Il y a des noms qui résonnent différemment d’autres. Goldman Sachs en fait partie. La banque américaine est devenue un mythe pour certains, un mystère pour d’autres, une entité inaccessible. Et pourtant, Goldman Sachs est présente à Paris depuis 1987, les équipes se sont grandement renforcées ces dernières années, notamment après le Brexit. La firme s’est rapprochée, ces dernières années, des entrepreneurs. Céline Méchain co-dirige le bureau de Paris, elle est également co-head de la division Investment Banking pour la France, la Belgique et le Luxembourg.
Forte de 20 d’expérience au sein de Goldman Sachs, Céline Méchain a suivi les évolutions du capital-investissement, l’essor du capital-risque et de la tech. Aujourd’hui, pour Maddyness, elle livre ses perspectives sur l’écosystème. « J’aimerais pouvoir vous dire que nous disposons d’un pipeline majeur de startups prêtes à se coter sur Euronext, mais il est essentiel que les entrepreneurs ne se méprennent pas sur les exigences du marché », analyse Céline Méchain. La Bourse ne sera pas l’avenir immédiat des scaleups.
Maddyness : Céline Méchain, vous êtes co-head du bureau de Paris de Goldman Sachs. Qu’est- ce que cela signifie concrètement ? Quelles sont vos missions types ?
Céline Méchain : Je suis entrée chez Goldman Sachs il y a vingt-sept ans, mais mes premiers pas dans cette institution se sont faits à Londres, au sein des équipes de financement. Je m'occupais de produits structurés, en collaborant étroitement avec des fonds d’investissement ou des corporates, en orchestrant des financements d’acquisition ou de projets variés, tels que la construction d’usines ou de centrales. Forte d’un solide bagage en modélisation financière, je nourrissais déjà une profonde fascination pour tout ce qui voit le jour, ou qui émerge de terre. C’est ainsi que ma carrière a commencé.
En 2004, je suis revenue à Paris, au moment où la vague du capital d'investissement prenait son essor. J’ai alors ressenti qu’il était temps pour moi de faire un pas de côté, de quitter la finance pure pour me tourner vers le conseil. Technicienne dans l’âme, j’aspirais à développer une dimension plus commerciale dans mon expertise.
L’un de mes combats chez Goldman Sachs, il y a vingt ans – une problématique heureusement moins d’actualité aujourd’hui – était de défendre l’idée que nos services devaient être aussi accessibles aux fonds d'investissement qu’aux grandes entreprises du CAC 40. Mon instinct, guidé par mon expérience en financement, m’avait fait entrevoir l’ampleur des besoins croissants en financement et en conseil, sous toutes leurs formes, émanant de ces fonds. À l’époque, les fonds d’investissement étaient encore incarnés par quelques pionniers français du capital-investissement, comme LBO France, Wendel ou Paribas Affaires Industrielles. Aujourd’hui, le paysage s’est élargi et plus aucune banque ne remet en question l’importance de soutenir cette clientèle. Ces fonds sont désormais des partenaires à part entière, tout comme les fonds de capital-risque, qui étaient alors en pleine émergence. Mon ressenti d’alors s’est avéré juste.
À mon retour à Paris en 2004, j’ai intégré les équipes de conseil à un moment charnière: Goldman Sachs fusionnait alors ses départements de conseil et de financement pour donner naissance à l’Investment Banking Division. Ma carrière s’est inscrite dans la montée en puissance de cette activité, et en 2016, j’ai eu l’honneur de devenir partner.
Mon ADN professionnel reste ancré dans l’accompagnement des investisseurs – qu’ils soient Venture, Family Offices, Souverains ou fonds de private equity – tout autant que dans le soutien aux entreprises dans lesquelles ils choisissent d’investir. Avec le temps, ces sociétés deviennent souvent des clients de Goldman Sachs. L’entrepreneuriat a toujours occupé une place centrale dans mon parcours même si je m’occupe aussi de quelques grands groupes.
