Pas de répit pour France Digitale. Déjà sur le pied de guerre pour défendre les niches fiscales des entrepreneurs (CIR, CII, JEI…) dans l’Hexagone à l’aune des débats parlementaires sur le budget 2025, l’association qui défend les intérêts des startups européennes se met également au diapason pour faire entendre sa voix auprès de la nouvelle Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen, qui rempile pour un second mandat de cinq ans à Bruxelles.
Maintenant que l’équipe de commissaires qui l’entoure a été validée par le Parlement européen, France Digitale a estimé que le moment était opportun pour tirer la sonnette d’alarme sur la chaîne de financement des pépites technologiques sur le Vieux Continent. Car si ce dernier est devenu est très performant sur le late-stage au cours de la décennie écoulée, le bât blesse quand il s’agit de réaliser des opérations en growth et en late-stage.
5 % du capital-risque mondial issus d’Europe
Dans ce contexte, France Digitale et 25 autres associations de startups en Europe (Cleantech for Europe, Italian Tech Alliance, European Startup Network, Rise Europe, Startup Poland…) ont signé une lettre ouverte à destination des nouveaux commissaires européens pour les enjoindre à améliorer l’implication des investisseurs institutionnels (banques, assurances, fonds de pension…) dans le financement de la tech européenne. Il s’agit d’un chantier d’envergure car l’Europe est encore très loin du compte sur le sujet.
Dans un rapport publié en parallèle de cette lettre, France Digitale souligne en effet que l’Europe est à l’origine de seulement 5 % du capital-risque mondial, contre 52 % aux États-Unis et 40 % en Chine. Autre chiffre évocateur, les investisseurs institutionnels représentent 72 % du financement de l’innovation aux États-Unis, selon le Fonds monétaire international (FMI). En Europe, ils ne sont que 30 %. Aujourd’hui, les investisseurs institutionnels ne sont ainsi que 13 % sur le Vieux Continent à financer les fonds de capital-risque, contre 37 % pour les agences gouvernementales et 19 % pour les family offices. «La chaîne de financement en Europe est donc déficiente», observent ainsi les signataires de la lettre adressée à la présidente de la Commission européenne.
Aux yeux des associations de startups qui s’inquiètent de la situation, il y a urgence à agir. «La mobilisation de l’épargne privée européenne sera essentielle pour soutenir l’autonomie stratégique et développer les champions européens de la tech dont notre continent a besoin. Sinon, l’Europe se retrouvera à nouveau dans la position d’un grand marché unique fragmenté, leader en recherche et en talents, mais qui utilise des technologies fabriquées à l’étranger, car il n’a pas pu soutenir le développement de son propre écosystème. La situation actuelle n’est pas idéale pour les startups et scaleups de l’UE», écrivent-elles. Avant d’ajouter : «Si l’Europe veut rester compétitive avec le reste du monde, ces barrières doivent être brisées. Cependant, il manque des propositions concrètes pour véritablement tirer parti du financement privé.»
Vers une initiative Tibi à l’échelle européenne ?
Par conséquent, France Digitale et sa coalition de représentants des écosystèmes tech européennes ont formulé quatre propositions pour remédier à la situation actuelle. La plus forte d’entre elles est la création d’une initiative visant à créer un fonds de fonds pour centraliser les capitaux des investisseurs institutionnels afin de les flécher vers des fonds de capital-risque sur tout le continent. Baptisée «European VC Initiative» (EVCI), elle vise à devenir une véritable plateforme permettant aux acteurs des différents stades de la chaîne de financement d’interagir entre eux.
Cette démarche serait donc directement inspirée de ce qui est existe déjà en France avec l’initiative Tibi. Lancée en 2019 dans le but de stimuler le financement des startups françaises en croissance par des investisseurs institutionnels, celle-ci a permis d’inciter une trentaine d’acteurs, comme Allianz, Axa, EDF, Generali, ADP, Groupama, Maif ou encore Swiss Life, à mettre la main à la pâte pour mobiliser 13 milliards d’euros jusque-là.
3 mesures complémentaires
Procéder de la même manière à l’échelle européenne permettrait donc de mobiliser une enveloppe bien plus colossale, avec un impact qui serait logiquement décuplé sur l’écosystème européen du capital-risque. «Cette initiative ne suffirait cependant pas à résoudre le manque de liquidités dans l’Union européenne. C’est pourquoi nous préconisons la prise de trois mesures complémentaires», ajoutent les auteurs de la lettre.
Ces derniers plaident ainsi en faveur du développement de nouveaux types d’actifs, comme les produits d’épargne à long terme de l’UE pour diriger l’épargne européenne afin de financer l’innovation, et d’une mise à jour des exigences de fonds propres pour les investisseurs institutionnels afin d’impliquer davantage ces acteurs dans le financement des startups. France Digitale et les 25 autres associations de startups impliquées militent également pour une meilleure sensibilisation des citoyens européens aux nouveaux enjeux de l’économie, avec une meilleure éducation financière sur le continent.
Objectif : inciter les Européens, réputés pour leur très forte aversion au risque, à faire des investissements providentiels, surtout les plus avertis pour miser sur des fonds à long terme. «Ces mesures amélioreraient fortement l’utilisation efficace de l’épargne des Européens, leur apporteraient de valeurs appréciables et offriraient à nos entrepreneurs et innovateurs une opportunité de rester et de se développer en Europe, avant de conquérir les marchés mondiaux», estiment les signataires de la lettre.
Un «28e régime» dans l’UE serait aussi bienvenu
Avec de telles mesures, l’enjeu est de briser l’une des barrières majeures à l’entrée pour les jeunes pousses sur le Vieux Continent : la fragmentation du marché européen. C’est d’ailleurs la conclusion des rapports Letta et Draghi sur la compétitivité des entreprises européennes. Elles ne peuvent pas passer à l’échelle au sein de ce marché. D’où la volonté d’instaurer un «28e régime» dans l’UE pour concevoir un statut unique européen pour toutes les startups.
Cette idée fait son chemin à Bruxelles et elle serait bienvenue alors qu’une startup sur quatre levant plus de 100 millions de dollars en Europe se délocalise pour poursuivre son développement. De l’autre côté de l’Atlantique, où les fonds de pension sont beaucoup plus actifs qu’en Europe pour investir dans la tech, les effets sont là : une startup basée à San Francisco et qui a dix ans d’existence lève plus de 600 millions de dollars sur cette période, soit environ deux fois plus qu’une jeune pousse basée dans l’UE, selon la Banque européenne d’investissement (BEI). Un modèle à suivre donc pour l’Europe, qui doit plus que jamais s’émanciper à une quarantaine de jours du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.