« Une levée de fonds, c’est une question de chance ! » Cette remarque lancée par un dirigeant de startup au détour d’une discussion soulève une interrogation : quelle est la part de chance dans la concrétisation d’une levée de fonds ? Les avis divergent sur la réponse.
« Je crois au contraire que la chance ne rentre pas en ligne de compte. Pour que les choses arrivent, il faut les préparer. Une levée, c’est un travail de fonds qui se prépare » estime Olivier Martret, partner chez Serena Capital. Pour l’expert des investissements qui examine plus de 3 000 projets par an, il s’agit en effet d’un travail de longue haleine qui commence par l’identification des fonds susceptibles de suivre le projet. « Il faut être pro-actif et construire les choses de proche en proche puis le réseau se créé naturellement dans l’univers des startups. »
Une question de moment
Boris Golden, général partner chez Partech se montre plus nuancé. « On peut se renseigner sur un fond et il y a beaucoup de manière de suivre une personne et d’avoir un bon niveau de préparation. Par contre, mon approche peut changer si j’ai le temps de creuser un dossier pour me laisser surprendre ou si je suis débordé auquel cas la barre est plus haute. »
Selon lui, le facteur chance intervient également dans la période où la startup s’adresse à un fond. « Si un fonds a besoin de faire un deal ou s’il en a fait beaucoup en peu de temps, on retrouve des moments plus ou moins favorables. Il n’y a aucun moyen de le savoir donc ça relève de la chance. » D’autres fonds semblent disposer à accueillir les projets tout au long de l’année à condition d’avoir la bonne attitude. L’anticipation apparait comme une clé du succès dans la levée. « Il faut embarquer les partenaires tôt dans l’aventure, avant même le besoin en financement. La startup présente son projet, ses convictions et l’investisseur va le challenger. La relation se construira dans le temps et l’entrepreneur aura plus de chance d’être suivi au moment de la levée. » Olivier Martret encourage à suivre les fonds et leur rythme d’investissement pour comprendre s’ils sont en début ou en fin de constitution de leur portefeuille. « Il y a peu de périodes sur lesquelles les fonds ne peuvent pas financer. »
Des hommes et des tendances
La chance peut toutefois intervenir sur d’autres aspects comme l’humain. La rencontre avec le bon investisseur au bon moment relève-t-elle de la chance ? « Nous sommes toujours deux à travailler un dossier. Nous essayons d’être diligents pour ne pas laisser passer un bon projet » sourit Olivier Martret. Boris Golden considère que cela relève tout autant des opportunités que provoque le dirigeant en se constituant un terreau fertile par la multiplication des rencontres que de la chance de tomber sur un interlocuteur privilégié. « Chacun a des appétences donc, dans toute relation commerciale, il y a une dimension humaine liée au hasard. »
Si la période est propice, que le relationnel est bon et que l’investisseur se trouve dans de bonnes dispositions, il faut encore que le projet de la startup suive les tendances. « Ce sont des réalités qui n’ont rien à voir avec la chance au moment de l’amorçage. Par contre, prévoir si ce sera encore à la mode dans trois ou cinq ans pour les tours suivants, rester dans la tendance peut relever d’un peu de chance » détaille Boris Golden. Olivier Martret complète : « Il y a des sujets du moment et le facteur chance c’est de monter un projet dans les sujets chauds. Cela peut par exemple découler d’une réglementation mais il faut saisir l’opportunité. » Dans Thinking, Fast and Slow, Daniel Kahneman conclue pour sa part que les récits sur les aventures entrepreneuriales touchent l'audience en lui offrant ce dont l'esprit humain a besoin : un message simple de triomphe et d'échec qui identifie des causes claires mais qui ignore le rôle déterminant de la chance ainsi que l'inévitabilité de la "régression vers la moyenne". Le succès serait-il donc finalement un coup de bol ?