Développer une startup passe bien souvent par plusieurs strates technologiques à développer en interne… Mais il n’est pas toujours aisé de gérer ces projets. Comment bien communiquer avec ses équipes ? Comment s’assurer que les objectifs tech et business soient bien alignés ? Que les projets tech sortent en temps et en heure ?
Joachim Fourquet et Matthieu Sénéchal, cofondateurs de Hones, une entreprise spécialisée dans l'accompagnement des projets tech, partagent leurs conseils avec nous.
Vous parlez, concernant les projets tech en entreprise, de "boîte noire" : pourquoi un tel terme ?
Matthieu Sénéchal : Les dirigeants sont généralement capables d’avoir des échanges assez poussés avec des équipes de commerciaux ou celles en charge du marketing. Sans aller jusqu’à faire le travail à leur place, ils maîtrisent plutôt bien leurs sujets. Avec les équipes tech, c’est différent.
On a beau connaître la partie business et les objectifs, seule l’équipe dédiée est capable de trouver les bonnes solutions et de les mettre en œuvre.
La métaphore de la 'boîte noire' renvoie à ces mauvaises pratiques ancrées qui font qu’une fois un projet de développement lancé, il devient difficile pour les non-techniciens de suivre précisément ce qui se passe. Le développement tech est généralement un processus long et complexe, où les itérations sont nombreuses et où historiquement, les dirigeants ne voyaient pas de résultats intermédiaires clairs.
Les mauvaises pratiques ont des effets d’autant plus négatifs que l’équipe tech est grosse. Il y a un risque réel que chacun au sein de l’équipe se disperse sans que personne ne s’en rende compte et que le projet n’aboutisse jamais.
Joachim Fourquet : Cette opacité globale a aujourd’hui des conséquences bien concrètes. Elle fait couler des boîtes qui gaspillent de l’argent et un temps précieux en se perdant dans des projets mal structurés. Cela démotive aussi les équipes, qui perdent la confiance placée dans les dirigeants. Et c’est courant ! Certaines statistiques montrent que 83% des projets informatiques échouent, et 31 % sont interrompus en cours de route.
Vous insistez avant toute chose chez Hones sur le fait de bien définir son projet en amont ?
M.S : Un projet tech se traduit toujours par des arbitrages. Notre rôle, c’est ainsi d’orienter les dirigeants, leur présenter différentes solutions et les aider à choisir la bonne. Souvent, ils ont déjà à l’esprit un problème, et une solution… Qui n’est pas toujours la bonne.
J.F : Il faut prendre le temps de bien définir ses besoins et priorités, et de se questionner en profondeur sur la solution qu’on veut mettre en place. Un bon conseil technique, c’est parfois de dire : ok, vous voulez développer un chatbot. Mais est-ce vraiment un problème de communication avec vos clients que vous aviez à la base ? Une autre solution n’est-elle pas préférable ? On doit apprendre à se focaliser sur un seul problème, plutôt que de vouloir répondre à tous les problèmes, y compris ceux qu’on n’a pas encore.
M.S : Cette démarche de réflexion se fait à plusieurs niveaux : il faut définir la stratégie de la société, les modes d’organisation et leur efficience, voir si l’actif technique déjà bâti correspond aux objectifs définis, etc. Il ne sert à rien de mettre en place un développement tech si on n’a pas compris son besoin à la base : la tech est, et restera toujours un outil pour atteindre ses ambitions business.
Est-ce compliqué de faire entendre aux dirigeants que la solution qu’ils avaient à l’esprit n’est pas la meilleure pour eux ?
J.F : Ce qui est délicat, c’est que beaucoup de personnes font de la tech en se disant que ça va plaire aux gens, ou que c’est à la mode. Entre 2017 et 2022, on a assisté à un boom des levées de fonds, durant lequel les entrepreneurs ont développé des tas de choses qui parfois, ne servaient à rien. Il y a eu un engouement autour du machine learning, des NFT, des crypto-monnaies, du web3, et maintenant autour de l’intelligence artificielle. Notre rôle chez Hones est justement de “remettre l’église au milieu du village”, c’est-à-dire de revenir à quelque chose de plus rationnel et pragmatique, même lorsque ce n’est pas ce que les dirigeants avaient forcément à l’esprit au départ.
La communication est-elle aussi la clé pour sortir de la boîte noire ?
M.S : Souvent, les dirigeants veulent coder une solution le plus rapidement possible. Mais outre le risque que le problème présenté ne soit pas le bon, il faut se demander si tout le monde a bien compris. On paye extrêmement cher le fait de griller ces étapes. Il faut échanger entre équipes, s’assurer que le problème est bien saisi, faire des itérations courtes pour vérifier qu’on part dans la même direction et que l’information ne s’est pas perdue en route. En tech, on parle de la loi de Conway pour désigner le principe selon lequel le produit fini reflète la bonne (ou la mauvaise) communication qu’il y a au sein des équipes.
Cette communication doit être peaufinée tout au long du projet. On a parfois le cas où une équipe se lance bien, a de bonnes pratiques, puis on opère un revirement stratégique, ou l’équipe change, et alors, on entre en mode urgence. Dans le feu de l’action, on accumule les mauvaises décisions, et l’effet boule de neige vient couler le projet…
J.F : On pourrait voir le temps de communication comme une perte de temps et de ressources, mais au contraire. Il est beaucoup plus facile de corriger quelque chose qui n’est pas encore fait, que quelque chose qui est déjà codé !