Une démonstration de force. Voilà comment on pourrait décrire cette édition 2024 du Gitex à Dubaï. Né il y a plus de quatre décennies, le salon émirati veut peser de plus en plus sur la scène mondiale. Et force est de constater que l’édition 2024 a tenu ses promesses avec 200 000 visiteurs venus du monde entier, avec 40 % d’acteurs étrangers en plus cette année (Afrique du Sud, Porto Rico, Vietnam…).

Sans surprise, l’IA a été la grande star de cette édition, comme lors des autres salons tech internationaux, mais à la différence d’un CES de Las Vegas par exemple, le Gitex a privilégié une approche B2B. Par conséquent, les 6 500 exposants proposaient tous ou presque quelque chose en rapport à l’IA pour répondre aux problématiques de tous les types d’entreprises. A noter que de nombreux acteurs de la tech étaient présents, comme Amazon Web Services (AWS), Google Cloud, Microsoft ou encore Oracle. «Tous les acteurs de l’IA, du cloud et de la data sont là», souligne Florent Roulier, Manager Innovation chez Niji, cabinet de conseil dédié à la transformation numérique des entreprises et des organismes publics. Il s’agit de la confirmation que Dubaï et le Gitex se positionnent comme un hub majeur de la tech mondiale.

«Je veux que le monde considère les Émirats comme le siège mondial de la R&D pour l’IA !», a d’ailleurs lancé le ministre de l’Économie des Émirats arabes unis, H.E. Abdullah bin Touq Al Marri, en marge de l’ouverture du Gitex. Difficile d’être plus explicite !

Les nations bannies en Occident bienvenues au Gitex

Ce qui frappe aussi, c’est la manière dont les Émirats arabes unis sont ouverts au niveau géopolitique. Au contraire des États-Unis et de l’Europe, qui se refusent à faire du commerce avec la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine et très peu avec la Chine depuis que Donald Trump a affiché une large défiance à l’égard des groupes chinois, dont Huawei et TikTok, le pays préfère afficher sa neutralité et n’a donc aucun problème à faire venir des exposants de ces deux nations au Gitex.

Ainsi, Huawei détenait l’un des plus grands stands du salon pour afficher au grand jour son retour au premier plan, tandis que la Russie avait un pavillon dans le hall dédié à la cybersécurité. «Dubaï est très fédérateur. Les nations politiquement polarisées sont là. Dans un même hall, il y a Israël et la Palestine, ou l’Iran et la Russie. Aucun autre salon au monde n’est capable d’être aussi fédérateur dans la tech», observe Florent Roulier.

La French Tech prend la température à Dubaï

Parmi les pays représentés, la France était bien évidemment de la partie, mais on pourra regretter qu’il n’y avait de coq rouge qui trônait fièrement au milieu des allées de l’Expand North Star (ex-Gitex Future Stars), l’événement du Gitex spécialement dédié aux startups au Dubaï Harbour. Néanmoins, une trentaine de startups tricolores ont fait le déplacement jusqu’à l’émirat en ce début d’automne, notamment sous l’impulsion de Zebox, l’accélérateur de CMA CGM. Ce dernier est venu à Dubaï avec une délégation d’une dizaine de jeunes pousses, dont Aerleum, Wise Integration, SP3H et Workcare.

«Au total, il y a près de 60 entreprises françaises qui étaient présentes cette année, contre 150 au CES. Nous ne sommes pas la plus grosse délégation ici, mais il y a tout de même une présence notable. Surtout qu’il y a des grands groupes présents au Gitex, qui ne l’étaient pas au CES, comme Thales, Legrand et Schneider. Et au-delà de la France, 250 startups européennes sont venues cette année», souligne Florent Roulier. Avant de mettre en lumière la puissance business de l’événement émirati : «Dans certains cas, il y a davantage d’intérêt d’aller au Gitex qu’au CES, notamment pour lever des des fonds et trouver de gros clients. Il y a 1,2 milliard de dollars de capitaux représentés sur le salon, c’est colossal !»

