Avec Golden Bees, plateforme de recrutement qui a tapé dans l’œil de Figaro Classifields en 2019, Fariha Shah avait pu observer de près les mutations du monde du travail. Depuis, la pandémie de Covid-19 est passée par là, entraînant un bond du télétravail et de nouvelles attentes chez les collaborateurs, mais aussi l’envol de l’IA générative sous l’impulsion de ChatGPT. Décelant le potentiel de cette technologie pour le «Future of Work», Fariha Shah a donc replongé dans le bain de l’entrepreneuriat.
Aux côtés de Jonathan Bordereau et de Moustapha Ebnou, elle a ainsi créé Cominty en novembre 2023. Avec cette nouvelle société, l’objectif est de proposer une solution permet d’optimiser la productivité des collaborateurs en s’appuyant sur l’intelligence artificielle pour mieux tirer profit des innombrables données des entreprises. «Les salariés dans les entreprises sont les premiers concernés par l’usage de l’IA. Dans ce cadre, ils se basent sur les informations livrées par l’entreprise. Mais l’enjeu est de savoir comment utiliser l’IA de manière intelligente. Car la connaissance ne s’arrête pas aux documents. Il y a aussi les échanges entre collaborateurs. Car il faut le rappeler : la vraie valeur des entreprises, ce sont les gens qui les composent. Il faut donc savoir comment exploiter son réseau avec une logique d’IA pour pouvoir identifier les personnes qui peuvent m’aider sur les sujets qui m’intéressent», explique Fariha Shah. Avant d’ajouter : «Pour y parvenir, il faut que l’on crée le cerveau de l’entreprise, accessible de manière intelligente à n’importe qui.»
«L’IA, ce n’est pas juste un bouton»
Ce «cerveau», c’est donc Cominty, ou plus précisément «Mirror», le premier modèle de la jeune pousse tricolore qui consiste à identifier la bonne personne en fonction d’une demande simple ou complexe initiée par le collaborateur. L’idée est ainsi de favoriser les échanges dynamiques de connaissances en interne sans perdre de temps face aux quantités colossales des données dans les entreprises. Pour cela, Cominty s’appuie sur les trois principaux grands modèles de langage (LLM) du marché, à savoir Mistral Large, Llama et ChatGPT, et se connecte à plus de 200 applications (Salesforce, Slack, Google Drive…) pour que les données deviennent un allié des collaborateurs plutôt qu’un défi chronophage.
«Il y a des outils généralistes très intégrés pour les entreprises, mais il y a un vrai problème de personnalisation», note Fariha Shah. «L’IA, ce n’est pas juste un bouton. Il y a des documents différents, des applications différentes… C’est assez complexe. Les entreprises s’adaptent aux outils, mais il n’y a quasiment pas d’outil qui s’adapte aux entreprises», ajoute-t-elle. C’est donc l’objectif de Cominty d’inverser cette équation. «On veut aider les entreprises de taille moyenne à ne pas passer à côté des bénéfices de l’IA», souligne Fariha Shah. Avec sa solution SaaS, ce sont d’ores et déjà 2 500 collaborateurs qui sont touchés.
Une première levée pour proposer de nouvelles fonctionnalités
Un an après sa création, la startup annonce avoir bouclé une première levée de fonds en pré-seed de 1,2 million d’euros. Dans ce cadre, des business angels ont pris part à l’opération, dont plusieurs entrepreneurs de la tech (Pierre-Étienne Lorenceau, Bertrand Folliet, Hervé Solus, Adrien Hubert, Yacine Terki…). Le fonds Adnexus, entité du groupe ADSN, a également apporté son soutien.
Avec ce tour de table inaugural, l’objectif est de passer la vitesse supérieure dans la R&D pour développer de nouvelles fonctionnalités (recommandations intelligentes anticipées, contrôle de qualité des informations, fonctionnalités avancées de production de tâches comme des graphiques ou des présentations PowerPoint…) et ainsi devenir une référence du marché. «Parce que l’intelligence artificielle est en train de redéfinir les règles du jeu, Cominty a l’opportunité de devenir un leader dans cette transformation», assure la société.
«Les entreprises ne sont pas forcément prêtes à pluguer tout leur cerveau à ChatGPT»
Celle-ci prépare notamment une nouvelle version de sa solution, intégrant un agent conversationnel vocal, pour le premier trimestre 2025. «C’est une tour de contrôle qui aiguille le collaborateur en fonction de ses instructions. L’objectif est de pouvoir poser n’importe quelle question, de manière à avoir une conversation interactive pour aller chercher les informations. Nous voulons vraiment permettre de discuter avec le cerveau de l’entreprise», indique Fariha Shah. Et quid des ambitions internationales de Cominty ? «C’est un outil plug-and-play facilement scalable», répond l’entrepreneuse.
Néanmoins, Fariha Shah est consciente du chemin qui reste à parcours pour que les entreprises embrassent pleinement la révolution de l’IA générative, surtout en Europe, territoire toujours plus timide que les États-Unis pour adopter de nouvelles technologies. «Malgré la multiplicité des solutions d’IA dans le monde du travail, il y a beaucoup de freins d’adoption. Les entreprises ne sont pas forcément prêtes à pluguer tout leur cerveau à ChatGPT. Pour une fois, il faut partir du marché pour remonter à la technologie. Mais il faut prendre le sujet en main dès maintenant. On ne peut pas se laisser imposer des règles qui sont en train d’être écrites par des acteurs qui ne comprennent pas nos enjeux et nos nécessités», estime Fariha Shah, en référence aux mastodontes américains et chinois du secteur.
Si cela semble être une évidence, les entreprises tricolores seront-elles prêtes pour autant à accélérer le sujet et, surtout, à miser sur des solutions locales ? L’année 2025 sera sans doute très éclairante pour répondre à cette question cruciale.