Éternel optimiste, Gary Shapiro est la figure historique à la tête de la Consumer Technology Association (CTA), l’entité qui organise le CES de Las Vegas. Pour cette nouvelle édition, le dirigeant attend près de 140 000 visiteurs et 4 800 exposants du monde entier. Avant le coup d’envoi de cette cuvée 2025, Maddyness a pu s’entretenir avec Gary Shapiro lors de son dernier passage à Paris. L’occasion de se projeter vers cette nouvelle édition et de faire le point sur les tendances du moment dans la sphère technologique.
Forcément, il sera encore beaucoup question d’intelligence artificielle dans les allées du CES. Au risque de frôler l’overdose ? Pas vraiment aux yeux de Gary Shapiro. «Quand Internet est arrivé, les gens disaient au début qu’on en parlait peut-être trop. Et ma réponse est non, vous ne pouvez pas trop parler d’interne, c’est impossible. On en parle toujours autant 25 ans après. Donc je pense que l’IA est quelque chose pour lequel nous ne sommes qu’au début d’une révolution et c’est vraiment une technologie qui va tout transformer», observe-t-il.
«La régulation européenne est surtout une barrière pour les startups européennes»
Toutefois, il émet un bémol : «Il y a de gros problèmes autour de l’IA, et notamment le fait que l’Europe ait régulé en premier. Les grandes entreprises peuvent gérer cette régulation, mais c’est beaucoup plus difficile pour les petites entreprises. Au final, c’est surtout une barrière pour les startups européennes, plus que pour n’importe quelle autre jeune entreprise dans le monde.»
Attentif à la situation en Europe, il n’hésite pas à s’appuyer sur le rapport publié il y a quelques mois par Mario Draghi. Dans ce dernier, l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat en plaidant pour davantage d’investissements et moins de régulation pour «libérer le potentiel d’innovation» de l’Europe. «Même le rapport Draghi dit qu’il y a trop de régulation en Europe et que cela fait du mal aux startups locales. Cela met l’Europe derrière la Chine et les États-Unis. Or l’Europe devrait plutôt être avec les États-Unis», estime Gary Shapiro. Dans son rapport, Mario Draghi indique qu’il existe une centaine de lois centrées sur les technologies et plus de 270 régulateurs dans le numérique sur le Vieux Continent.
«Aller en Bourse est super, mais c’est rare»
Le patron du CES est également préoccupé par les difficultés de financement des startups qui placent beaucoup d’entre elles dans une situation périlleuse, voire fatale la plupart du temps. «Malheureusement, aux États-Unis, les autorités laissent de moins en moins les grosses entreprises racheter les petites. Et c’est un problème car les gens ne vont pas investir dans les petites entreprises car elles veulent un exit. Or la plupart du temps, un exit signifie se faire racheter par une grosse entreprise, plutôt que d’aller en Bourse. Aller en Bourse est super, mais c’est rare», analyse-t-il.
Malgré tout, le dirigeant espère une amélioration de la situation à court terme. «Dans les prochains mois, les taux d’intérêt plus bas vont avoir un effet positif car vous êtes plus enclin à investir et à prendre des risques des investissements quand c’est le cas. Cela sera peut-être ça, mais l’économie pourrait aller aussi dans l’autre direction. Je ne sais pas vraiment pour l’instant», indique-t-il alors que l’évolution du contexte économique et géopolitique à l’échelle mondiale est en effet assez incertaine. En tout cas, la situation actuelle a inspiré au patron du CES un livre sorti il y a quelques mois : «Pivot or Die». Un ouvrage pour témoigner de l’importance de savoir se réinventer pour éviter dans le mur et une réflexion plus que d’actualité donc, à l’heure où les faillites de startups ne cessent de se multiplier des deux côtés de l’Atlantique.
«Nous sommes fascinés par ce qu’il se passe dans l’informatique quantique»
Si l’IA sera une nouvelle fois en force au CES, ce ne sera pas non plus l’alpha et l’omega de cette édition 2025 selon Gary Shapiro. «Bien sûr, l’IA sera le plus grand driver d’innovation au CES. L’an dernier, beaucoup de gens parlaient d’investir dans l’IA et ils l’ont fait depuis. Ce sera donc intéressant de voir ce qu’ils ont fait et les cas d’usage qu’ils proposent au CES. Mais avec Kinsey Fabrizio (présidente de la CTA, ndlr), nous sommes aussi fascinés par ce qu’il se passe dans l’informatique quantique, qui représente le futur même si c’est encore un peu loin. Mais cela va changer les choses d’une manière très importante. Avec l’IA générative, vous pouvez trouver des millions de formules de médicaments par exemple, mais avec le quantique, vous pouvez trouver rapidement quelle est celle qui fonctionne. Donc il y aura pas mal de choses sur le quantique cette année au CES.»
D’autres secteurs devraient également tirer leur épingle du jeu. «La mobilité prend une place de plus en plus grande au CES, mais ce n’est juste avec les voitures. Il y a plein d’autres choses autour. Il y aura aussi la santé, c’est l’une de mes catégories préférées. Nous avons déplacé ce secteur du North Hall du Convention Center vers le Venetian. C’est plus aligné avec la Smart Home, la foodtech et toutes les technologies lifestyle. Il y a de super entreprises, comme Withings en France. Et puis c’est logique de mettre ce secteur au Venetian : on voit toujours beaucoup de startups centrées sur la santé, donc cela crée un super show dans le show qu’est le CES», se réjouit Gary Shapiro.
Première keynote de l’histoire dans la Sphère
Le patron du salon américain est également satisfait de voir le salon s’étendre à nouveau, avec l’utilisation du South Hall du Convention Center, et la mise en place d’un nouveau tunnel de la société The Bored Company, la société d’Elon Musk qui entend lutter contre les embouteillages (avec un succès limite jusqu’à présent) pour fluidifier une circulation routière souvent chaotique pendant le CES. «Quand vous voulez aller du Convention Center vers le Venetian, c’est parfois difficile sur la route», reconnaît ainsi Gary Shapiro, qui espère qu’il y aura un jour un tunnel entre le Venetian et le Convention Center.
Surtout, le «big boss» du CES est particulièrement excité par deux keynotes cette année : celle du patron de Nvidia, Jensen Huang, et celle du CEO de Delta Air Lines, Ed Bastian. Et pour cause, le PDG de Nvidia est à la tête de la société le plus en vue dans la tech à l’heure actuelle, dans la mesure où elle règne sur le marché des puces électroniques dédiées à l’IA. Cela se ressent sur sa valorisation à Wall Street, qui s’élève désormais à plus de 3 500 milliards de dollars. L'intervention de Jensen Huang sera donc particulièrement scrutée. Signe de l'engouement autour de cette figure importante de la tech mondiale, elle aura lieu dans une salle qui accueille habituellement des combats de boxe et d'autres événements sportifs à l'hôtel Mandalay Bay (Michelob Ultra Arena).
Quant à Ed Bastian, il aura l’honneur de livrer la toute première keynote de l’histoire du CES dans la Sphère de Las Vegas, cette boule lumineuse géante inaugurée en septembre 2023. Avec la promesse d’une expérience immersive unique, l’événement est très attendu par les participants du CES qui se bousculent pour tenter d’obtenir un ticket. Cette keynote s’achèvera par un show de Lenny Kravitz. Et Maddyness y sera !