La scale-up est une start-up qui a trouvé son modèle économique et qui - comme son nom l’indique - passe à l’échelle. Plus sûre d’elle, mieux financée, elle ne peut pas « souffler » pour autant : les nouveaux défis sont différents, mais tout aussi exigeants que les précédents. Trois directeurs financiers qui ont vécu cette expérience nous donnent leurs conseils pour faire les bons choix au moment de ce basculement.
1- Gardez la tête sur les épaules (n’oubliez pas les clients)
Jérémy de Castro Areais est le DAF de Sweep, une plateforme Saas BtoB pour « piloter et réduire ses émissions carbone. » Devenir une scale-up, il l’a vécu à deux reprises : chez PeopleDoc, puis chez Sweep. Il a vu l’entreprise passer de 80 collaborateurs à 12 000 la première fois (à travers une fusion) et de 50 à 200 (pour l’instant !) chez Sweep. Avec dans les deux cas, des défis « très comparables ».
Son premier conseil : restez concentré sur la qualité du produit et du service, autrement dit, ne vous laissez pas bousculer par l’arrivée d’argent frais et/ou la notoriété croissante de l’entreprise. « C’est très important chez Sweep, car nous travaillons sur un marché hyper compétitif, où le produit et le « market fit » sont clefs. Mais en réalité, c’est très important partout : il s’agit de consolider vos acquis… Garder le meilleur positionnement possible pour ses clients, c’est essentiel. Pour y arriver, nous nous fixons des objectifs à trois ou trois ans, avec des étapes intermédiaires. Ordre et méthode ! »
Sweep a levé au total 100 millions de dollars, mais revendique « une position assez humble, vers l’efficience. » L’équipe valorise la fidélisation des clients existants et a créé des postes de Customer care, Customer satisfaction, support… pour s’assurer de les garder. Elle a aussi automatisé le cycle de vente, pour le rendre plus “prédictible” et pour réduire le coût d’acquisition des nouveaux clients. »
2- Rapprochez la finance des RH
« Quand on scale, poursuit Jérémy de Castro Areais, on se retrouve avec de vrais sujets de management intermédiaire. Musclez les RH et faites très attention aux recrutements : ce n’est pas parce qu’il faut recruter vite, qu’on peut s’autoriser des erreurs. Quand il y a un doute, il n’y a pas de doute ! Abstenez-vous. Et notamment face aux personnes qui n’ont pas l’esprit startup. Au quotidien, il y a la stratégie et la tactique. La tactique (faire et défaire) ça peut être épuisant, mais c’est clef en startup. »
Elisa Muntean est DAF et Directrice générale déléguée chez ClubFunding Group, une plateforme d’investissement « qui a démocratisé le secteur du financement alternatif immobilier » (le ticket d’entrée est à 1 000 euros) et qui vient tout juste d’élargir son offre produits vers les produits structurés, le sport et le bien-être. ClubFunding a pu scaler à la faveur d’une opportunité réglementaire, raconte-t-elle. Depuis, nous nous sommes attachés à diversifier l’offre, pour garder toujours un coup d’avance dans un marché immobilier beaucoup moins porteur. Et dix ans après, c’est le fait d’avoir vécu une hyper croissance entre 2015 et 2022 et donc d’avoir été contraints à nous structurer, qui nous donne aujourd’hui la capacité de tenir dans des années plus tourmentées ! »
Les équipes ont été constituées avec soin, l’effectif passant d’à peine 10 personnes à 120 aujourd’hui. « Je suis moi-même arrivée au moment du pivot, pour créer la fonction finance qui n’existait pas. Je fais partie de la structuration. Même chose pour la fonction RH. Et c’est très important de le noter, car quand on lève des fonds, on transforme la finance, c’est presque naturel. C’est le plus facile, entre guillemets : la Finance, tout le monde y pense. Mais je pense vraiment que passer de start-up à scale-up, c’est changer d’horizon de temps, passer du présent au moyen - long terme. Si vous recrutez 70 personnes en quatre ans, il faut des plans d’évolution de carrière, une appréhension du turn-over, des plans de formation… Le DAF et le DRH travaillent ensemble. »