C’est l’occasion pour ces sociétés basées dans l’Hexagone de tester l’engouement local pour les nouvelles technologies et mettre un pied au Moyen-Orient. Certains acteurs français ont déjà sauté le pas, comme Pasqal, qui s’est fait remarquer au printemps avec la signature d’un contrat avec le géant pétrolier Aramco, et CybelAngel, qui était au Gitex pour la quatrième année consécutive. Nourrissant de fortes ambitions dans la région, les deux entreprises étaient d’ailleurs dans le cœur du réacteur, au Dubaï World Trade Centre. Au vu de l’attractivité grandissante du Moyen-Orient, en dépit de la situation délicate dans le nord de la région (entre Israël, le Liban et l’Iran), la délégation tricolore devrait être encore plus étoffée dans les prochaines années.

Dubaï en démonstration de force avec son programme «D33»

Il faut dire que l’écosystème tech à Dubaï se développe de manière spectaculaire depuis la sortie de pandémie de Covid-19. Avec un cadre de vie agréable, l’accent mis sur l’éducation, la santé et la sécurité, et des avantages fiscaux pour attirer des talents du monde entier, les autorités locales déroulent le tapis rouge à la planète tech. Surtout que la cité futuriste a des objectifs très ambitieux pour la décennie en cours : elle veut doubler son PIB et faire émerger 30 nouvelles licornes d’ici 2033.

Cette date n’est pas le fruit du hasard puisqu’il s’agit de l’année qui marquera les 200 ans de la création de Dubaï. Dans cette perspective, le Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum a présenté l’an passé le nouveau programme économique de l'émirat, baptisé «D33». A cette occasion, il avait assuré que 2033 serait «l’année où la ville sera le plus important centre d'affaires mondial». A cette échéance, il estime également que Dubaï sera «la ville la plus évolutive, la plus sûre et la plus connectée au monde». Dans ce cadre, la tech occupera une place centrale pour bâtir l’économie non-pétrolière des Émirats arabes unis. Un sacré pour ce pays encore jeune puisque son indépendance n’a été obtenue qu’en 1971.

Au Gitex, Dubaï et Abu Dhabi ont d’ailleurs voulu en mettre plein les yeux, notamment sous le prisme de la «Smart City» avec des innovations spectaculaires. L’accent a notamment été mis sur la sécurité, avec un Cybertruck de Tesla bardé de technologies mis en avant par la police de Dubaï, tandis que celle d’Abu Dhabi a présenté un véhicule impressionnant (IA pour surveiller les personnes interpellées, conduite autonome, drones automatiques…). Tout aussi fascinant qu’effrayant ! Et que dire du méga-stand d’Etisalat, opérateur télécoms historique des Émirats arabes unis… Des voitures volantes, des robots nourris à l’IA pour jouer de la batterie ou servir des cocktails, de nouveaux véhicules de livraison autonomes, certains étant même capables de grimper, et un immense écran au plafond, il s’agit d’une véritable démonstration de force pour montrer la force de frappe du pays en matière d’innovation.

«C’est l’antithèse de VivaTech»

Cette démonstration de force a été globale durant l’événement puisque le Gitex s’est étalé sur 250 000 mètres carrés pour cette édition 2024 avec 25 halls au World Trade Centre et 10 halls au Dubaï Harbour. «Si on regarde uniquement les chiffres, c’est le plus grand salon tech au monde. VivaTech est cinq fois plus petit. Ici, il y a beaucoup d’espace et d’acteurs. C’est peut-être trop grand même ! C’est l’antithèse de VivaTech, avec un focus très B2B», analyse Florent Roulier.

Cette démesure se retrouve aussi dans la ville, où le trafic routier peut vite devenir un casse-tête, tant Dubaï ne cesse d’accueillir de nouveaux habitants du monde entier. Tout est gigantesque là-bas, comme le sont finalement les ambitions des dirigeants de l’émirat pour rayonner à l’international. Dans ce contexte, le Gitex va d’ailleurs débarquer en Europe, à Berlin précisément en mai prochain, et en Asie (Singapour et Thaïlande), tout en s’étendant en Afrique, avec un nouvel événement au Nigeria. Le Gitex de Dubaï, concurrencé notamment par des événements comme Leap en Arabie saoudite, va également changer d’envergure en 2026 en déménageant sur le site d’Expo City, mini-ville futuriste laissée en héritage de l’exposition universelle de 2020. Un changement pour s’imposer un peu plus en carrefour mondial de la tech, à la croisée de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie.