Et pourtant… Le bureau gagnerait beaucoup à incarner la culture d’entreprise : à la rendre visible, l’expliciter, l’aider à infuser.
« Une culture molle et non définie non seulement n’attire pas les talents, mais ne leur donne pas les moyens de créer le futur. (…) Nous avons décidé de construire une culture d’entreprise radicale dès notre création. » Ces mots sont ceux de Jean-Charles Samuelian-Werve, cofondateur et CEO d’Alan, qui préface l’ouvrage « Quand les startups, scale-ups et licornes réinventent les RH ». Signé par Pierre Monclos, DRH de Unow, et Michel Barabel, directeur de l’Executive master RH de SciencesPo, le livre explore tant la semaine de quatre jours que la transparence des salaires. Et il fait la part belle à la culture d’entreprise, qui occupe tout le quatrième chapitre.
Attachez-vous à décrire votre culture d’entreprise
Mais au fait, c’est quoi, une culture d’entreprise ? Il y a bien des façons de s’emparer du sujet. Pour Jean-Charles Samuelian-Werve, elle se traduit au quotidien dans les réponses que vous apportez aux questions de ce type : « Comment est-ce qu’on recrute ? Comment est-ce qu’on se sépare des gens ? Comment prend-on des décisions ? Comment donne-t-on et reçoit-on du feedback ? Comment promeut-on ? Quelle information partage-t-on ? »
La culture d’entreprise, pour ceux qui haussent les épaules avec scepticisme quand on leur en parle, ceux qui estiment que les « valeurs » plaquées au mur sont souvent en décalage avec la réalité de l’expérience vécue entre les murs, ce ne sont que des mots, qui ne pèsent rien ou pas grand-chose.
Mais les actes commencent toujours par de (vrais) mots, par le fait de trouver les mots justes, comme tient à le rappeler Marine Chabot, chez Convictions RH. « Certaines organisations sont capables de mettre des mots sur leur culture, d’autres non. Tout commence par là. Et attention, il s’agit de trouver les “bons” mots. Si vos mots ne disent pas qui vous êtes, mais qui vous voudriez être, ou qui vous croyez être, c’est raté ! »
Chez Factory, Tiphaine Serret, New Business Director, estime que ce n’est pas à elle de décrire à la place de ses clients ce qui les singularise, mais bien de les « aider à incarner cette singularité. »
Mariez culture d’entreprise et plateforme de marque
Vous avez sans doute déjà eu cette impression, en entrant chez un prospect ou un fournisseur, d’être déjà entré trente fois dans le même bureau. Les startups n’y échappent pas, avec la reproduction à l’infini de ce qu’elles croient être les bons codes.
« Le bureau “ incognito“ est hélas très répandu, reprend Marine Chabot. C’est assez déconcertant quand on entre dans une entreprise et qu’on ne sait pas chez qui l’on est. On pourrait être n’importe où, dans n’importe quel coworking. Seul le logo nous livre un indice. »
« Ce qu’on ne dit que trop rarement, c’est qu’aujourd’hui l’espace de travail peut vraiment incarner la culture de l’entreprise, ajoute Tiphaine Serret, chez Factory. Le bureau devrait donc faire partie de la plateforme de marque employeur, au même titre que le volet RSE. Je trouve d’ailleurs intéressant qu’on aie de plus en plus de DRH autour de la table dans nos projets d’aménagement. »
Alors, comment on exprime, par ses bureaux, sa singularité ? Tiphaine Serret cite plusieurs exemples qui permettent de comprendre : chez Owkin (une biotech qui travaille sur le cancer et l’IA), le bureau est conçu « comme un campus international. Ce n’est pas écrit Owkin partout, mais les bureaux sont pensés pour être un lieu de transition de toutes les équipes. Côté design, nous sommes allés chiner des mobiliers professionnels directement issus de la médecine, comme un grand meuble à pharmacie dans l’espace commun. »
