Pour la septième année consécutive, la Finlande a été désignée comme le pays le plus heureux au monde, selon un rapport des Nations unies. Un statut qui vient consacrer le cadre de vie apaisé des Finlandais. Cependant, derrière cette carte postale, renforcée par le village du Père Noël en Laponie, il y a une réalité bien plus sombre à cause d’un voisin menaçant : la Russie.

Dans ce contexte qui inquiète les 5,4 millions d’habitants de la Finlande, qui a d’ailleurs rejoint l’OTAN l’an passé, les startups dans la sphère militaire se multiplient comme des petits pains. Il y en a désormais 143 dans le pays, à raison d’une augmentation de 30 à 40 % par an depuis 2022 et le début de la guerre en Ukraine. Ce sont les jeunes pousses de la cybersécurité qui sont les plus nombreuses, avec 49 entreprises identifiées, mais c’est le secteur spatial qui est le plus financé, avec 417 millions d’euros investis dans sept sociétés, selon les données du fonds d’investissement finlandais Tesi. Pour soutenir l’envol de son écosystème tech dans la défense, la Finlande a d'ailleurs mobilisé une enveloppe de 120 millions d’euros, à dépenser entre avril 2024 et 2028.

Les satellites d’Iceye jouent un rôle clé en Ukraine

A l’occasion de Slush, nous avons pu aller à la rencontre de la plupart de ces pépites de l’écosystème tech de défense finlandais. Parmi elles, il y a notamment Iceye, un fabricant de micro-satellites basé Espoo, ville connue notamment pour être le siège social de Nokia, ancien fleuron national de la tech. A deux pas d’Helsinki, Iceye conçoit donc des engins particulièrement précis capables de prendre des photos satellites à travers les nuages, l’obscurité, la fumée ou même des cendres volcaniques. Leur prix varie entre 20 et 30 millions de dollars.

Depuis sa création en 2014, la société a déployé une constellation de 38 satellites dans l’espace. Avec un tel déploiement, elle est ainsi en mesure de pouvoir prendre une image satellite n’importe où sur le globe en seulement deux heures. «Cela nous permet d’avoir une observation dix fois plus fréquente qu’avec des satellites traditionnels», se réjouit Rafal Modrzewski, co-fondateur et CEO. Sa technologie a ainsi tapé dans l’œil du gouvernement ukrainien qui l’utilise pour identifier les positions, les mouvements et l’équipement (avions, tentes, chars…) de l’armée russe. De précieuses informations qui permettent à l’Ukraine d’affiner ses frappes aériennes. «Au vu des temps géopolitiques actuels, cela devient un impératif pour l’Europe de se doter d’un tel dispositif», estime le patron d’Iceye, qui collabore également avec les agences spatiales de la Nasa et de l’Esa, ainsi que les gouvernements de l’Australie et de la Grèce. Avant d’ajouter : «Je ne dirai qu’on tire profit de la situation, mais plutôt qu’on répond à une demande croissante pour des solutions de souveraineté dans le contexte actuel.»

Sensofusion guette le ciel, Kelluu l’occupe

Par la force des choses, la technologie de la startup SensoFusion est également utilisée dans le cadre de la guerre en Ukraine. Cette entreprise, lancée par Tuomas Rasila, est à l’origine d’un radar capable de scanner le ciel pour détecter les drones. Et pour cause, ces petits engins volants sont au cœur de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, que ce soit pour espionner ou infliger des dégâts à l’ennemi. Et avec 25 millions de revenus attendus en 2024 et le triple l’an prochain, cette entreprise finlandaise ne fait que voir son activité augmenter. A tel point que sa technologie est plébiscitée par les services de protection de présidents et d’autres personnalités politiques dans le monde. C’est le cas notamment du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, qui l’utilise pour protéger le Premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu.

Toujours dans le ciel, on retrouve également des engins d’un genre particulier. Il s’agit des dirigeables de la startup Kelluu. Avec une autonomie de douze heures, ces appareils volants chromés constituent une alternative de choix aux drones, car étant silencieux et pouvant effectuer des missions plus longues que ce soit dans un registre militaire ou civil. Néanmoins, avec leurs 11 mètres de longueur, ils passent difficilement inaperçus quand on lève les yeux au ciel.

Conçus pour voler à 100 mètres du sol, et jusqu’à 1 kilomètre de hauteur si les conditions l’exigent, ces dirigeables, inoffensifs de prime abord, peuvent se révéler être de précieux alliés pour scanner avec précision des pans entier du territoire ciblé. Selon leur concepteur Janne Hietala, «ils sont en mesure de faire face aux conditions arctiques», où le froid et la neige peuvent vite mettre à mal des engins volants comme les drones qui embarquent des batteries. «Ces appareils peuvent résister à une température de -25 degrés», assure-t-il.

Cela peut être utile pour épauler les services de secours ou récolter des données sur l’aménagement urbain et l’environnement, mais aussi pour surveiller les activités de la Russie à la frontière, même si le patron de Kelluu refuse d’en dire plus sur le sujet, si ce n’est que les gouvernements finlandais et suédois ont éprouvé de l’intérêt pour une telle solution. Bref, il s’agit d’une véritable sentinelle aérienne pour rester en alerte.

«Sky is the limit»

L’adage «Sky is the limit» n’a probablement jamais été aussi vrai qu’aujourd’hui. Et ce n’est pas la Finlande qui dira le contraire alors que l’Ukraine fait désormais office de «laboratoire» géant pour se préparer à un éventuel conflit face au voisin russe.

Il faut dire qu’avec 2 300 kilomètres de frontière avec la Russie, la Finlande n’a pas vraiment d’autre choix que d’être vigilante. A Slush, plusieurs participants nous ont fait part de leurs craintes. «Une fois la guerre en Ukraine terminée, la Finlande pourrait être la prochaine cible. Il faut donc se préparer à cette éventualité», a-t-on pu entendre à plusieurs reprises dans les allées de la conférence finlandaise. Slush a beau avoir lieu dans «le pays le plus heureux au monde», les habitants de ce denier sont tout sauf naïfs.