Malgré une série de lois visant à promouvoir l'égalité professionnelle – de la loi Roudy (1983) à la loi Rixain (2021), en passant par l’index de l’égalité professionnelle – les avancées législatives peinent à les éradiquer. Le freelancing peut-il se positionner comme une alternative ou un modèle d’équité ? Une enquête*, menée par Jump - un acteur clé du marché freelance - auprès de 2.000 freelances de son écosystème, révèle que ce marché n'échappe pas à ces disparités. Sans surprise, on observe une sous-représentation des femmes dans les domaines de la tech (à peine 8,5 %) et un écart de rémunération de presque 20 % tous secteurs confondus (en moyenne, mensuellement, les femmes facturent 19,7 % de moins que les hommes selon l’enquête).
Qu’en conclure ? Salariat versus freelance, même combat ? « Les femmes sont majoritaires dans seulement deux secteurs : Coaching-Formation (53,56 %) et recrutement/RH (51,20 %), tandis qu'elles sont sous-représentées dans le bloc finance/contrôle de gestion (38,66 %) et consulting (43,62 %) », explique Nicolas Fayon, CEO de Jump. En termes de facturation, les hommes sont devant, sauf dans les secteurs où les femmes sont majoritaires. Les écarts les plus marqués - en faveur des hommes - apparaissent en finance (8 656,57 € de montant facturé versus 13 735,48 €) et consulting (10 334,91 € versus 13 360,34 €). En revanche, dans les métiers du coaching ou de la formation, les femmes dominent en termes de facturation (9 746,87 € versus 8 452,11 €). Pourquoi cette prolongation des inégalités sur le terrain des indépendants ? Quelles solutions envisager pour lever cette extension du plafond de verre ?
Freelancing versus salariat : des causes jumelles aux inégalités ?
Caroline Diard, professeure de management des ressources humaines et de droit des affaires à TBS Education, explique ces disparités par des mécanismes d’autolimitation des femmes qui trouvent racine dans un héritage culturel et éducatif bien ancré : « Malgré un cadre législatif existant depuis 1972, les inégalités hommes-femmes perdurent dans le salariat. Cela signifie que les causes sont davantage culturelles et se transposent donc naturellement à l’univers des indépendants. Face à un client, les femmes freelances auront tendance à afficher des tarifs moindres par manque de confiance en leurs compétences, et seront plus enclines à accepter des réductions de tarif. »
Nicolas Fayon corrobore : « Il existe un fort sentiment d'illégitimité ressenti par les femmes : ces dernières quittent souvent leur emploi salarié pour une vie plus autonome en freelance, mais elles souffrent de stéréotypes qui les décrivent comme faisant ce choix principalement pour des raisons familiales. » En effet, Clotilde Coron, dans son ouvrage « Stéréotype de genre et inégalités professionnelles entre femmes et hommes » (Éditions EMS) qui se fonde sur des données européennes - a mis en évidence quelques préjugés tenaces affectant les carrières féminines : sur l'ensemble du continent, 34,9 % pensent que « le travail d'un homme, c'est de gagner de l'argent, celui d'une femme de s'occuper de la maison et de la famille ».
Lutter contre les inégalités : 5 pistes à explorer
Transparence des tarifs journaliers moyens (TJM)
La documentation et la transparence des tarifs journaliers moyens (TJM) sont essentielles pour une rémunération équitable des freelances. « Dans des secteurs comme la tech, où cette pratique est déjà en place, elle permet aux indépendants de mieux évaluer et négocier leurs tarifs », explique le CEO, qui propose de généraliser cette transparence à tous les secteurs, rendant les TJM visibles et transparents. L'objectif est de fournir aux freelances des outils pour se « pricer » correctement. « Cette initiative, l’un de nos objectifs clés pour 2025, vise à réduire les disparités de rémunération et à promouvoir une plus grande équité sur le marché freelance. »
Coaching et formation continue
Le coaching et la formation représentent des leviers essentiels pour réduire les inégalités parmi les freelances. Jump propose des programmes pour faire grandir leur employabilité : « Ces formations, financées par les contributions aux OPCO (Opérateurs de Compétences), visent à doter les freelances des compétences nécessaires pour évaluer leur valeur sur le marché et négocier efficacement, contribuant ainsi à une plus grande équité et à une réduction des disparités de rémunération. » Aymeril Hoang, ancien directeur de cabinet du Secrétaire d'État chargé du numérique et coach de dirigeant, souligne également l’importance de travailler sur la confiance en soi : « En fournissant des outils et des stratégies adaptés, le coaching permet aux femmes de mieux valoriser leurs compétences et de négocier des tarifs justes, contribuant ainsi à une plus grande équité. »
Création d'un indice de l'égalité pour les freelances
À l’image de l’indice d’égalité professionnelle - toutes les entreprises d’au moins 50 salariés doivent calculer et publier leur Index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, chaque année au plus tard le 1er mars -, Nicolas Fayon propose la création d’un reporting similaire pour les travailleurs freelances. Le but ? « Pas de punir », mais d’abord de suivre et de piloter les progrès en matière d'égalité des sexes dans le freelancing, offrant ainsi une mesure claire de l'évolution des pratiques et des disparités. « En fournissant des données précises et actualisées, cet indice serait un outil précieux pour identifier les secteurs où des inégalités persistent et pour orienter les initiatives visant à promouvoir une plus grande équité entre hommes et femmes. »
Développement de la sororité
Aymeril Hoang met en avant le rôle de la sororité dans la réduction des inégalités. En effet, la solidarité joue un rôle crucial pour surmonter les défis spécifiques que les femmes freelances rencontrent, notamment en matière de négociation de tarifs et de progression de carrière. En encourageant le partage de connaissances, le mentorat et le soutien mutuel, la sororité aide à gagner en confiance et à mieux valoriser les compétences. « Cette dynamique collective est essentielle pour promouvoir une plus grande équité et favoriser des conditions de travail plus justes », insiste-t-il.
Éducation financière
L’éducation financière pour lever les barrières socioculturelles est aussi une piste à creuser. Léa Lejeune a créé Plan Cash, un média et un dispositif de formation qui vise à déconstruire les croyances limitantes liées à l'argent. Déjà, 7.000 femmes ont été formées, ce qui leur permet de mieux comprendre les mécanismes financiers et de prendre des décisions éclairées concernant leurs revenus, leur carrière et leurs investissements. Cette éducation financière est essentielle pour renforcer l'autonomie économique des femmes et réduire les disparités sur le marché de l’emploi.
*Enquête non publique réalisée dans le réseau Jump