Chez Malt, on a interprété à chaque étage, dans le Look & Feel, l’idée centrale de leur plateforme de marque : « Fun and Serious ». « Travaillez à partir de votre plateforme de marque, conseille Tiphaine Serret. Allez chercher des éléments totémiques. Chez Malt, l’un des ingrédients totémiques est l’espace de coworking. Les « Malteurs » peuvent venir travailler chez Malt entre deux missions, ce qui envoie un message très fort à leur communauté, parfaitement en phase avec les valeurs de Malt. Dès lors que vous faites partie de la communauté, vous êtes le bienvenu, même si vous n’êtes pas un salarié de Malt. »
Chez Oh Bibi, éditeur de jeux vidéo, les bureaux donnent le sentiment de plonger dans… un jeu ! « Ce n’est pas facile de passer du déclaratif (une plateforme de marque, c’est souvent un document) à quelque chose de concret, que le salarié va vivre. C’est précisément pour cette raison que nous recommandons d’intégrer, dès la plateforme de marque, des recommandations en termes d’expression et d’aménagement. »
Si l’entreprise prône un management ouvert, on va privilégier des choix de matériaux transparents et d’organisation spécifiques. Si elle est B-Corp, on va définir une score-card RSE, poursuit Tiphaine Serret.
Valorisez vos « rituels », c’est efficace et économique
Comment faire, quand on n’a pas beaucoup d’argent ? On peut commencer par mettre en place des rituels d’entreprise. « Chez un client qui réunit tous ses collaborateurs chaque lundi matin, nous avons prévu des estrades rétractables dans le réfectoire. 90% du temps, elles sont invisibles, mais le lundi elles permettent au rituel de prendre vie, sans avoir eu besoin d’un espace supplémentaire », explique Tiphaine Serret.
Factory accompagne une autre entreprise, Lucca (éditeur de logiciels RH) depuis plusieurs années. Quelques déménagements ont eu lieu, du 13e arrondissement au quartier de la BNF, avec très peu de budget au départ, puis davantage au fil des années.
Le défi : conserver l’esprit Lucca des débuts. Soit une startup « sobre », économe, qui progresse sans paillettes et qui n’a levé des fonds qu’au bout de 20 ans d’existence. Chez Lucca, pas d’ostentation !
L’un des rituels de Lucca est incarné dans les bureaux : l’entreprise a nommé l’une de ses salles de réunion en fonction d’un marqueur fort de son processus de recrutement : le « Grand Oral ». A la fin du processus RH en effet, le candidat passe un oral devant une dizaine de ses futurs collègues et managers. Il présente le sujet de son choix. Cette salle de réunion sert, la plupart du temps, à autre chose qu’au Grand Oral, mais l’avoir nommée ainsi permet d’incarner ce pilier de leur culture d’entreprise.
Tristan Goguillot, Head of Product chez Lucca, est arrivé il y a douze ans et a connu trois adresses. « Chez Lucca, on a beaucoup d’opinions, de convictions, on ne fait pas des logiciels comme tout le monde. On les fait pour les gens qui les utilisent, pas pour ceux qui les achètent ! On croit qu’un logiciel de gestion ne doit pas forcément être gris, moche et triste. » Autre singularité de Lucca, la transparence des salaires. « Et plus largement une transparence du CoDir sur les prises de décision, poursuit Tristan Goguillot. Dans nos nouveaux bureaux, cela s’est traduit très concrètement par des parois transparentes, de la lumière, ce qui certes représente un coût, mais qui a beaucoup de sens pour nous. Nous avons investi de l’argent là-dedans, alors que nous sommes très vigilants sur les budgets. Quand vous faites 40% de croissance annuelle auto-financée, l’argent vous ne l'investissez pas dans les bureaux… Mais notre toute première levée de fonds il y a deux ans et surtout notre fierté de cette culture de la transparence ont rendu ce choix possible. »