« La montée en puissance des fonds est une opportunité sans précédent »
M : Comment avez-vous vu ce secteur du capital-investissement, du capital-risque évoluer ?
C.M : Aux États-Unis, le nombre de sociétés cotées a atteint son apogée en 1994, avant de décliner de façon continue. En Europe, la tendance est similaire. À mesure que le nombre d’entreprises publiques diminue, les fonds d’investissement, qu’il s’agisse de private equity ou de venture capital, connaissent une ascension fulgurante.
Aujourd’hui, les entreprises disposent d’une alternative significative aux marchés boursiers : le capital privé. Les fonds d’investissement permettent aux entreprises de rester non cotées plus longtemps, ce qui est particulièrement vrai pour les startups. Après une première et une deuxième levée de fonds, c’est souvent lors de la troisième ou quatrième que l’idée d’une introduction en bourse commence à germer. Mais désormais, ces entreprises préfèrent attendre, bâtissant une solidité financière et structurelle plus importante avant de se lancer sur les marchés boursiers.
Rester sous l’égide d’un actionnariat privé et professionnel offre de nombreux avantages. Cela leur permet d’évoluer à l’abri des pressions immédiates des marchés publics, lesquels tendent à se concentrer davantage sur des entreprises de grosse taille. Ce contexte pousse les jeunes entreprises à mûrir davantage avant de s’aventurer dans le monde des sociétés cotées.
Cette montée en puissance des fonds crée une opportunité sans précédent. Elle marque l’émergence continue d’une nouvelle forme d’actionnariat : un accès direct et adapté au capital, particulièrement en phase avec les besoins des entrepreneurs et des entreprises en forte croissance. Cela redéfinit le paysage du financement, en offrant aux entreprises des solutions plus flexibles et mieux alignées sur leur trajectoire de développement et leur stratégie.
M : Comment voyez-vous ce secteur évoluer dans les prochaines années ?
C.M : Aujourd’hui, j’établis un parallèle entre les petites entreprises, avec lesquelles nous amorçons un dialogue, et les grands corporates avec lesquels nous collaborons au quotidien dans ce bureau. Ce large spectre de clients, aux tailles variées, reflète bien la diversité de notre action. En observant le tissu économique français, on constate que la dynamique repose fortement sur les PME et les entrepreneurs, qu’ils soient soutenus par du capital familial, du venture ou du private equity.
Je suis convaincue que cette tendance va continuer à s’accentuer. Il faut également noter la solidité financière et la vitalité des grands corporates, qui orientent eux aussi une part croissante de leurs investissements vers cet écosystème entrepreneurial.
En somme, cette vague est appelée à s’amplifier. Nous sortons tout juste de deux années macroéconomiquement complexes post-Covid, particulièrement éprouvantes pour le secteur de la tech. Mais cette fragilité est temporaire : dès que les taux d’intérêt entameront une baisse continue, un rebond s’opérera. Cet écosystème, profondément influencé par les taux, retrouvera alors toute sa vigueur.
M : Vous ne croyez pas au redémarrage du marché des IPO ?
C/M : J’aimerais pouvoir vous dire que nous disposons d’un pipeline majeur de startups prêtes à se coter sur Euronext, mais il est essentiel que les entrepreneurs ne se méprennent pas sur les exigences du marché. Une fois en Bourse, ils se retrouvent seuls face aux investisseurs, dans un univers où le capital et la gestion obéissent à des règles totalement différentes.
Les fonds, désormais, accompagnent leurs participations beaucoup plus longtemps, ce qui constitue une excellente nouvelle. Les fonds développent des stratégies late stage qui leur permet d’accompagner les sociétés au-delà de la série C et les fonds pre-IPO dits « cross over » sont de nouveau actifs. C’est d’ailleurs un conseil précieux à donner aux entrepreneurs : le rêve du roadshow appartient en partie au passé. L’entrée en Bourse doit être mûrement réfléchie et programmée au moment où l’entreprise est prête, sur une place de cotation géographique où elle dispose de solides bases, et lorsqu’elle est capable de fournir des perspectives fiables sur ses résultats à 12 ou 24 mois.
