Dans cet excellent article, Maddyness décryptait les mécaniques de la liquidation préférentielle, révélant au passage que ce type de clause était bien devenu un standard de marché dans l’univers du capital risque hexagonal. Les tendances récentes, notamment aux Etats-Unis, suggèrent que son usage s’est non seulement systématisé, mais qu’il tend également à se radicaliser - certains fonds d’investissement n’hésitant pas à imposer des multiples de liquidation préférentielle allant jusqu’à 3x le capital investi ! 

Une étude récente du cabinet international Torys LLP mentionne ainsi que la proportion de deals comportant des multiples supérieurs à 2x est passée à 5,5% en 2023, contre 2,3% en 2021, indiquant que même si la préférence 1x reste majoritaire, certains investisseurs recherchent une protection renforcée. Cette tendance se confirme également en France, où quelques deals récents incluaient des clauses à multiple 3x.

Au-delà de questionner l’appétence de ces acteurs à prendre leur part du risque entrepreneurial, des garanties de cette ampleur constituent une véritable bombe à retardement dans la relation entrepreneur – investisseur. Avant d’évoquer la nature de ces conflits, nous reviendrons rapidement sur l’origine de ces clauses contractuelles et la logique qui les sous-tend. Pour finir, nous suggérerons une liste de bonnes pratiques visant à éviter ou à atténuer les problèmes qu’elles génèrent.

Pourquoi ces clauses existent-elles ?

Pour rappel, une clause de liquidation préférentielle garantit aux investisseurs professionnels de récupérer un certain multiple de leur investissement initial avant que les autres actionnaires ne reçoivent des fonds lors d’un événement de liquidité, comme une vente ou une liquidation de l’entreprise.

Le financement d'une startup s'effectue généralement en plusieurs étapes successives (amorçage, Série A, Série B, etc.), sur des valorisations croissantes. Toutefois, il n'est pas rare qu'une sortie s'opère à une valorisation inférieure à celle des derniers tours, voire des deux derniers, notamment lorsque l'économie ralentit ou que les premières levées ont été conclues à des niveaux élevés. Dans ce contexte, l'absence de clause de liquidation préférentielle peut pousser des fondateurs n'ayant que très peu investi financièrement à privilégier une sortie rapide mais très avantageuse pour eux, au détriment des investisseurs qui subiraient alors des pertes. La clause de liquidation préférentielle apparait donc au départ comme une façon de dé-risquer partiellement les activités de Venture Capital, incitant ceux-ci en contrepartie à investir plus et plus souvent.

En systématisant et en renforçant ces clauses, les fonds ont également trouvé une façon efficace de contrer l’effet potentiellement néfaste de valorisations qu’ils jugeaient parfois excessives, notamment lors de l’exubérance irrationnelle qui a caractérisé tous les marchés de Private Equity vers 2021/2022.

A l’évidence, le rapport de force s’est inversé en faveur des fonds depuis cette période faste, s’accompagnant d’une baisse sensible des multiples de valorisation. Pourtant les multiples de liquidation semblent eux continuer à augmenter, une situation potentiellement malsaine sur le long terme.

La source de plusieurs conflits potentiels

Deux grands points de frictions peuvent apparaître autour de la liquidation préférentielle lorsqu’une perspective d’exit commence à se matérialiser.

Désalignement entre fondateurs et investisseurs. Un premier niveau de tension survient lorsqu’un exit s’annonce moins prometteur qu’espéré initialement. Dans ce cas, les GPs peuvent chercher à forcer une sortie à un prix qui garantit le paiement intégral de leur clause de liquidation préférentielle. Cette situation peut se produire à la fin de la durée de vie d’un fonds, lorsque les GPs sont tentés de d’accélérer la vente pour clôturer leur fonds.

Cette urgence place souvent les fondateurs et les employés, qui détiennent généralement des actions ordinaires (parfois aux côtés des premiers investisseurs Angels), dans une situation précaire d’où ils risquent de sortir « les poches vides ». Ce désalignement des incitations financières entre les deux parties peut conduire à des décisions précipitées, parfois même à l’échec des négociations avec des acquéreurs potentiels. En effet, pourquoi les fondateurs consacreraient ils du temps et de l’énergie à un exit qui les « spolieraient » de leurs efforts ?

