La neige, le froid polaire, les saunas, les soirées… En ce mois de novembre, il règne une ambiance légère qui sent bon les fêtes de fin d’année à Helsinki. La semaine passée, la capitale de la Finlande était l’épicentre de la tech européenne à l’occasion de Slush, événement qui se revendique comme la meilleure conférence au monde pour les VC. Et comme le gratin du capital-risque européen, mais aussi mondial, est de la partie, c’est l’occasion de leur demander comment ils se sentent à l’heure actuelle. Entre l’euphorie autour de l’intelligence artificielle et un contexte économique anxiogène, les sentiments sont mitigés.

Dans ce contexte assez particulier, les 13 000 participants à cette édition 2024 n’ont pas boudé leur plaisir de se trouver à Helsinki durant quelques jours. C’est l’occasion de s’offrir une bulle d’oxygène dans cette période agitée. « C’est assez impressionnant de voir cette communauté réunie ici pour parler innovation et faire avancer le business en Europe », souligne ainsi Alexandre Labarrière, responsable de la communication et du marketing chez France Digitale, qui participait pour la première fois à Slush cette année. « Nous sommes venus pour nous réunir avec plusieurs organisateurs d’événements européens, comme nous avec le France Digitale Day, de manière à échanger entre nous et comprendre comment Slush fonctionne », ajoute-t-il.

Avec sa scénographie impressionnante et sa capacité à attirer de grands noms du capital-risque (Accel, Index Ventures, Andreessen Horowitz, Sequoia Capital…), la conférence finlandaise, gérée par seulement 50 salariés à plein temps et une armée de 1 600 volontaires, détonne dans le paysage de la tech européenne. Cette année, elle a attiré des grands noms, comme Chris Malachowsky, cofondateur de Nvidia, et Nikolay Storonsky, le patron de Revolut.

QuantumLight, un fonds guidé par l’IA pour « sortir de la mentalité FOMO »

Au sein de la massive « Meeting Area », dans laquelle se déroulent des centaines de rendez-vous en simultané, nous avons d’ailleurs pu rencontrer l’un de ses anciens bras droit dans la néobanque britannique : Ezio Mantegazza. Il s’occupe désormais de QuantumLight, fonds initié par Nik Storonsky. Cette structure est assez spéciale dans le monde du capital-risque puisqu’elle a mis en place une approche exclusivement basée sur l’intelligence artificielle, de manière à gommer tout biais humain dans le processus de décision.

Baptisé « Aleph », le modèle d’IA de Quantum Light scanne l’ensemble des entreprises de la tech soutenues par des fonds depuis les années 1990 pour identifier les signaux faibles de succès. Dans ce cadre, ce sont ainsi plus de 10 milliards de data points et 700 000 entreprises qui sont pris en compte. À ce jour, le fonds « AI-driven » a réalisé une dizaine d’investissements (Ben, DeepScribe, Ghost, Mesh, Robin…). « Cela transforme le marché VC, c’est beaucoup mieux pour les entrepreneurs. Cela fait juste du sens d’utiliser l’IA pour investir. S’appuyer sur l’IA pour choisir les investissements est un bon moyen de sortir de la mentalité FOMO (Fear of Missing Out) », estime Ezio Mantegazza, Principal chez QuantumLight.

Le fantasme de miser sur le prochain OpenAI

Cette peur de rater « the next big thing » n’a en effet jamais aussi forte actuellement, depuis que le lancement de ChatGPT il y a deux ans a mis la planète tech en ébullition et donné le tournis aux investisseurs. Parmi ceux qui sont très actifs dans l’IA, il y a notamment Cathay Innovation, qui prévoit d’allouer entre 50 et 100 millions d’euros pour soutenir les entrepreneurs français du secteur. « On a fait beaucoup d’IA cette année, en investissant dans des entreprises comme Bioptimus, spin-off d’Owkin, Nabla ou encore Entalpic », indique Romain Dufourcq, vice-président de la filiale du fonds Cathay Capital. « Clairement, il y a une bulle. Dans leur tête, des VC se demandent s’ils peuvent répliquer la trajectoire de croissance d’OpenAI », ajoute-t-il.

L’investisseur observe également que d’autres secteurs suscitent de l’intérêt, comme l’industrie. « Faire sortir de terre des usines de production, c’est super bien, mais je ne sais pas si c’est aligné avec la durée de vie d’un fonds de venture. De notre côté, nous avons misé sur Ledger, startup qui est devenue une très belle entreprise industrielle. Globalement, on voit des fonds qui naissent un peu partout en Europe qui veulent faire uniquement de l’industrie ou de la défense. Mais c’est très niche, ça peut être compliqué », observe-t-il.

Pour ceux qui sont basés en Finlande, la problématique est peut-être un peu moins vraie alors que l’écosystème tech de la défense se développe fortement depuis le début de la guerre en Ukraine il y a un peu moins de trois ans. Et pour cause, la Finlande a un voisin aussi encombrant que menaçant : la Russie.

