un tour de financement de 600 M€ en juin 2024 sur une « valo » de 5,8 milliards d’Euros soit 10,3% du capital octroyé à ces nouveaux investisseurs et une valeur d’action désormais égale à 1550€ soit 2,8 fois plus que la précédente valorisation.

A l'issue de ces levées de fonds, les fondateurs contrôlent désormais 40% du capital et les investissements en contrôlent 60%.

Les montants sont sans doute proches de la réalité mais n’intègrent pas les opérations suivantes :

  • Nous n’avons pas d’information sur les plans de stock-options créés pour attirer et fidéliser des talents : ces options d’actions diluent l’ensemble des actionnaires mais ont le mérite de conforter la valeur de la startup puisque la compétition pour les talents en IA fait rage. 
  • Les financements annoncés ne sont pas nécessairement constitués à 100% de capital mais peuvent également inclure des obligations convertibles, qui seront moins dilutives si elles sont remboursées et non pas converties in fine en capital.
  • Les cofondateurs ont d’ores et déjà bénéficié d’opérations de « partial cash out » : ces cessions d’actions, qui diminuent leur pourcentage de détention, leur ont permis de céder une partie de leur capital pour du « vrai cash » afin de ne pas détenir que du papier. 

Travaillez avec des professionnels pour vous focaliser sur l’essentiel !

L’analyse des augmentations de capital successives de Mistral AI montre que la simplicité évoquée au début de l’article est toute relative et que vous aurez intérêt à travailler avec des professionnels de haut vol qui vous permettront de sécuriser ces opérations et de vous concentrer sur l’essentiel à savoir les équipes, les clients, les produits et les partenaires stratégiques. 

En effet, la création d’actions nouvelles s’accompagne d’un pacte souvent complexe qui formalisera les relations entre les actionnaires. Le bricolage juridique se paie cash et peut faire entrer les fondateurs et les dirigeants dans un no man’s land juridique dont ils sortiront essorés.

Les chiffres de Mistral AI peuvent donner le tournis tant ils sont exceptionnels en termes de montants levés si vite avec des valorisations stratosphériques… et pourtant ces chiffres sont peu de choses en comparaison d’Open AI qui a annoncé en octobre 2024 une levée de fonds de 6,6 milliards de dollars (6,3 Md€) sur une valorisation de 157 milliards de dollars, soit 149 Md€. Bref, un tour de financement dix fois supérieur à Mistral AI et une valorisation 27 fois supérieure.

Les montants en jeu sont à la (dé)mesure de la révolution industrielle dont nous sommes à la fois les acteurs et les spectateurs. Même si l’on peut anticiper une correction significative des valorisations de plusieurs de plusieurs acteurs emblématiques de l’IA, la manière de produire et de commercer sera bouleversée, ce qui explique l’appétit des investisseurs pour cette destruction créatrice très schumpétérienne qui s’opère à l’échelle planétaire.