Mark Suster de Upfront Ventures résume bien ce cas de figure, identifiant avec justesse que « La présence d’un montant important de clauses de liquidation préférentielle peut parfois créer des "zones plates" où certains investisseurs deviennent indifférents au prix de vente final de l’entreprise, tant que celui-ci se situe dans une large fourchette de résultats. »

Dans le scénario évoqué par Suster, un investisseur existant peut être davantage enclin à vendre une entreprise pour 30m€ plutôt que 50m€, car, en raison de la liquidation préférentielle et de la "zone plate" associée, il obtiendrait le même montant dans les deux cas… au détriment potentiel des autres actionnaires.

Une autre zone de conflit apparait lorsque les clauses de liquidation préférentielle s’accumulent de manière excessive, créant ainsi des incitations négatives pour les fondateurs. Ceux-ci se retrouvent parfois découragés en réalisant qu’ils pourraient ne jamais atteindre un prix de sortie leur permettant monétiser l’exit au-delà de la liquidation préférentielle.

Un des piliers de la motivation entrepreneuriale repose sur le concept de « skin in the game » — l’engagement personnel des fondateurs envers leur entreprise, mesuré en termes d’argent et de temps investis dans le projet. Une étude académique de 2015 portant sur plus de 1200 entrepreneurs américains (source : Frid, Wyman & Gartner ; Academy of Entrepreneurship Journal) a ainsi établi que les entrepreneurs investissant une proportion plus importante de leur revenu net ont davantage de chances de réussir et sont moins susceptibles de se désengager du projet.

Ainsi, lorsque les fondateurs perdent leur incitation à viser une sortie ambitieuse, les VC eux-mêmes s’exposent au risque de rendements décroissants. Cette dissonance produit une situation où aucune des parties ne pense pouvoir réellement bénéficier d’une sortie imminente, rendant la suite du parcours empreinte de tensions et de scepticisme.

Conflits entre VC. Les liquidations préférentielles présentent une complexité supplémentaire liée à la séniorité de ces clauses lorsque plusieurs investisseurs sont impliqués dans les différents tours de financement. La pratique courante consiste alors à appliquer une logique LIFO (last-in, first-out), autorisant les derniers investisseurs à se servir les premiers. Cela n’a rien de choquant lorsque la valorisation de la startup a suivi une courbe fortement ascendante, les derniers entrants étant exposés aux pertes en capital les plus élevées en cas de décote ultérieure.

Cependant, une clause prioritaire et excessivement protectrice octroyée à un nouvel investisseur peut instiller un poison lent dans la relation avec ses pairs et précurseurs, compliquant invariablement les prises de décisions stratégiques du board.

A noter que la logique LIFO est parfois remplacée par une approche pari passu, dans laquelle une priorité identique est accordée à tous les bénéficiaires d’une clause de liquidation préférentielle. Une version certes plus juste, mais de nature à refroidir un investisseur potentiel lors d’une Série C…

Comment se prémunir contre les clauses excessives ?

Refuser purement et simplement d’inclure une clause de liquidation préférentielle dans les term sheets est une solution tentante pour les fondateurs, mais le plus souvent irréaliste en pratique. Il est indispensable en revanche d’être bien attentif à tous les aspects de la négociation pour obtenir des compensations raisonnables ou des aménagements susceptibles de réduire les risques de conflits ultérieurs. Sans viser à l’exhaustivité, quelques suggestions nous semblent particulièrement pertinentes dans ce cadre :

  • Négocier une clause de carve-out pour garantir que les fondateurs récupéreront bien un montant minimum sur le produit de la vente. Typiquement, on pourra allouer de 10% à 20% du montant total de cession à distribuer au prorata de la détention du capital, avant application des clauses de liquidation préférentielle.
  • Accepter davantage de dilution en échange d’une réduction du multiple de liquidation préférentielle. Cette stratégie permet aux fondateurs d’équilibrer leur profil de risque. Les multiples de liquidation importants résultent parfois d’une posture trop agressive des dirigeants de startups, qui cherchent à imposer une valorisation perçue comme excessive. Sans renier son ambition, tout entrepreneur doit envisager le risque que son succès soit moins flamboyant qu’attendu.
  • Inclure des clauses relutives au profit des dirigeants, fondées sur le multiple réalisé par l’investisseur et alignant ainsi les intérêts.
  • Garder au maximum le contrôle effectif de sa société. En pratique, les clauses de liquidation préférentielles sont souvent renégociées au moment de l’exit, car des fondateurs encore majoritaires auront forcément tendance à rejeter une opération qui les désavantagerait trop financièrement. Au-delà de la répartition des droits de vote, un contrôle effectif peut être préservé par le biais de clauses ad hoc inclues dans le pacte d’actionnaires. Ce contrôle résulte aussi d’un rapport de force « politique » au sein de l’entreprise !