Mais peu importe le secteur d’investissement, Slush reste une destination incontournable pour les VC et les fondateurs de startups. Ces derniers auraient tort de ne pas faire le déplacement jusqu’en Finlande. « Avec plus de 4 000 milliards d’actifs sous gestion ici, Slush reste le plus grand rassemblement de capital-risque au monde, ce qui est incroyable pour une petite ville comme Helsinki dans le nord de l’Europe. Cela étant dit, Slush 2024 est notre rassemblement le plus axé sur les fondateurs à ce jour », souligne Aino Bergius, la directrice générale de la conférence finlandaise.

Des startups françaises à la recherche de visibilité et de financements

Parmi les startups qui ont pris part à Slush, une dizaine de jeunes pousses tricolores ont été emmenées par Business France pour présenter leurs solutions à l’image de Purenat. Cette startup du Pays Basque, lauréate du Maddy Tour 2023, développe une technologie de dépollution de l’air visant à remplacer les filtres à charbon actuels qui sont des consommables très énergivores. « À Slush, on recherche des investisseurs et on espère que ça portera ses fruits. Nous sommes à la recherche de 4 millions d’euros, dont 2 millions en equity », indique Manon Vaillant, directrice générale de Purenat. « Nous avons validé notre technologie en laboratoire. Maintenant, il faut aller sur des sites industriels l’installer pour faire la preuve de marché. C’est cette partie que l’on souhaite financer. D’ici deux ans, nous voulons nouer des partenariats stratégiques dans le traitement de l’air pour inonder le marché en Europe et au-delà, et construire une usine en France », ajoute-t-elle.

Autre acteur français présent à Helsinki, Prelude a levé 8 millions d’euros juste avant Slush pour développer sa solution de vérification par SMS à destination des PME. « C’est notre première fois à Slush. Nous avons un produit qui cartonne, mais nous avons besoin de visibilité. Nous ne sommes pas encore connus pour être la référence dans notre secteur. On espère que ce sera le cas dans trois ans », explique Damien Robillard, qui évolue dans l’équipe Sales & Growth de la société. « À Slush, on a envie de rencontrer les entreprises sensibles à notre thématique et discuter avec des entreprises télécoms pour envisager des partenariats », complète Paul-Louis Valat, en charge du marketing B2B chez Prelude.

« Slush est utile pour chasser des tendances et aider des startups à trouver des investisseurs »

Outre des entrepreneurs et des investisseurs, il y a également des structures d’accompagnement qui sont dans la partie. C’est notamment le cas de Leonard, accélérateur impulsé par le groupe Vinci pour accompagner le lancement et le développement de startups et de projets innovants au service des villes et des territoires dans les secteurs de la construction, des mobilités, de l'énergie et de l'immobilier. « Leonard est présent pour la troisième année consécutive à Slush. Il y a deux ans, nous sommes venus pour s’inspirer et voir ce que nous pouvons y faire. Cette année, nous sommes là pour accompagner une délégation d’une trentaine d’entrepreneurs dans les secteurs que nous défendons. Ils ont besoin de se confronter à un écosystème d’investisseurs et c’est le bon endroit pour cela », estime Julien Villalongue, directeur de Leonard. Avant d’ajouter : « Slush est utile pour chasser des tendances, aider des startups à trouver des investisseurs et mettre nos métiers sur la carte de la tech à travers des side-events. Nous en avons aussi profité pour intervenir au KIRAHub, qui est une sorte de Station F pour l’écosystème de la construction et de l’immobilier en Finlande. »

Si les Français étaient donc bien présents à Slush cette année, on notera cependant que le coq rouge de la French Tech était absent. Il faut dire que l’heure est plutôt à l’austérité dans l’Hexagone alors que les débats font rage autour du budget 2025. En revanche, certains acteurs de la tech tricolore ont été mis à l’honneur sur les différentes scènes de l’événement finlandais, à l’image de Roxanne Varza, directrice de Station F, et de Pia d’Iribarne, cofondatrice de New Wave qui s’est retrouvée sous le feu des projecteurs cette année en raison de son bras de fer avec son associé, Jean de La Rochebrochard (Kima Ventures). De son côté, Matthieu Rouif, cofondateur de PhotoRoom, une application de retouche photo qui s’appuie sur l’intelligence artificielle, a eu les honneurs de la scène principale.

Un shot d’optimisme avant d’aborder la nouvelle année

A l’arrivée, qu’ils soient des entrepreneurs, des investisseurs ou d’autres acteurs gravitant dans la tech, les 13 000 participants à cette édition 2024 de Slush espéraient tous quitter Helsinki avec des repères pour aborder l’année 2025 avec davantage de certitudes. Dans un contexte délicat, alors que les faillites se multiplient dans l’écosystème, il n’est pas toujours simple de conserver son optimisme.

Cependant, la mentalité finlandaise et l’atmosphère unique de Slush peuvent être d’une aide précise dans cette période singulière. Il n’est d’ailleurs pas rare que des projets entrepreneuriaux naissent durant cette conférence unique en son genre. Slush n’est peut-être pas la promesse d’un avenir radieux, mais l’événement donne des clés pour l’envisager avec plus de sérénité, que ce soit pour capter des fonds ou anticiper la prochaine tendance de marché.