Comme Jérémy, Elisa veille à l’équilibre chez les nouveaux arrivants entre les profils « start-up » et les profils « grands groupes ». « Ne négligez pas le choc culturel. Il faut réussir le 1+1 = 3. Créer une nouvelle culture d’entreprise. Ne pas perdre l’esprit de la start-up, tout en ajoutant quelque chose du grand groupe costaud. Conserver ce point d’équilibre est un défi aujourd’hui encore, et reste l’une des priorités à mon sens. »
A noter : lors de sa levée de fonds, ClubFunding est entré aussi dans le classement du Next40. Un atout indéniable en termes de marque-employeur. Si vous n’en disposez pas, vous pouvez toutefois faire preuve d’ingéniosité pour attirer les talents, en créant par exemple un Graduate Program, comme l’avez fait ClubFunding avant de scaler. « Scaler amène les équipes à se poser beaucoup de questions nouvelles, reprend Elisa Muntean. Ai-je toujours les mêmes prérogatives qu’avant ? A qui dois-je en référer ? C’est un bouleversement, même s’il est très positif. A vous de créer un environnement de confiance et de développer votre capacité d’écoute, parce qu’on ne peut pas anticiper toutes les questions. »
3- Vos investisseurs sont vos alliés
Francis Saillard (FSA Concept) a témoigné auprès de la communauté Finpal (Qonto) pour livrer à ses pairs DAF les conseils qu’il aurait aimé recevoir en prenant son poste de directeur financier chez PayFit. [Lien vers l’article] Parmi ses recommandations, celle-ci : « Restez curieux, partagez vos données financières avec vos Business Partner, et faites vous challenger. On entend un peu partout que le rôle du DAF a changé ces dernières années. C’est vrai ! Le terme qui a été généralisé pour qualifier ce nouveau rôle est celui de “Business Partner”. En qualifiant ainsi la fonction Finance, on attend nécessairement d’elle qu’elle aille au contact de chacun des départements qui composent l’entreprise, qu’elle comprenne les challenges des équipes, et qu’elle sache les retranscrire dans la mesure de la performance associée. Aussi, une fois les liens tissés, il devient fondamental de communiquer et d’échanger régulièrement autour des enjeux de chacun des Business Partners. Cela permet d’apporter de la visibilité sur les résultats constatés, mais aussi d’affiner les analyses produites, et de les corriger le cas échéant. En procédant de la sorte, le Directeur Financier s’assure la confiance de ses Business Partners et se crée une vision transverse de l’entreprise, il peut alors avoir une posture “Solution Driven” qui sera mieux accueillie par tous. » N’arrêtez jamais de vous benchmarker, ajoute l’ex DAF devenu consultant. « Le monde des scale-ups est si récent qu’il n’existe pas encore de référentiel officiel permettant à chacun d’évaluer sa performance relative. Très souvent, ces jeunes pousses gardent même secrets leurs indicateurs et leurs évolutions. C’est la raison pour laquelle le DAF doit échanger le plus possible avec ses pairs et bâtir ses propres comparables. »
Un conseil qui trouve un écho chez Elisa Muntean : « Le marché immobilier s’est retourné juste après notre levée de fonds. Cela voulait dire piloter une entreprise dans un contexte difficile, alors qu’elle n’avait connu que des croissances à deux chiffres. A ce moment-là, j’ai apprécié de pouvoir échanger avec des actionnaires professionnels, certes très exigeants mais aussi très aguerris. En tant que membre du Comex j’échange beaucoup avec eux et notamment sur les sujets stratégiques, pas seulement financiers. Songez-y : c’est une nouvelle ressource précieuse à votre disposition. »