Patrick Amiel, cofondateur de 321, et Bruno Pereira, cofondateur et CTO de Ludotech, partagent leurs perspectives croisées sur cette question stratégique. « Tout le monde cherche à optimiser ses coûts et son temps », explique Patrick Amiel, cofondateur de 321, corporate startup studio indépendant français. Il ajoute : « Cependant, pour les ressources technologiques, tout dépend du stade de développement de l'entreprise. Lorsqu'une société souhaite innover tout en naviguant sur un marché tendu, externaliser permet d'ajuster rapidement tout ou partie de son équipe. Cela peut s'avérer très pratique lorsque des compétences manquent en interne. Cette flexibilité dans la roadmap technique est un atout stratégique précieux. »

Un time to market réduit, une culture tech aussi

Bruno Pereira, fondateur et CEO de Ludotech - une agence de développement web dont une partie des effectifs est basée en Macédoine du Nord - partage cet avis. « Le CDI représente beaucoup de risques. On ignore si le profil conviendra. En externalisant, on gagne en flexibilité. On est aussi potentiellement plus compétitif et attractif, explique-t-il. Par ailleurs, le time to market est long en France. Les développeurs sont difficiles à trouver. Les préavis et les phases de négociations au cours d’un recrutement sont longs. Si vous voulez lancer un produit rapidement, ça risque d’être compliqué. Dans le cas d’une scale-up, se renforcer avec de l’externe, pour développer une fonctionnalité en particulier par exemple, est aussi un bon moyen d’aller vite sans prendre le risque de mettre sous tension l’équipe actuelle. En externalisant on gagne du temps. Chez Ludotech on constitue une équipe complète en moins de deux mois avec la garantie d'un certain standard. »

Patrick Amiel met en garde celles et ceux tentés par une externalisation excessive : « Attention à ne pas perdre la culture tech. Avoir des ressources techniques en interne permet de brainstormer et de saisir de nouvelles opportunités. J’ai eu, à plusieurs reprises, l’occasion de proposer des idées qui ont été considérablement enrichies par le CTO et l’équipe technique. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour eux que pour un prestataire pour qui vous n'êtes qu'un client parmi d'autres. »

Garder le pilote dans le cockpit

Si Patrick Amiel reconnaît les avantages partiels de l'externalisation des ressources technologiques, il se montre très réticent lorsqu’il s’agit du CTO. « Je n’imagine pas un CTO qui ne soit pas associé au capital ou salarié. Un CTO externalisé, c’est un peu comme confier la roadmap produit et technique à des tiers, ce qui représente un risque majeur. C’est piloter un avion sans commandant de bord. Pour garantir la viabilité d’un projet, le minimum nécessaire c'est un CEO et un CTO. Cela dit, il est tout à fait possible d'externaliser les équipes sous sa supervision, tant qu'il conserve le contrôle. Un bon CTO doit savoir gérer et fédérer des équipes internes et externes. »

Une approche à moduler - ici encore - en fonction de la maturité de l’entreprise pour Bruno Pereira dont les équipes ont une vaste expérience dans l'accompagnement tech de startups à différents stades de maturité : « Nous travaillons beaucoup avec des startups qui ont souvent des moyens financiers limités à leurs débuts, et trouver un CTO expérimenté peut s'avérer difficile, même pour une société attractive. À un stade précoce, il est souvent plus judicieux de lancer le développement sans CTO pour préserver son capital, et d’internaliser ce rôle stratégique une fois que la société est en position de force. À long terme, cependant, le CTO doit faire partie intégrante de l’équipe. »

Un impact sur la valorisation de l’entreprise

Le cofondateur de 321 souligne également que le rôle du CTO est étroitement lié à la valorisation d’une entreprise. « Si un jour la société se développe bien, un acquéreur potentiel ou un investisseur se penchera d’abord sur l’équipe. Si le CEO explique que sa plateforme dépend d’un CTO freelance ou d’une entreprise de services numériques (ESN), cela risque de décourager les investisseurs. Personne ne voudra prendre le risque de confier l’ensemble de la tech à un indépendant qui pourrait disparaître du jour au lendemain. C’est un deal breaker lors des due diligence. »

Bruno Pereira, quant à lui, apporte, ici aussi, une perspective plus nuancée : « C’était vrai il y a trois ou quatre ans. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué. L'innovation réside davantage dans le produit que dans la tech elle-même. L’innovation de rupture, comme celle d’OpenAI, est rare. Ce qui compte désormais, c’est l’usage qu’on fait de la technologie. Dès lors, le CTO n’est plus nécessairement la clé de voûte de l'innovation. »