Le pitch deck, c'est le nom donné à la présentation de votre projet de startup auprès d'investisseurs. Parce qu'il conditionne la réussite ou non d'une levée de fonds, il est souvent vécu avec une certaine appréhension. Y a-t'il un bon nombre de slides ? Quelles données ne faudrait-il surtout pas y oublier ? A l'inverse, y a-t'il des faux pas à ne pas commettre et des informations à ne pas donner ?

Maddyness est allé à la rencontre de deux experts du sujet pour recueillir leurs bons conseils à l'attention des jeunes pousses. Valérie Gombart, fondatrice et CEO du fonds entrepreneurial franco-allemand Hi Inov, spécialisé dans le B2B et le numérique, et Ugo Varrasso, VC pour le fonds d'investissement Bpifrance Digital Venture, nous ont partagé leurs attentes... et leurs astuces.

1. Définir le bon nombre de slides

Ça n’a l’air de rien, mais ce premier détail a son importance. Comme le souligne Ugo Varrasso, le pitch deck est "tout un art", qui consiste à être "suffisamment exhaustif, tout en étant le plus concis possible". Si Valérie Gombart recommande "15 slides maximum", lui distingue deux cas de figure. "Pour une startup au stade de pre-seed ou seed, on attendrait une dizaine de slides environ. Pour une boîte plus ‘late stage’, en série A ou série B, on attendrait plutôt 15 ou 20 slides." Dans ce second cas, il propose de garder sous la main un deck de teasing, sorte de synthèse du deck complet, qui comprend entre 7 et 10 slides. Les slides doivent rester impactants, et ne pas contenir trop d'informations. "Il ne faut pas oublier que l'on va rajouter par dessus une présentation orale, dans laquelle on pourra préciser certains points".

2. L'équilibre entre technicité et vulgarisation

Concernant la précision justement, il faut veiller à trouver le bon équilibre entre technicité et vulgarisation. "Idéalement, le deck passera entre les mains d'investisseurs sélectionnés pour leur profil et leur pertinence. Si vous êtes une startup deeptech et que vous vous adressez à un fonds qui connaît bien ce sujet, alors il ne faudra pas hésiter à entrer dans le détail, par exemple parler de la technologie qui a été développée, etc, quitte à ensuite vulgariser lors de la présentation. Logiquement, les investisseurs de ce type sont preneurs d'un maximum d'infos et de détails techniques", estime le VC du fonds Bpifrance Digital Venture.

Valérie Gombart alerte cependant sur les cas où la complexité prend le pas sur le reste. "Ce doit être un slide, et pas le premier. Si vous consacrez la moitié de la présentation à l'explication technique et qu'on n'y voit même plus le pain point, c'est dommage..."

3. Identifier un "pain point" clair

Valérie Gombart recommande d'avoir à ce sujet, dès le début de la présentation, "un pain point clair", c'est-à-dire d'identifier le problème auquel votre startup souhaite répondre. "Cela permet de saisir les opportunités de marché", complète Ugo Varrasso.

4. Etre honnête sur l'état de la concurrence

Ugo Varrasso est d’avis de ne "pas chercher à masquer la concurrence", mais au contraire l’afficher. "De toute façon, les investisseurs, s’ils ont bien fait leur travail en amont, sont au courant du fait qu’il y ait des concurrents, et les connaissent déjà". Valérie Gombart ajoute : "s’il n’y a pas de concurrence, c’est qu’il n’y a pas de marché."

Là encore, tout est une question d’équilibre. Ugo Varrasso se souvient s’être souvent "arraché les cheveux" devant des graphiques où l’on trouvait des dizaines et des dizaines de logos de concurrents. Ni trop, ni pas assez. "On ne peut pas omettre complètement la concurrence indirecte, ou volontairement effacer son concurrent principal… souligne Valérie Gombart. C’est une question d’honnêteté intellectuelle."

L’important est aussi de profiter de ce slide et ce moment pour montrer "son avantage compétitif" face à la concurrence.

5. Prouver sa "défensibilité"

La défensibilité, précise Ugo Varrasso, revient aux barrières à l'entrée. "C'est la chose qui fait que d'autres acteurs ou potentiels concurrents auront du mal à présenter les mêmes caractéristiques, ou à aller sur le même segment de marché que vous". Il préconise d'insister sur ce point dans la présentation, par exemple au moment de la présentation de votre produit et de ses avantages.