Trop d’entreprises accèdent aux marchés boursiers trop tôt, pour ensuite décevoir. Elles se retrouvent parfois exposées à des critiques incessantes durant deux, trois, voire quatre trimestres, avant de pouvoir regagner la confiance des investisseurs.
Goldman Sachs accompagne les entrepreneurs
M : Vous avez lancé votre programme 10 000 Small business en France, quelle est sa particularité ?
C.M : Chez Goldman Sachs, nous avons l’ambition de devenir la banque internationale des entrepreneurs(euses), quelle que soit leur taille ou leur maturité. Pour concrétiser cette vision, nous nous sommes posé une question fondamentale : que pouvons-nous faire pour soutenir les entrepreneurs dès leurs premiers pas, afin de contribuer au développement de l’écosystème entrepreneurial ?
Bien sûr, tout le monde parle des licornes ou des scaleups comme Back Market ou Doctolib. Mais qui s’intéresse véritablement à ces entrepreneurs au tout début de leur aventure, lorsque, dans leur garage, ils cherchent encore leur business model ? C’est ce constat qui a nourri notre réflexion : comment Goldman Sachs, avec sa puissance intellectuelle, son écosystème business et son empreinte internationale, pourrait-elle aider ces entrepreneurs à poser les bases de leur succès dès les premières étapes ?
C’est ainsi qu’est né le programme 10,000 Small Businesses, d’abord lancé aux États- Unis, puis en France à l’occasion des 150 ans de Goldman Sachs en 2019. Lorsque notre conseil d’administration s’est réuni pour choisir l’implantation internationale de ce programme, Paris s’est naturellement imposée. Peu de villes incarnent à ce point l’esprit du développement technologique et entrepreneurial.
Ce programme est entièrement à but non lucratif : Goldman Sachs y investit directement par sa fondation. Chaque promotion regroupe entre 70 et 80 entrepreneurs au tout début de leur parcours. Les conditions d’admission ? Un chiffre d’affaires annuel minimum de 250,000 euros et une équipe de 5 à 50 personnes, critères qui garantissent un modèle déjà viable.
Pendant un an, nous offrons aux participants une formation semblable à un MBA accéléré. Ils bénéficient d’un accompagnement pour écrire leur business plan, affiner leur modèle économique et formaliser leurs objectifs stratégiques. Mais au-delà de la formation, le programme crée un écosystème de pairs partageant des ambitions et des défis similaires. Pour élaborer le contenu pédagogique, nous avons noué un partenariat avec l’ESSEC.
Depuis 2020, nous avons déjà accueilli huit promotions, représentant plus de 500 entrepreneurs de tous horizons. Le programme ne se limite pas à la tech : parmi nos participants, nous avons accompagné aussi bien une entreprise de maintenance prédictive qu’un fabricant de gaufres ! Et même après la fin de leur formation, nous continuons à suivre et épauler ces entrepreneurs.
Les résultats parlent d’eux-mêmes : 75 % des diplômés déclarent avoir atteint leurs objectifs stratégiques, même modestes. Ce taux témoigne de l’impact concret du programme. Alors que nous entrons dans notre cinquième année avec deux promotions par an, nous restons engagés à soutenir ces entreprises dans la réalisation de leurs ambitions.
M : Quels sont les ingrédients pour réussir son business ?
C.M : À mes yeux, tout commence par un sens critique aiguisé. Il faut abandonner l’idée qu’il existe des génies capables de réussir sans effort. Le succès repose avant tout sur le travail. Le pire piège pour un jeune entrepreneur est de croire qu’il a une idée géniale qui, par sa seule force, garantit le succès. La réalité est toujours plus exigeante.
