À défaut d’avoir pu pousser les murs des salons de l’Hôtel des Arts et Métiers, le Cercle Humania a ajouté de nombreuses tables dans la salle des conférences qui hébergeait, ce soir-là, son dernier dîner-débat de l’année. Et pour cause : pour conclure une série de conversations éclairées avec des personnalités majeures aux domaines d’expertises extrêmement variées, le think-tank dédié aux enjeux des ressources humaines et à la transformation des entreprises recevait, la semaine passée, Monsieur Nicolas Sarkozy, ancien président de la République française de 2007 à 2012.
À cette occasion donnée par Guillaume Sarkozy et Paul Courtaud, co-présidents du Cercle Humania - et ne briguant, a priori, plus aucun mandat malgré une influence toujours certaine au sein de la droite française -, l'ex-locataire de l'Élysée n'a pas mâché ses mots en partageant ses réflexions sur plusieurs sujets majeurs, à l'instar de la dette française, de l'état de l'Europe ou des conflits internationaux. 180 personnes - parmi lesquelles des DRH et décideurs de grandes organisations privées et publiques, dont une grande partie des entreprises du CAC 40 - ont eu le privilège d'assister à cette prise de parole exceptionnelle et même d'interagir avec l'ancien chef d'État.
Rompre avec les modèles établis
Évidemment interrogé sur la dette et ses pistes de réflexion quant à la manière de sortir le pays de la crise - alors que deux motions de censure du gouvernement Barnier étaient encore à l'examen dans le cadre d'une opposition radicale d'une majorité des députés à l'Assemblée Nationale au projet de loi de finances pour 2025 - Nicolas Sarkozy a affirmé que la dette n'est pas la cause principale des problèmes économiques de la France, mais plutôt une conséquence. Il remet ainsi en question l'approche souvent adoptée qui consiste à se focaliser sur la réduction de la dette comme solution aux difficultés économiques du pays.
"Gérer la conséquence sans penser à la cause, c'est la certitude de l'échec. Pourquoi a-t-on cette dette ? Parce qu'on ne travaille pas assez. Donc gérer la dette sans changer le fait de travailler plus n'a aucun sens", a-t-il rappelé devant le parterre de DRH et décideurs qui ont vu là un écho au mythique slogan "Travailler plus pour gagner plus" qui a marqué le débat politique français et continue d'être évoqué, parfois sous des formes modifiées, dans les discussions sur le temps de travail et les salaires.
Temps de travail, importance de la productivité, gestion des effectifs ou encore évaluation de la performance étaient autant de messages sous-jacents que les DRH ont pu percevoir dans le discours de l’ancien Président pour le compte de leurs propres organisations. Avec sans doute un autre message subliminal et en prenant cette fois-ci l'exemple de son expérience de la réforme des retraites, mise en exergue avec celle de l'actuel locataire de l'Élysée, Nicolas Sarkozy a remis en question la nécessité systématique du consensus, une réflexion qui résonne avec le monde des startups où la prise de risque et la rupture avec les modèles établis sont souvent nécessaires pour innover.
Une Europe différenciée au prisme de l’innovation
Après avoir brièvement évoqué l’actualité américaine et la récente élection de Donald Trump, mais aussi la situation en Ukraine et au Moyen-Orient, soulignant l'importance d'une position française indépendante et équilibrée, la réflexion s’est tournée vers d’autres horizons et notamment ceux de l’Europe ou plutôt des Europes qui ont vocation à coexister, sans nécessairement partager les mêmes membres ni le mêmes règles de fonctionnement : l’Europe de l’euro, qui doit aller vers plus d’intégration économique ; l’Europe l’Union, qui doit se concentrer sur une dizaine de grandes politiques stratégiques ; et l’Europe de Schengen. Point d'orgue de son intervention pour cette dernière, il propose une réforme en profondeur qu'il juge indispensable face aux défis migratoires. "Je demande à ce que les frontières ne soient plus gérées par la Commission, mais par un gouvernement de Schengen composé des ministres de l'Intérieur européens", a-t-il martelé, rappelant au passage ses prises de position passées sur le sujet.
Sans langue de bois, l'ex-locataire de l'Élysée n'a pas hésité à bousculer les idées reçues sur l'élargissement, citant l'exemple de l'Albanie pour illustrer sa vision pragmatique de l'intégration européenne.
Pour les acteurs de l’innovation présents dans la salle, sa vision d'une Europe différenciée a pu être interprétée comme un appel à repenser les écosystèmes d'innovation. L'idée de cercles européens pourrait s'appliquer à la création de hubs d'innovation interconnectés et la proposition de réforme de Schengen pourrait facilement faire écho aux défis réglementaires auxquels font face les startups dans différents domaines (fintech, healthtech, etc.).
L'agilité comme impératif de survie
Plus disruptif encore, Nicolas Sarkozy, est allé jusqu’à proposer un quatrième cercle plus élargi incluant la Russie et la Turquie, pour des relations privilégiées sans intégration complète. Devant une assemblée, entre approbations et questionnements sur l'applicabilité de telles propositions dans le contexte actuel, l’ancien chef d’Etat a fait le parallèle entre l’impérieuse nécessité de l’adaptation constante aux réalités des enjeux européens et la nécessité d’agilité des organisations présentes dans la salle comble. “La refonte est moins difficile que de rester immobile. Le choix n'est pas entre l'immobilité et la réforme. Le choix, il est entre la vie ou la mort. Dans vos entreprises, vous connaissez parfaitement ça. Si vous ne vous adaptez pas aux volontés de vos clients, si vous ne vous adaptez pas à la concurrence, vous êtes mort. Personne ne vous attend”, a-t-il comparé.
Une injonction au mouvement qui pourrait sortir de la bouche d'un entrepreneur de la French Tech, et souligne l'importance cruciale de l'agilité et de l'innovation dans le monde des affaires actuel.
L'adaptabilité, l'efficacité et la remise en question constante des modèles établis …bien que formulés dans un contexte politique, les propos de l'ancien président ont offert plusieurs parallèles avec les défis auxquels font face les entrepreneurs et les entreprises innovantes aujourd'hui.