Ira, ira pas ? Puisqu’il est plus difficile de lever des fonds auprès des fonds d'investissement, faut-il se tourner vers les marchés cotés ? La Bourse est dans la tête de tous les entrepreneurs de la French Tech. Faut-il absolument être une scaleup pour être cotée ? Quels sont les critères à respecter ?
Vincent Le Sann, directeur général adjoint de Portzamparc, filiale de BNP Paribas, accompagne les entreprises à envisager et mener à bien leur IPO. Aujourd’hui, il dévoile tous les critères et les dimensions à analyser pour prendre le chemin de la Bourse.
Maddyness : À partir de quel moment peut-on envisager une IPO ?
Vincent Le Sann : C’est simple : à partir du moment où l’entreprise réalise du chiffre d’affaires et a de fortes perspectives de croissance dans les 3 à 5 ans : un minimum de 5 millions d'euros et avec des projection de doublement chaque année dans les 2 à 3 ans qui viennent.
Autre critère, après une série A puis B, une question s'impose au moment de la série C : continuer avec un nouveau tour de private equity ou bien envisager la bourse. L'entreprise est éligible à ce moment-là, pour des levées de fonds à partir de 20 millions d’euros.
À cela s’ajoute la perspective d’être rentable dans les deux ans. On peut ne pas être rentable au moment de l'entrée en Bourse mais il faut que l’horizon de rentabilité ne soit pas plus loin que deux ans.
Quelles sont les dispositions à prendre avant de commencer le processus d’entrée en Bourse ?
Le premier pas est de se rapprocher d’un acteur expert. Il faut en parler, se renseigner en amont.
L'acteur qui accompagne l'entreprise doit expliquer si est est légitime ou non et, si elle ne l’est pas, pourquoi et dans combien de temps le sera-t-elle. Ce rendez-vous doit avoir lieu entre 6 à 12 mois avant de lancer le processus. Après, les étapes pour s’introduire en Bourse vont durer 6 mois.
Quelles sont les différentes étapes de ce processus ?
D’abord, il faut réunir une équipe. Un acteur comme Portzamparc sera chargé de coordonner cette équipe de partenaires. Nous allons aider à choisir les différents partenaires : il en faut entre 4 et 5. D’abord, une banque, puis un cabinet d’avocat en droit boursier, une agence de communication financière spécialisée sur ce segment, un commissaire aux comptes.
Ensuite, nous allons à la rencontre d’Euronext, de l’AMF, des investisseurs pour valider l’equit history et les messages marketing avant la toute fin de l’opération. Ce processus dure donc 6 mois. L’opération publique elle-même dure deux semaines. C'est cette partie finale de prise d’ordre durant laquelle nous amenons l’argent à l’entreprise. C’est la première cotation.
L’entreprise émet ensuite des titres que nous transmettons aux investisseurs, aux nouveaux actionnaires qui en échange ont payé une certaine somme. Cette somme revient alors à l’entreprise.
Côté titres et parts de l’entreprise, quel est l’impact pour les fondateurs ?
C’est une opération qui s’effectue par création de titres. Si les fondateurs ou les investisseurs historiques ne souscrivent pas à cette augmentation de titres, leurs pourcentages seront dilués. C’est un premier impact.
Cette nouvelle émission de titres doit représenter 20% de l’ensemble des actions. On l’appelle le “flottant”. À ce flottant, on peut ajouter des actions déjà existantes. C’est l’occasion pour les investisseurs et les fondateurs de céder une partie des titres qu’ils détiennent.
Comment communiquer autour d’une entrée en Bourse ? Faut-il garder le secret ou, au contraire, dévoiler son plan ?
Il y a des avantages et des inconvénients à ne pas le dire et à le dévoiler. Si on choisit d’en parler suffisamment en amont, cela va dynamiser l’entreprise, les clients, les fournisseurs, les collaborateurs sont déjà mis dans la perspective d’une future cotation en bourse. Cela va également attirer plus de conseils. C’est positif.
Le revers est qu’effectivement cela peut installer de la pression sur les parties prenantes en interne, les collaborateurs, et en externe, fournisseurs, clients, administrateurs…
Il faut être prudent dans sa communication pour ne pas briser la confiance avec les investisseurs potentiels.
Outre lever des fonds, quel est le sens d’une entrée en Bourse ?
En Bourse, on bénéficie d’une visibilité beaucoup plus importante. Cela va soutenir votre attractivité sur tous les plans : clientèle, fournisseurs, talents… Beaucoup de sociétés nous confient ne pas pouvoir répondre aux appels d’offres aux Etats-Unis car elles ne sont pas cotées. C’est l’un des arguments pour venir en Bourse.
Cela va aussi créer de la confiance notamment avec les partenaires. Les comptes des entreprises cotées sont publics, tous peuvent y avoir accès. C’est un facteur de confiance. Les banques peuvent vous prêter plus facilement.
À titre personnel pour le dirigeant, cela permet de céder une partie de l’entreprise sans avoir à en céder pour la totalité. Certains veulent pouvoir monétiser une partie pour pouvoir réaliser un investissement personnel sans pour autant se séparer de leur entreprise pour pouvoir continuer à la développer. En private equity, il n’y a pas cette liberté, souvent c’est une vente totale ou rien.
L’IPO est-elle adaptée à toutes les entreprises ?
Si vous ne faites pas de croissance, si vous n’avez pas de visibilité dessus dans les prochaines années, il faut éviter. Car si vous n’avez pas de bonnes perspectives, c’est le risque de subir le boomerang de la cotation : si vous ne délivrez pas ce que vous avez promis au marché, votre titre va baisser et votre valorisation va baisser, ce qui ne sera pas le cas dans le private equity.
Les dirigeants font souvent le choix de la Bourse pour l’indépendance de la gouvernance. C’est tout à fait clé. Il n’y a pas de pacte d’actionnaires lors d’une IPO. Enfin, le pacte d'actionnaire tombe quand on arrive en bourse. Le dirigeant retrouve une marge de manœuvre dans la gestion de son entreprise qu’il n’avait pas avec des fonds très intrusifs. En bourse, il y a des investisseurs qui s’en vont en cas de mécontentements mais il n’y a pas de perte de contrôle. Nous avons beaucoup d’entreprises cotées de petites tailles pour qui c’était un argument de taille.