Ensuite, que l’on dirige une grande entreprise ou une structure plus modeste, tout repose sur la qualité des collaborateurs(trices). Être bien entouré est essentiel. Des équipes solides, compétentes et engagées constituent le socle indispensable pour transformer une vision en réalité.
M : Vous co-dirigez également le “Women Network” au sein de Goldman Sachs. Qu’est ce que ce réseau ?
C.M : Le Women Network au sein de Goldman Sachs est une initiative née aux États-Unis, portée par une conviction profonde : la diversité n’est pas seulement une question d’image ou une source d’embellissement pour les rapports annuels, c’est un véritable atout stratégique.
Aujourd’hui, nos clients sont plus divers que jamais, qu’il s’agisse de genre, de race, de culture ou de religion. En 2024, je vois beaucoup plus de femmes parmi mes interlocutrices – CEO, CFO, trésorières ou responsables des fusions-acquisitions – qu’il y a 25 ans, lorsque j’ai débuté chez Goldman. Cette évolution se reflète dans nos pratiques. J’ai vu des mandats nous être attribués parce que nous avions présenté une équipe équilibrée en terme de mixité. À qualité égale, cette diversité nous permet souvent de devancer nos concurrents qui proposent des équipes exclusivement masculines.
La diversité ne s’arrête pas là : j’observe aussi, au quotidien, que les réunions paritaires sont bien plus riches en idées et en valeur ajoutée que celles où il n’y a qu’une seule perspective dominante. C’est un constat ancré depuis deux décennies aux États-Unis, et notre président et directeur général, David Solomon, en a fait une priorité stratégique. Pour y parvenir, il est essentiel de mesurer nos progrès : chaque année, lors des annonces des promotions aux postes de managing directors et partners, nous suivons la proportion de femmes et de membres de la diversité promus et travaillons à la faire progresser.
Mais atteindre ces objectifs nécessite des actions concrètes dès le départ. Cela passe par un recrutement paritaire, dès la sortie des écoles, pour construire un pipeline solide de talents féminins. Goldman Sachs est un environnement exigeant, tant en termes d’horaires que de rythme de travail, et nous réfléchissons constamment à ce que nous pouvons mettre en place pour favoriser l’épanouissement de ces talents. Au sein du comité inclusion et diversité, nous nous engageons à ce que les femmes aient une vision claire de leur avenir dans l’entreprise, qu’elles comprennent les règles du jeu des promotions et qu’elles se sentent soutenues dans les moments clés, comme les départs et retours de congé maternité.
Nous avons également instauré un congé paternité équivalent en durée à celui des femmes, afin que les jeunes pères vivent eux aussi l’expérience de la parentalité et comprennent les défis liés au retour au travail. Dans mon équipe, je suis fière de dire que tous les papas prennent ce congé. Cette initiative, j’en suis convaincue, aura un impact durable : une fois sensibilisés à ces enjeux, ils porteront ce modèle d’égalité et de partage pour les générations futures.
Le Women Network regroupe toutes ces initiatives qui soutiennent nos talents féminins. C’est un espace bienveillant où les femmes peuvent se rencontrer, échanger, inviter des « rôles modèles » ou s’inspirer des parcours de celles qui occupent déjà des postes de leadership. Il reste encore des questions, même en 2024, sur l’équilibre entre vie de famille et vie professionnelle. Ce réseau est là pour démystifier ces dilemmes et envoyer un message rassurant : vous n’avez pas à choisir. Nous leur disons : “Prenez une nounou, organisez-vous comme il vous convient, et surtout, ne vous inquiétez pas si la poussière n’est pas faite dans les coins. Tout ira bien.”
En somme, le Women Network, c’est comme une bonne fée bienveillante. Il accompagne les jeunes talents féminins, leur donne confiance, leur explique les codes de l’entreprise, souvent partagés de façon informelle entre hommes, et leur offre le soutien nécessaire pour qu’elles se sentent pleinement légitimes et épanouies dans leur carrière.
