Le job sharing est une forme d’organisation du travail dans laquelle plusieurs salariés se partagent un même poste. Introduits en 1994, les premiers postes en job sharing ont été importés notamment par l’entreprise Hewlett-Packard (HP). Les formes de job sharing peuvent varier, allant du partage pur, où les partenaires ont des responsabilités parfaitement interchangeables, à des arrangements plus hybrides, où les tâches sont réparties de manière informelle, comme l’explique le guide complet réalisé par Go for Sharing, une société suisse leader sur le sujet.

Mais qu’en est-il en France ? D’un point de vue juridique, cette modalité s’apparente majoritairement à du temps partiel. À noter qu’en 2021, 4,3 millions de salariés en France sont à temps partiel. Ce taux, qui a légèrement fluctué au fil des années, est fortement marqué par une prédominance féminine (79,3 %). Ces chiffres offrent des perspectives pour cette approche innovante du travail partagé. Mais fonctionne-t-elle vraiment ? Quels sont les bénéfices et les défis dans sa mise en place ? Témoignages et décryptage.

Job sharing : une modalité qui se développe par opportunité

Myriam Loingeville, ancienne responsable des ressources humaines (RRH) à la SNCF en job sharing et fondatrice de JobTandem, un service d'accompagnement au job sharing pour entreprises actuellement en création, a expérimenté cette modalité au sein du groupe ferroviaire pendant trois ans. Le contexte ? « J’ai été confrontée à la difficulté de jongler entre une carrière en pleine progression et les aléas de la parentalité, ce qui m’a amenée à envisager de quitter mon emploi. » Son employeur lui a alors proposé de partager son poste, ce qui lui a permis de maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle tout en conservant son poste et ses perspectives de carrière. « J’ai trouvé mon binôme, et notre collaboration a duré trois ans », explique-t-elle. Sur le plan légal, cela s’est traduit par un avenant au contrat existant, prévoyant un temps partiel à hauteur de 60 % du temps de travail, sur la période donnée. Concernant l’organisation, « nous avons partagé toutes nos missions de manière interchangeable, à l'exception de l'accompagnement individuel. » Elles ont donc adopté un système de rotation hebdomadaire du jeudi au jeudi, coïncidant avec le jour des réunions de direction : « Cette approche nous permettait de prendre des décisions ensemble et de partager les informations importantes. » Toutefois, chaque arrangement de job sharing est différent, en fonction des contraintes métiers et personnelles.

Employeurs et employés : des bénéfices conciliables

Pour les employés, le principal bénéfice du job sharing, selon Myriam Loingeville, est la possibilité de profiter pleinement de leurs jours de congé, sachant que leur binôme gère les responsabilités en leur absence. « Cette rotation réduit le stress et améliore la qualité de vie, permettant un véritable temps de repos sans les interruptions fréquentes du travail », témoigne-t-elle. Le job sharing s'avère être une avancée sociale significative pour les femmes, souvent les plus affectées par le temps partiel subi. « Elles disposent désormais d'une option tangible pour ne plus renoncer à des postes à responsabilité et poursuivre leur ascension de carrière », souligne Myriam Loingeville. Du côté des entreprises, cette modalité de travail crée une synergie de compétences complémentaires : « Les deux personnes combinent leurs expériences et leurs réseaux, ce qui enrichit la gestion des projets et approfondit les réponses aux problématiques », affirme Myriam Loingeville. En effet, l’enquête scientifique la plus importante et la plus complète à ce jour sur la productivité du job sharing, menée par la Hochschule Heilbronn (HHN) en coopération avec TWISE et TJSH, démontre que le travail en tandem est 66 % plus productif selon 66 % des managers interrogés. Une autre enquête, réalisée au Royaume-Uni, révèle une augmentation de plus de 30 % de productivité. Céline Méchain, ex-DRH de Platform.sh et chief people officer freelance, considère le job sharing comme un moyen de réduire les écarts générationnels : « Les travailleurs de différentes générations peuvent collaborer et partager leurs compétences dans un cadre de travail réel, ce qui facilite des transitions douces. C'est un enjeu majeur aujourd'hui. »

Conditions de réussite et points d’attention d’un job partagé

Pour réussir le job sharing, plusieurs points d’attention doivent être pris en compte. Premièrement, la flexibilité est essentielle : les co-titulaires doivent être prêts à intervenir en cas d'urgence et à répondre aux sollicitations de leur binôme. Cela peut parfois réduire les temps de repos personnels, mais garantit la continuité du service. Un matching efficace du binôme est également crucial : « Il est primordial que la démarche soit fondée sur le volontariat et que le binôme se forme par lui-même afin d’établir une collaboration basée sur la confiance et la coresponsabilité. Pour cela, l'alignement sur les valeurs et les pratiques professionnelles est essentiel, nécessitant des discussions ouvertes pour s'assurer que les approches du métier sont compatibles », explique Myriam Loingeville. Enfin, des compétences interpersonnelles telles que la communication et la flexibilité relationnelle sont indispensables pour maintenir une dynamique de travail positive et efficace

Marché français et job sharing : l’âge de raison ?

Selon Céline Méchain, le marché du travail français évolue, mais certains obstacles demeurent : « Le législateur français accorde une importance particulière au contrat à durée indéterminée (CDI), rendant les autres formes de contrat, telles que le job sharing, plus complexes à mettre en œuvre. Cette complexité administrative et juridique freine l'adoption de telles pratiques. » De même, les entreprises abordent encore cette organisation du travail avec scepticisme, selon la DRH. « Cela représente un défi organisationnel supplémentaire pour les employeurs qui doivent repenser leurs méthodes de gestion et de coordination. » Néanmoins, les mentalités commencent à évoluer, notamment avec l’émergence du phénomène de slashing : selon une étude présentée au Salon des micro-entreprises (SME), un quart des actifs en France serait des slasheurs. Une autre enquête, réalisée en 2018 par l'Union des Auto-Entrepreneurs en partenariat avec la Fondation Le Roch-Les Mousquetaires, montre que 54 % des auto-entrepreneurs mènent leur activité en parallèle d'un emploi salarié.
Ces changements individuels transforment lentement le système : « Ces choix de carrière sont généralement initiés par les individus eux-mêmes, et non par les entreprises. » Ainsi, le job sharing pourrait répondre à cette aspiration à plus de flexibilité et de diversification, « mais il nécessite un changement de paradigme dans la gestion RH », conclut Céline Méchain