6. "La team, la team, la team"

Pour Ugo Varrasso et Valérie Gombart, il y a un "deal breaker" : "On voit encore trop de decks qui ne contiennent aucune présentation de l’équipe". "Or c’est important, souligne la CEO d'Hi Inov. Si on n’a pas besoin d’être pléthoriques, les investisseurs doivent identifier une équipe avec une bonne connaissance du secteur, suffisamment expérimentée. Il faut sélectionner 4 ou 5 profils clés et complémentaires qui ont leur importance. Si je vois une legal tech sans avocat, ou une deeptech sans développeur, je me pose forcément des questions…"

"Dans le secteur, on a une blague entre nous, s’amuse Ugo Varrasso. On dit qu’il y a trois critères pour décider d’investir ou non : la team, la team, la team." Une bonne pratique serait de rendre les parcours facilement identifiables, avec par exemple les logos d’entreprises clés fréquentées par les équipes, qui témoignent d’une expérience significative et du parcours professionnel qui a mené à cette idée de startup. "On appelle cela dans le jargon le founders market fit : il faut que l’on ait la sensation que c’est la bonne équipe qui monte le bon projet."

7. L'importance des données chiffrées

Les chiffres ont aussi une place de choix dans les pitch deck. "Dès la lecture, nos analystes doivent pouvoir situer si on est bien dans notre stratégie d'investissement, souligne Valérie Gombart. Si je reçois un dossier qui n'a aucun chiffre, je ne saurais pas dire où nous en sommes dans le cycle de vie de l'entreprise... Et le dossier passera probablement à la trappe. S'il n'y a pas de chiffre d'affaires, ce que l'on peut comprendre lorsqu'on est en phase d'amorçage notamment, on doit pouvoir trouver des chiffres d'usage." Elle ajoute qu'il faut "bien connaître ses chiffres", et s'assurer d'être capable de répondre à des questions à ce sujet !

Pour Ugo Varrasso, les KPI sont également indispensables. L'évolution du chiffre d'affaires, du nombre d'utilisateurs... Le principal, nous explique-t-il, serait de mettre en avant les bons chiffres en fonction de son business. Déterminer lesquels soutiennent l'idée de croissance, et l'idée qu'il s'agit du "bon moment pour investir". "Ce qui peut être intéressant c'est aussi de calculer dans un slide dédié la taille du marché que l'on vise : cela vient préciser nos hypothèses précédemment évoquées. On part par exemple du marché mondial, que l'on réduit à son échelle géographique, puis au persona que notre produit vise, puis aux parts de marché estimées en fonction de la concurrence, etc."

8. Soigner le visuel

Concernant le visuel de votre présentation, cela dépend en fait de votre positionnement stratégique. Si le succès de votre startup repose sur un gros travail marketing, l'ambition de séduire une clientèle grâce à une certaine image et une esthétique précise, alors il sera attendu de vous un visuel "cohérent avec cette stratégie". Par exemple si vous développez un outil à destination des graphistes mais que vos slides semblent avoir été faits sur Paint... La confiance en votre produit risque malheureusement d'en pâtir.

9. Rester réaliste sur ses succès... et ses projets

"Il est tout à fait rédhibitoire d'entendre dire que l'on est un leader mondial, alors que le chiffre d'affaires est faible..., reconnaît Valérie Gombart. Vouloir en faire trop desservira bien souvent les entrepreneurs." Ugo Varrasso ajoute : "pour faire comprendre son potentiel, ne pas oublier de présenter son business model, détailler les différentes sources de revenus et préciser la stratégie de pricing."

S'il est important d'insister sur sa capacité à grossir, par exemple en mentionnant les possibilités d'internationalisation ou l'utilisation qui sera faite des investissements demandés, il faut également rester cohérents sur ses projets d'avenir. "Etre ambitieux certes, mais réalistes. Prétendre que l'on sera une licorne cinq ans après la création montre que l'on ne connaît pas vraiment ses chiffres ou que l'on sur-évalue son évolution", insiste à juste titre la fondatrice d'Hi Inov, qui sait bien la rareté de tels succès...