M : Quelle est la place de Goldman Sachs en Europe et en France?
C.M : Le Brexit a été un véritable tournant pour l’industrie financière française. Il a provoqué un rapatriement massif de talents – des banquiers et autres experts financiers – vers l’Europe continentale. Depuis 2016, toutes les grandes banques ont délocalisé. À titre d’exemple, notre bureau, qui était une petite structure, compte aujourd’hui 420 collaborateurs et nous venons d’y partneriser 5 personnes dont 2 femmes.
Sur le continent, nous disposons désormais de deux hubs majeurs : Paris et Francfort, auxquels s’ajoutent d’autres bureaux comme Milan. Mais Paris s’est aussi imposée comme un hub européen grâce au soutien du gouvernement français et des initiatives telles que Choose France pour offrir une alternative crédible à Londres. Et cette dynamique est là pour durer. C’est une transformation irréversible, dont nous sommes très fiers.
En France, l’écosystème client est exceptionnel par sa diversité sectorielle. Si l’on regarde les plus grandes capitalisations boursières européennes, la France se distingue avec au moins cinq entreprises dans le top 10 : LVMH, L’Oréal, Sanofi, Hermès, pour n’en citer que quelques-unes. Ces capitalisations sont un premier indicateur de la force de notre économie.
Un second indicateur réside dans les gestionnaires d’actifs. Amundi, par exemple, est le leader européen en actifs sous gestion. La France est également un pilier de l’Europe en termes bancaire grâce aux banques commerciales comme BNP Paribas, Société Générale ou encore les banques mutualistes. À ces établissements s’ajoutent de grandes entreprises dans l’immobilier, comme Unibail-Rodamco-Westfield, ainsi que des champions industriels. Peu de pays en Europe peuvent se targuer d’une telle concentration d’acteurs de premier plan.
Si l’on zoome sur la tech, les chiffres confirment également la position de la France. Sur les 270 licornes en Europe, 11 % sont françaises. Chaque année, la France capte environ 18 % des capitaux investis dans la tech en Europe. Ces résultats sont le fruit d’un travail stratégique entamé il y a plus d’une décennie : la création du Fonds stratégique d’investissement en 2008 avec une dotation d’un milliard d’euros, l’action constante de la BPI sous la direction de Nicolas Dufourcq et, plus récemment, l’initiative Tibi, qui a permis d’orienter des capitaux vers l’écosystème tech.
Ces bases sont solides et prometteuses. Cependant, il est essentiel que la macroéconomie redémarre. Le secteur des fusions-acquisitions (M&A) reste encore convalescent après deux années difficiles, malgré quelques opérations majeures, telles que Sanofi / Opella il y a quelques semaines. En revanche, le marché du financement est complètement rétabli – une excellente nouvelle. Avec une baisse attendue et continue des taux d’intérêt, nous pouvons espérer une reprise plus large, soutenant à la fois le M&A et l’ensemble de l’économie en 2025
M : Même dans la tech ?
C.M : Dans le secteur technologique, la rentabilité des entreprises est une question cruciale. Financer par la dette des entreprises non profitables est rarement une stratégie judicieuse, car cela peut aggraver leur situation financière. Ces entreprises ont plutôt besoin de capitaux propres, d'actionnaires prêts à partager les risques inhérents à leur croissance ou à leur redressement.
Le marché du capital-risque, essentiel pour ces entreprises, a connu une contraction significative, diminuant de plus de moitié en volumes investis depuis son pic en 2021. Dans ce contexte, il est impératif pour les entreprises technologiques de se concentrer quotidiennement sur le chemin vers la rentabilité. Cette focalisation est essentielle pour assurer leur pérennité et attirer des investisseurs prêts à soutenir leur développement.
« Je suis préoccupée pour les jeunes startups »
M : On compte traditionnellement 27 licornes françaises mais la question se pose pour beaucoup d’entre elles : sont-elles encore des licornes ? Par ailleurs, 5,6 % des startups matures ont fermé leurs portes entre janvier 2023 et mai 2024. Doit-on s’attendre à une vague de faillites de startups, voire de licornes ?
C.M : Une licorne, par définition, est une entreprise valorisée à au moins un milliard d’euros. Certaines de nos licornes ont été survalorisées en 2021 et 2022 au regard des niveaux de valorisation actuels mais les plus solides ont déjà eu deux années pour croître et elles retrouveront leur valorisation de 2021 lors de leur prochaine levée de fonds. Je ne m’inquiète pas outre mesure pour celles-là, les grands acteurs de la tech et du logiciel aux Etats-Unis n’ont pas tous eu des trajectoires de financement et de valorisation linéaires.
En revanche, ma préoccupation se porte davantage sur les jeunes startups. Nombre d’entre elles risquent de subir des défaillances, faute de moyens suffisants pour atteindre la rentabilité. Cette obsession de croissance doit être impérativement accompagnée d’une corrélation avec la génération de cash-flow. Or, le secteur de la tech a produit un certain nombre de startups qui, malheureusement, ne seront jamais profitables. Dans ce contexte, les investisseurs se montrent désormais plus prudents : ils ne réinjecteront pas de capital sans une certitude raisonnable que l’entreprise pourra, à terme, s’autofinancer.
Cependant, certains secteurs échappent à cette pression immédiate. La transition énergétique, par exemple, est un impératif global. Le capital continuera à s’y déployer, soutenant les green tech, les cleantech et d’autres technologies émergentes. Même si certaines, comme l’hydrogène, ne sont pas encore rentables, les investisseurs restent engagés, conscients de la nécessité d’encourager l’émergence de solutions propres et durables.
La deuxième grande verticale est celle de l’intelligence artificielle. Les entreprises qui parviendront à développer rapidement des business models solides attireront l’attention. L’éventail des applications possibles est immense, et dans ce domaine, les investisseurs pourraient se montrer plus indulgents sur les délais nécessaires pour atteindre la rentabilité, privilégiant le potentiel d’innovation et l’impact futur.
M : Les fonds ont quelques difficultés à closer leurs véhicules. Quand va se terminer “l’hiver” de la tech ?
C.M : La bonne nouvelle, c’est qu’il y a toujours quatre saisons dans une année, et cet "hiver" de la tech finira par laisser place au printemps. Cet hiver a été provoqué par une série d’investissements décevants, qui ont perturbé les équilibres du venture capital.
Traditionnellement, le venture capital promet à ses limited partners (LPs) des retours conséquents. Mais aujourd’hui, les portefeuilles révèlent une réalité inversée : là où l’on espérait 10 champions pour une entreprise en difficulté, c’est souvent l’inverse qui se produit. Les fonds de venture, en collaboration avec les entrepreneurs, s’efforcent de protéger leurs participations, de limiter le cash burn et de donner aux entreprises le temps nécessaire pour rebondir. Ce travail est en cours, mais il se fait dans un environnement économique difficile. Si une entreprise dispose d’un modèle économique solide, elle continuera à attirer du capital et pourra atteindre la rentabilité. Si ce n’est pas le cas, elle risque malheureusement de disparaître.
Malgré cela, un redémarrage est inévitable. Après cette période de convalescence, les fonds ayant bien géré leurs portefeuilles et soutenu leurs entreprises seront en mesure de lever à nouveau des capitaux. Ce nouveau cycle sera plus sain, avec une attention accrue portée à la profitabilité et à la capacité des équipes dirigeantes à orienter leurs entreprises vers l’autofinancement. Le printemps de la tech s’annonce donc, avec des bases plus solides pour un développement plus durable.